Au début de l’entretien, on pouvait clairement remarquer son inconfort. «Notre relation était bonne (il frotte ses doigts) à Bagdad (il regarde son ongle) mon père est en principe couturier, ma mère est femme au foyer, éduquée de même (il veut dire comme lui-même, M.M nous signale clairement la différence intellectuelle entre le père couturier149 et la mère éduquée qui a son brevet, lui et sa mère font la même partie.), j’ai un frère et une soeur, je suis le dernier, la relation avec les voisins est bonne», (il tire son oreille). En lui demandant s’il avait une mauvaise relation avec un de ses parents, il nie vite, comme s’il veut échapper à une certaine réalité : « non, non, au contraire- ces réponses ne sont pas si précises, comment sais-tu le vrai du fictif, nombreux sont qui jouent des rôles, ils ne donnent pas des vraies réponses », ajoute-t-il. D’un côté il idéalise sa relation avec ses parents et d’autre part une problématique du vrai et du fictif est déclenchée, qui est fictif ? M.M n’a pas confiance dans les grandes personnes, voire les adultes, ces derniers mentent, ils dérobent la vérité, ils la fabriquent. Ses parents ont-ils réagi de cette manière face à ses questions sur la vie sexuelle ? Dans tout le reste de l’entretien, nous remarquons une absence claire du père, il ne parle pas de lui, il ne le signale en aucune occasion ni de près ni de loin, cela nous laisse douter de la vraie relation avec lui, à la fin de l’entretien seulement, nous allons savoir que le père était diabétique, et qu’il est resté cinq ans au lit avant son décès, un an avant l’entrée de M.M. au Liban. La maladie du père semblait sérieuse, il semble qu’il était obligé de se retirer loin de l’activité de la famille et de l’éducation de ses enfants, de même on ne sait pas comment la famille, l’épouse et les enfants réagissaient devant cette situation, comment la mère menait la famille seule, d’ailleurs, M.M. débute l’entretien en nous laissant croire à une retraite précoce du rôle paternel, « mon père est en principe couturier » s’il était en principe couturier, qu’est-il devenu ? Il a perdu son métier, son identité150 semble-t-il, ce qui veut dire qu’il n’est plus capable de soutenir sa famille de tous les côtés économiques, sociaux et surtout psychologiques. Le père est soi-disant inexistant dans le vécu infantile. Il est souvent malade, il est peu croyable qu’un tel événement soit resté sans conséquences sur le fonctionnement psychique de l’enfant. Le traumatisme infligé par le père serait au premier plan. Un père malade, chômeur, qui ne prend pas ses responsabilités, faible, devant une mère éduquée, ce qui lui donne normalement, aux yeux de l’enfant, beaucoup de points au départ en plus que le père. Devant une telle imago, M.M. perd le repère d’identification de même son identité sexuelle est perturbée
En lui demandant de parler de sa mère, il répond « la mère est un soleil, quoi, elle éclaire, les deux sont pareils (il veut dire, le Père et la Mère), les deux accomplissent l’un l’autre, je leur ai causé du mal, je me rends compte maintenant... quelques instants...parfois » les imagos parentales se confondraient, tout d’abord, une idéalisation du rôle maternel est claire puis les images se confondent, il nous parle non de son propre père mais d’un père avec un “p” majuscule.
Un sentiment d’angoisse et de détresse l’accompagne, surtout après son entrée au Liban, il était obligé de quitter son pays natal pour se réfugier au Liban, le sentiment d’inquiétude et de tristesse le suit où il va, la peur agace ses nuits, ne le laissant pas dormir. La peur de la nuit, de l’inconnu traduirait un sentiment d’abandon : « je ne sens pas que je suis reposé, l’homme hors de son pays, ne se repose pas, la nostalgie est perdante », loin de la mère, il se sent angoissé, son pays représente sa mère ; l’espace auquel il appartenait, son agression au Liban, loin de son pays, comme représentant de sa mère serait-il substitut de l’envie d’avoir pénétré la mère ?
