Interprétation

C’est vrai qu’on a eu un seul et unique entretien auprès de notre sujet, mais celui-là a pu nous donner les clés de son délit.

E.W représente un cas très intéressant, sa vie est riche d’événements et d’affects. Il débute l’entretien, comme la première question l’exige, par les souvenirs de son enfance. Leur maison était formée de deux chambres uniquement, trop petite pour abriter quinze personnes y inclus ses parents. Une fois encore, un travail d’enquêteur s’impose. E.W vivait dans une famille conflictuelle, source de conflits, son père, très jaloux, très soupçonnant, est de dix-huit ans plus âgé que son épouse : « elle a âge de sa fille ». L’épouse, très jeune, issue d’une famille relativement pauvre : « elle l’a épousé pour son argent, ma mère est pauvre », elle s’est mariée à l’âge de 15 ans, un petit calcul nous fait obtenir les résultats suivants, elle a eu son premier enfant à âge de 17 ans, le second à 18 ans, le troisième ; notre sujet à 19 ans, et ainsi de suite chaque année, le fil s’écoulait, autrement dit, elle avait chaque année un nouveau-né.

« Ma mère est morte avant mon père, j’avais 38 ans, elle a eu une hémiplégie, elle avait 55 ans, mon père était plus âgé de 18 ans qu’elle, leur relation, sans cesse des querelles et de coup de violence, il la battait, quand, quelqu’un épouse une, qui a l’âge de sa fille, il était soupçonnant, il doutait d’elle, jalousie et soupçons, elle l’a épousé pour son argent, elle était pauvre, cela nous (les enfants) causait beaucoup d’angoisse, nous étions toujours avec elle, le droit est avec elle, il doutait toujours d’elle, il était très opprimant. Ma mère nous frappait pas, mon père nous battait beaucoup, il battait fort avec n’importe quoi ; une ceinture, ses pieds, sauvagement, il est mort par homicide, j’ai participé à sa mort avec un copain, j’étais premier complice à cause de cette haine, mon père était dictateur, il tenait toutes nos décisions », à la fin de l’entretien, il nous révèle un secret : ils ont découvert, ses frères et lui, que leur père menait une relation incestueuse avec leur petite soeur qui avait 12 ans, ils163 voulaient porter plainte mais leur oncle et tante paternels ne leur ont pas permis, la tante prend la petite soeur en charge jusqu’à son mariage. Nous ignorons s’il avait eu d’autres relations incestueuses avec les autres filles ou si E.W lui-même a subi de telle relation ? Devant le mot « père » il reste quelques instants muet, regardant la terre puis un proverbe rimé de la langue maternelle l’aide à en sortir pour dire que « s’il est bon, c’est une grâce, s’il est mauvais, cela est pire »

Un père âgé, très violent, tout puissant, à lui seul revient toutes les décisions, tresse la vie de tous les autres membres de la famille, la violence devient l’unique moyen de communication avec ses enfants, l’association libre nous montre que suite à sa violence, il a subi la mort suivant le même mode même de communication ; la violence.

Incapable d’être un objet d’identification et d’intériorisation, l’identité personnelle et celle sexuelle de E.W semblent perturbées, de même il n’acquiert ni la différence des sexes ni celle des générations, cependant E.W ne pouvait pas vivre sans un modèle d’identification, il se remarie avec une fille qui avait le même âge que sa mère lors de son mariage avec son père, serait-ce un moyen d’essai d’identification ? D’autre part, il attaque un garçon de 12 ans, ayant le même âge que sa petite soeur agressée par le père, serait-ce un autre moyen d’identification ?

Suite à un grave accident de voiture, on lui coupe un bras et il devient handicapé, cet accident le mettrait-il face à un sentiment d’effondrement renouvelé après coup ? Il nous semble qu’un traumatisme narcissique est mal vécu, car suivant ses dires, les médecins proclament qu’il a eu un état de schizophrénie ; loin d’être personnellement en mesure d’en juger, mais ce qu’il nous paraît, c’est que notre interviewé n’a pas perdu la relation entre le Moi et la réalité.

Le désir de remplacer le père, désir de tuer le père

Le décès de la mère aurait-il déclenché le passage à l’acte parricide ? L’effondrement réel de la mère, aurait-il mené vers un sentiment d’effondrement personnel de E.W ? la mort du père est symbolique et fantasmée ; l’aspect nécessaire de l’anéantissement de l’autre. La mort de son père aurait procuré la satisfaction d’un désir inconscient qui, s’il avait été assez puissant, aurait provoqué sa mort ? L’existence de l’un n’étant possible que par le meurtre de l’autre.

