Comportement durant l’entretien :

Répond volontiers cependant il ne cesse de nier son crime tout au long de l’entretien. Ne conçoit pas son acte comme un crime.

Interprétation

Il débute l’entretien en nous faisant croire à son respect envers ses parents et par suite à la loi qu’impose la société. « Je respecte beaucoup les parents, mes parents n’avaient pas d’aide, je travaillais et leur envoyais de l’argent, mon père nous a beaucoup gâtés, quoi qu’on fasse, il n’aimait pas nous frapper, ma mère est une pauvre être, je me suis éveillé sur le fait d’une réalité que ma mère n’entend pas, on parlait fort ou on mettait notre bouche sur ses oreilles (la traduction exacte du mot, il n’a pas dit « approchait » mais « mettait », (mettre quelque chose, c’est pénétrer, cependant, il ne dit pas « dans » mais « sur » qui laisse l’acte de pénétration inachevé et impossible d’accomplir, serait-il signe d’un désir inconscient de pénétrer la mère ou d’être pénétré ?) Parfois, elle comprenait par les signes, on abordait pas tous les sujets avec elle, après quelques années, elle a eu l’humeur vitrée et a perdu la vue. Elle communiquait par les signes avec mon père, une fois, ils se sont querellés, il l’a frappée, je l’ai défendue en disant ; ces jours, on ne bat que les vaches, maintenant, on bat plus, à ce moment, j’avais dix ans, avant de quitter la maison, notre maison était de terre, une chambre et une cuisine, on y dormait, on y étalait des matelas, on s’occupait de la terre, on jouait pas ».

Beaucoup de contradictions dans son récit, tout d’abord, il essaie d’idéaliser sa relation au père, qui ne les frappait guère, cependant nous ne comprenons pas comment un tel père, si pacifique qu’il soit avec ses enfants est si agressif avec sa femme handicapée, poussant un enfant de dix ans à intervenir face à sa violence, utilisant la morale des grands et des expressions dures. La mauvaise entente des parents nous semble mal vécue chez l’enfant.

D’autre part, l’association libre nous fait douter de la réalité de plusieurs faits comme la fugue de la maison ; quelles fortes raisons obligeaient un enfant de onze ans à quitter le milieu sécurisant que représente la famille, si ce n’était que la perte du sentiment de protection ? Est-ce vraiment l’ennui de la culture ? Une fugue définitive de la maison, pour un enfant de onze ans, qui est toujours enfant, l’obligeant à s’enfoncer dans le monde des adultes avec ses défis et dangers. Nous ne savons pas comment il a pu survivre à un tel événement et ce qui s’est passé pour lui. Ce n’était pas facile pour un enfant dépaysé, venant d’un village à peu près oublié, de se lancer seul dans le monde des adultes, où il n’avait ni amis ni parents. De cette période, il ne dit rien, pourtant elle nous semble très importante. Recouvre-t-elle de dures réalités ?

D’autre part, en ce qui concerne la maladie de la mère ; sa faible ouïe et plus tard la perte de vue ; avant son mariage, elle était jeune et en très bonne santé, des scènes de violence seraient-elles derrière ses handicaps ?

« La vie m’a beaucoup agacé, si mon fils m’adresse la parole, je trouve nulle envie de lui parler », « le fait de penser à ma famille et mes enfants, cela m’angoisse », « jusqu’à présent, j’ai rien accompli, cinq enfants sont entassés les uns sur les autres, dans la chambre à coucher, mon épouse et ma fille dorment ensemble, les garçons dans une autre, moi sur un matelas dans la salle de séjour », il apparaît que sa relation avec sa femme est en difficulté, de sa vie affective, il révèle sa non satisfaction à présent de sa vie sexuelle, il éprouve son dégoût envers tout surtout après « l’accident » (le procès). D’autres témoignages révèlent sa timidité et son incapacité à mener des relations amicales normales, trouvant une difficulté à prendre n’importe quelle décision, fatigué de vivre, il éprouve le désir d’un suicide « mon âme est très misérable, la vie me dégoûte, si j’aurais pas peur du Dieu, j’aurais dû me suicider », « je m’aime pas à cause de ces procès, je me dégoûte de moi-même car je suis entré ici, opprimé » ; loin d’être un sentiment de culpabilité, il semble qu’il se protège derrière un certain mode de clivage qui lui sert encore dans la conception de son acte: « c’est de ma faute, car j’ai fait du bien » du quel bien il en parle ? Est-ce de l’amour envers les enfants ?

