Nonchalant, distrait, méfiant, n’a pas envie de parler, répond brièvement. Il n’aime pas qu’on l’interroge sur la nature du procès pour lequel il s’est incarcéré.
Quelques remarques nous semblent nécessaires avant d’aborder les lignes suivantes ; cet entretien nous révèle peu de réalité concernant la vie de A.S, ce dernier ne nous a pas aidé à mieux le connaître, sa discrétion et sa méfiance n’ont pas contribué à une meilleure lecture des événements importants et surtout traumatiques de sa vie. Cependant, nous nous trouvons devant des expressions brèves mais riches dans ses symboles.
Le début de l’entretien est une idéalisation de sa relation avec ses parents : «la meilleure relation avec eux, même jusqu’à maintenant, merci pour Dieu, le père ne travaille pas, il fait rien (et votre maman ?143) Non plus (comment viviez-vous ?) On avait un troupeau de moutons duquel nous en mangions et vendions, tu sais toi, toujours la mère et le père restent à la maison, quand j’ai eu quinze-seize ans j’ai commencé à travailler comme maçon, avant les quinze, seize je ne faisais rien, seulement je restais à la maison». Les imagos parentales nous parviennent directement, un père, une mère désignés tous les deux à la troisième personne, nous révèlent certaines réalités ; chez eux, dans leur société, le respect obligatoire des parents prend une forme spécifique qui est souvent encadrée par la peur et la frayeur, loin d’être un respect naturel entre les membres d’une famille, il se manifeste par une non communication : l’expression des sentiments ni la conversation,
surtout entre les parents et les enfants, ne sont tolérées. A.S a subi une éducation sévère qui ne tolère aucune activité de la vie sexuelle précocement éveillée et qui est fortement réprimée, un tel conflit à un tel âge favorise le phénomène du refoulement. “Un père qui ne fait rien”, est une autre réalité, un père dénigré, carent, n’accomplissant pas son rôle réel comme père ni comme repère d’identification, sa présence permanente à la maison, il s’agit, certes, de la présence physique, mais il n’assume pas sa responsabilité en tant que père ni en tant que fonction parentale.
« Le père et la mère restent à la maison », les deux imagos parentales sont confondues, l’identité primaire et secondaire de l’enfant n’ont pas abouti à leurs fins, l’absence de l’identification primaire a troublé la formation de l’identité subjective de l’enfant, qui se traduirait par un sentiment d’anéantissement, de perte d’identité, que seul le travail, comme une identité substitutive pourrait combler : « puis j’ai travaillé comme maçon, avant les quinze, seize je ne faisais rien, je restais à la maison ». L’absence d’identification secondaire a perturbé la formation de son identité sexuelle.
Ses parents passaient tout le temps à la maison ; une maison formée d’une unique salle qui se transformait tout au long de la journée et selon le besoin, tantôt en salle de séjour tantôt en salle à manger, tantôt en chambre à coucher. Tous les membres de la famille, même les parents dormaient dans la même salle. Ce n’est pas rare qu’il arrive à un enfant d’entendre le coït ou de surprendre ses parents dans des situations inexplicables pour lui. Pour combler le vide supposé accordé aux rôles parentaux, qui « restent toujours à la maison », A.S investirait son énergie dans la fabrication des fantasmes qui sont en rapport surtout à la scène primitive, son passage à l’acte digital peut être rapporté à ces fantasmes, l’agression digitale traduirait l’investissement de son énergie libidinale à travers ses propres fantasmes. Plus loin, il signale la répétition des rêves nocturnes de l’angoisse mais malheureusement nous n’avons pas eu l’opportunité de nous les faire raconter en détail, il entend parfois des voix (cela serait en rapport avec le coït parental), et même il sent que quelqu’un le touche (fantasme de la scène primitive)
Tout au long de l’entretien, l’expression de sentiments divers, d’angoisse, de tristesse, même la pensée ou le souhait de la mort apparaissent plusieurs fois, A.S est toujours triste, ses pensées se mélangent et il se sent incapable de prendre n’importe quelle décision, cela nous fait penser aux images de « la bonne mère » et « la mauvaise mère » de M. Klein selon lesquelles le reste de la vie de l’individu peut être influencé. D’autre part, et selon Freud, la restriction de l’activité sexuelle chez un peuple s’accompagne très généralement d’un accroissement de l’anxiété de vivre et de l’angoisse de la mort, ce qui perturbe l’aptitude de l’individu à jouir, des paroles citées plus tard nous révèlent l’importance de la religion dans l’éducation de S.A. Plus loin dans un autre endroit, la mère « putain » est évoquée, en niant ce qu’il a fait à la petite fille il dit : « ils disent qu’il a mis la main comme ça sur la fille, comment et moi je déteste celle144 qui est chez moi », « moi et ma femme, c’est vrai qu’on a des enfants mais...» il ne continue pas et reprend l’histoire de la victime et de sa mère : « cette femme est sale, sale pour elle seule, pourquoi elle insulte », il s’entend mal avec sa femme, elle le dégoûte. Un malentendu ou une bagarre avec celle-ci serait derrière le déclenchement du passage à l’acte
La haine envers la femme avec toutes les images qu’elle représente ; l’enfant, l’épouse, la mère, les images de sa femme, de sa mère, de sa victime se confondent toutes. Tout cela nous fait supposer un vécu traumatique narcissique précoce, mal supporté par l’enfant.