La mère, très belle, séduisante, devenue mère à un âge très précoce, il semble que E.W vivait dans un conflit ; une mère jeune, séduisante, jamais stable pour répondre aux besoins de son enfant, comme signe d’infidélité envers lui, à chaque année, elle tombait enceinte d’un époux qui « a l’âge de son père », qu’elle avait été obligée d’épouser pour fuir la pauvreté de sa famille d’origine. Avoir un nouvel enfant, comme preuve renouvelée pour E.W de l’infidélité de sa mère, c’est qu’une autre personne prend sa place dans la satisfaction libidinale de la mère. L’objet primaire, chez E.W, semble-t-il, était sans cesse mis en jeu par une peur d’abandon, et par suite son propre anéantissement, surinvesti par le sentiment d’effondrement de la mère elle-même, comme résultat du comportement violent du père jaloux et très agressif avec ses enfants, l’identité subjective de l’enfant parait perturbée.

Après avoir envisagé les importantes dates relatives à la vie de E.W, nous constatons que ce dernier avait 38 ans quand sa mère est décédée d’une maladie, qui normalement attaque les vieilles personnes ; E.W, à ce qu’il paraît, accuse le père de son décès précoce, due à ses mauvais traitements. La séparation réelle avec la mère nous semble mal vécue par E.W, car quelques mois après, il participe et organise le parricide que, à cause de son handicap (la perte de son bras) il ne peut l’accomplir seul.

Face au mot « enfant », il répond «belle», à signaler qu’en arabe, contrairement à la langue française « enfant » veut dire un enfant masculin, un autre mot correspond au mot féminin, nous remarquons que sa réponse vient au genre féminin, cela peut nous renvoyer à l’unité mère-fils et le traumatisme vécu de la séparation qui est ressenti après coup par la mort et la séparation réelle de la mère. Au mot « mère », encore une fois un proverbe puisé de son milieu social : « celui qui n’a pas une mère qu’il s’enterre », la peur de la perte de l’objet primaire et par suite absence de l’identité primaire. D’autre part, par le fait de son remariage plusieurs fois, chercherait-il une imago maternelle insaisissable ?

Les conflits, les affects dûs à sa vie, le mènent vers l’alcool et la drogue, il commence à les consommer très tôt : « je consommais toute sorte de drogue à un âge très précoce », mais selon nos expériences auprès des agresseurs sexuels, nous pouvons affirmer qu’il ne consommait que le hachisch car contrairement à la cocaïne, la consommation du hachisch ouvre l’appétit et ne cause pas des hallucinations ni des insomnies, ce qui est le cas de notre interviewé!

Il attribue les circonstances qui l’ont amené en prison à ses parents : « c’est la faute de mes parents », puis rapidement il ajoute « ma mère est victime de la société musulmane ; un système arriéré », de quoi est-elle victime ? Le contenu de l’entretien nous fait défaut. Ce propos de même évoque l’ambiguïté des sentiments envers la mère, la haine et l’amour ; E.W peut se raconter une histoire, « c’est de sa faute que je suis venu ici, c’est sa faute que j’ai eu l’envie de la remplacer, c’est sa faute que j’ai anéanti le père », le parricide pourrait être un désir maternel inconscient, agirait –il au gré du désir maternel ? Mais elle est elle-même victime alors toute la haine est projetée sur le père. « Je suis perdant en tout, je le suis pas de moi-même, mes parents me l’ont fait perdre, les deux parents », après un essai d’idéalisation de l’image maternelle, les deux imagos parentales se réunissent de nouveau pour dénier à l’enfant l’envie de remplacer la mère auprès du père, ce désir menace l’enfant et provoque la peur d’effondrement. L’ambivalence de l’amour et de haine comme la définit Hesnard (1949) témoigne avant tout de l’immaturation d’un sujet qui, par cet acte tente de nier sa faiblesse, d’affirmer sa toute puissance et d’échapper à la psychose.

Il semble que nous soyons face à un oedipe renversé, E.W avait le désir de remplacer sa mère séduisante auprès de son père, cela provoquerait-il le sentiment de la punition de la part d’un père violent qui, aux yeux de E.W. va plus loin que la castration vers l’anéantissement complet. Le garçon victime et le père de l’interviewé deviennent le propre double du sujet. Tuer le père au lieu de se tuer, anéantir le père au lieu de son propre anéantissement, sodomisant la victime, autrement dit, pénétrer pour traduire l’envie d’être pénétré ?

Note : À cause de son handicap, la proposition de dessin est éliminée.

Notes
163.

- Lui, sa mère et ses frères.