« C’est l’indifférence à l’étranger, ma vie est devenue vide malgré que j’étais sérieux dans mon travail mais je me sentais vide », il passe son doigt plusieurs fois, sur la table en dessinant un cercle. « La mère est le principe de tout » elle est l’origine de tout le point de départ et peut-être bien encore le port, « l’étranger » est devenu tout lieu hors de la mère, il vivrait toujours le sentiment de perte, de l’abandon loin de ce cercle qui forme l’intérieur ; voire la mère. Il paraît avoir un conflit concernant l’unité mère-fils, il redoute de perdre l’objet primaire. De même, ici, on peut remarquer l’influence des doctrines spécifiques de sa société disant que pour réussir, un homme doit être sérieux dans son travail ou autrement dit pour être un homme on doit bien faire notre travail, son père ne l’était pas, il était « en principe couturier » à partir de là et jusqu’à son décès, il n’avait pas du travail, il a perdu son identité, il était rien au yeux de l’enfant, au mot père, il se trouve incapable et même muet, après quelques instants de silence il dit : « Qu’est-ce que je te dis sur le père par exemple », et il fait signe de rien avec les mains. L’absence du repère d’identification a contribué à l’élaboration d’un Surmoi défaillant du garçon.
Il débute sa vie sexuelle à l’âge de quatorze ans, on ne sait pas comment et avec qui, ce qui fait lacune, en lui demandant s’il est satisfait de sa vie sexuelle, il éprouve le besoin d’avoir d’amples explications pour savoir de quoi on parle : de la relation elle-même, du partenaire ou de lui-même, il l’idéalise, en nous disant qu’il en est toujours satisfait.
« Si je m’aimais, j’aurai pas dû arriver ici », « je suis certainement plus mauvais que les autres », il mange son ongle. Il est plus « mauvais » que les autres, s’agirait-il de sa curiosité enfantile sur la vie sexuelle, celle du désir d’y prendre la place du père ou de ses jeux sexuels.
Il se sous-estime « toutes mes idées se combattent dans ma tête, le résultat c’est que je reste toujours à ma place », « je suis toujours triste, il y a de la joie mais en pourcentage » chez M.M. prédomine un fond dépressif qui est conséquence d’une perte, voire d’une impossibilité d’objet d’amour. Un rêve nocturne répétitif pourrait éclairer nos interprétations mais malheureusement M.M refuse de nous le raconter.
En parlant d’une situation qui l’agace, il essaie de nettoyer une tâche qui n’existe pas sur la table, il la frotte en faisant du bruit. Quelle réalité voudrait-il effacer ? L’infidélité de sa mère « putain », l’envie de remplacer son père comme objet du désir de la mère ou un souvenir traumatique d’une agression ?
Plus tard, un témoignage nous révèle un sentiment de tristesse « sûr, il y a tristesse, il y a de la joie en pourcentage », il regarde la terre de l’autre côté.
De sa responsabilité sur le délit commis, il nous raconte une histoire tout a fait loin de la logique dans une tentative de déresponsabilisation, « le sort et deux personnes sont responsables de cette catastrophe ».
M.M semble être dans la phase pré-oedipienne, il a mal vécu la séparation avec sa mère, son identité subjective serait perturbée, l’absence de l’identification secondaire et du repère d’identification a de même perturbé son identité sexuelle. Ce qui nous renverrait à une non-résolution de ce stade, l’enfant n’aurait pas pris conscience de la différence des sexes ni de son identité sexuelle. De même, on se demande de quelle façon l’enfant a imaginé les rapports entre ses parents. M.M semble avoir une immaturité affective, incapable d’établir une relation sexuelle normale avec des partenaires de son âge. Ses rapports avec les autres seraient orientés par la médiatisation parentale.
« Je sens parfois une amertume dans la bouche, je ne sais pas », sa frustration et le sentiment d’abandon et de nostalgie seraient-ils derrière son passage à l’acte dans le but de combler le vide affectif ?
- Chez eux, on apprend le métier d’un autre couturier.
- Dans sa société, le père de la famille est le capitaine du navire, il tresse la vie des autres membres, lui reviennent les grandes décisions, de même, il doit soutenir la famille économiquement, socialement et être prêt à répondre aux besoins de tous les autres membres.