Découvrant l’absence de phallus de sa mère, et suite à une absence d’identification secondaire avec le père, l’enfant n’a pas réussi à supporter cette réalité, le fantôme de la mère castratrice lui revient avec sa femme qui se traduirait par une haine ultérieure de tout féminin. D’autre part, A.S est le cadet145, l’arrivée d’un autre enfant peut marquer l’infidélité de sa mère, A.S dorénavant n’est plus l’objet du désir de sa mère, les propos cités ci-dessus peuvent révéler ces éléments en évoquant la « mère putain » ;
A.S a une seule obsession, c’est d’avoir une maison propre à lui, de construire sa propre maison, serait-ce un substitut du phallus castré ou recherché ; serait-ce le besoin de pénétrer dans l’espace que représente la maison ?
Tout au long de l’entretien, il essaie de nier ce qu’on lui a rapproché, il nous dit que la petite fille s’est approchée de lui pour qu’il lui achète des friandises, il l’a chassée, il a continué son chemin (à pied)..., plus tard à une question concernant son respect de la loi, il répond : « durant toute ma vie, j’ai jamais fait quelque chose d’illégal que celle-ci, je vais te la raconter, elle me torture et torture mon coeur, elle est écrite ! » il semble qu’il fonctionne sur un certain clivage qui le protège, c’est un clivage défensif. Pour lui, toute l’affaire est due au hasard, comme pour dire qu’elle est écrite dans le ciel : « c’est la faute de la vie seule » ; que veut-il dire par cette expression, qui est la vie ? Est-ce sa mère séductrice, son père carent qui n’a pas su lui transmettre le rapport à l’interdit ni à la parole? « Je m’éloigne du Haram146 (c’est quoi le Haram ?) n’importe quoi, le vol par exemple, n’importe quelle chose est Haram », cela nous fait revenir à l’éducation sévère de S.A et l’intensité du rôle de la religion dans son éducation, pour lui, il y a une certaine globalité : « n’importe quelle chose est Haram », ce qui favorise le phénomène de refoulement, son énergie libidinale est en grande partie refoulée , nous ne savons rien de ses activités sexuelles précoces qui sont certes, restreintes par sa culture, mais riches de fantasmes, son passage à l’acte si violent où le doigt remplace le phallus nous le montre.
S.A. semble dans la phase préoedipienne, la scène primitive réveillerait une charge excessive de représentations, d’affects et de fantasmes...de sorte que restent longtemps sans solution acceptable des questions fondamentales qui concernent la réalité sexuelle, y compris la différence des sexes. Le doigt remplacerait la présence d’un phallus castré ou perdu et tant recherché ?
- Dans cette société, il arrive souvent que la femme va travailler dans les champs, l’époux restant chez lui jouant aux cartes et buvant du thé.
- sa femme.
- Chez eux, le rôle de la femme est principalement dans la grossesse, chaque an ou deux, il y a un nouvel enfant jusqu’à l’atteint de l’âge de la ménopause.
- En Islam, le « Haram » est tout ce que Dieu interdit à l’humain, pas seulement le vol. En effet le «Haram» en Islam équivaut à l’interdiction décrite dans toutes les autres religions y compris les agressions sexuelles.