O.B est très timide, n’a pas beaucoup d’ami, le plus souvent il est très angoissé, une obsession lui cause des insomnies, « une chose précise m’oblige toujours à y penser, je dors jamais, je descends pas à la cour161, j’ai aucune envie de voir n’importe qui », malheureusement, l’entretien ne nous donne pas la possibilité d’en savoir plus.

La maladie de sa mère ne pourrait pas être normalement vécue surtout si le père était derrière ces handicaps. Il semble que sa vie soit influencée par l’imago d’une mère instable, présente mais véritablement absente, incapable malgré elle de répondre aux besoins de son enfant, cela peut nous renvoyer à la « bonne » et « mauvaise » mère de Mélanie Klein.

Son identité sexuelle est perturbée, il nous révèle plus tard qu’il n’est plus satisfait depuis longtemps ni de sa vie affective ni de sa vie sexuelle, tout le dégoûte «à cause du procès que j’ai eu, quand je vois une femme, c’est comme si j’avais vu l’ange de la mort», il paraît qu’il fonctionne suivant un certain déplacement, sa haine envers sa mère est rejetée pas seulement sur la mère de la victime mais sur n’importe quelle femme, nous pouvons détecter la peur de castration provenant de la mère qui est à ses yeux pareille à « l’ange de la mort », qui prend l’esprit de l’être vivant et la mère qui peut castrer, il ajoute « quand, je sortirai d’ici, je veux la tuer, la morceler, elle m’a fait perdre, pas de justice au Liban, je veux prendre une identité israélienne » le sentiment de la haine se déplace vers la mère de la victime qui a porté plainte, puis vers toutes les autres femmes. Au lieu de donner la vie, la femme devient aux yeux de O.B. celle qui l’ôte, pourrait-il nous envoyer à la peur de castration provenant de la mère ? Des cauchemars répétitifs traduisent la peur de l’anéantissement, d’effondrement et la peur de castration « des scènes terribles de meurtre, combats, de tirs, des serpents...» Enfin, la haine se déplace et devient adressée à l’état libanais.

La scène primitive joue un rôle très important dans la vie de O.B. Quand je lui demande s’il y a un secret qu’il sent le besoin de le partager, sa réponse vient vite révélant la scène primitive « un secret, c’est quoi alors, un garçon qui surprend sa mère ou son père, non, non, si un homme veut faire l’amour a sa femme, il laisse personne soupçonner, nous par exemple, on sortait le jour, il pouvait (son père) la baiser durant ce temps-là, non, non, ça nous est jamais arrivé ». Ce paragraphe peut nous montrer l’importance des fantasmes de la scène primitive.

Il semble que O.B. soit toujours dans la phase oedipienne, de même il n’a jamais vécu son enfance, obligé de travailler dès sa précoce enfance, n’a jamais eu le privilège d’avoir un jouet, devant une mère instable handicapée, ne pouvant être un repère d’identification primaire pour son fils, un père violent, présent mais ne pouvant servir à son fils de repère d’identification secondaire et d’intériorisation, O.B. n’acquiert pas une identité sexuelle normale et suite du manque d’un repère secondaire, il n’acquiert pas non plus une notion stable de différence des sexes ni celle des générations.

Timide, hésitant, incapable de mener des relations satisfaisantes avec les adultes, passerait-il à l’acte, attaquant l’enfant par déplacement de l‘excitation compulsionnelle déclenchée par l’effondrement de la mère, passerait-il à l’acte comme moyen de sauvegarde face à son propre sentiment d’anéantissement ?

Il refuse de dessiner.

Notes
161.

- La cour de la prison.