Interprétation

J’ai peur que cet entretien présente peu d’intérêt pour notre étude, son contenu nous révèle peu d’informations, le sujet n’était pas dans un état de consentement, on n’a pas pu accéder aux informations subjectives de l’individu, ni à sa biographie. Il n’a pas évoqué ses souvenirs d’enfance ni sa vie familiale, il ne voulait pas nous faire entrer dans son monde, il était bref, répondant souvent par oui ou non, de son incarcération, il nous raconte un conte qui manque totalement de la moindre logique, intelligent à mon avis, loin d’être dans un délire, il mélange les données, cache des autres. J’ai essayé souvent de respecter ses moments de silence, ses arrêts et en même temps de réussir l’entretien et d’en sortir avec le plus possible d’informations.

En conclusion, cet entretien aurait besoin de plusieurs rencontres pour une meilleure interprétation. Cependant, nous allons essayer de décrypter ses dires avec ce qui serait utile à notre étude.

Il parle peu, raconte peu de choses de sa famille d’origine, cependant il l’idéalise «la vie était très naturelle, notre maison est formée de trois chambres, la relation avec les parents est très naturelle, pas de problèmes» puis arrête de parler, (pourquoi tu as quitté l’école ?) De sa réponse, on sait que sa mère est syrienne et que durant la guerre libanaise, ils étaient obligés d’immigrer de leur quartier vers la Syrie où ils passent trois ans, une fois retournés, ils s’installent cette fois-ci au nord, où il double deux fois sa classe, à cette période il avait 14-15 ans, ses parents ne l’envoient plus à l’école. En plus la situation économique a obligé tous les membres de la famille à travailler, la mère faisait le ménage d’une école, lui commençait à apprendre son métier actuel, seule la fille aînée restait à la maison.

Un enfant, vivant au bord de la capitale, dans la ceinture de misère169 que la pauvreté l’empêche à faire entrer. Un enfant, témoin de luxe des autres, membre d’une famille incapable de répondre aux exigences auxquels elle doit satisfaire, tout ceci trace son premier chemin vers l’inadaptation.

L’absence de la mère et du père dans cet entretien peut indiquer l’intensité du conflit entre leurs rôles, l’entretien ne signale aucun sentiment de haine ni d’amour envers une de ces personnes, « ma mère est une vieille dame », l’unique phrase se rapportant à elle, un moyen pour l’excuser car elle ne lui rend pas visite, l’unique visite était pour lui transmettre la décision du tribunal (j’en doute, car normalement il doit assister à tous les procès), serions- nous devant une ambivalence de sentiments envers la mère, d’un côté ça peut évoquer la mauvaise mère, cette dernière qui n’est pas réellement vieille (d’après nos propres enquêtes) ; à ce qu’il semble sur le niveau affectif, elle n’assurait pas les divers soins à l’enfant si importants à son développement, de l’autre côté l’idée de la bonne mère est de même évoquée, au mot « mère », il répond vite par « tendre », tandis qu’il entre dans un profond silence face au mot « père », puis demande des explications « quoi, je dois parler de mon père, je ne comprends pas, je parle de lui » il frotte ses doigts, de même devant le mot « fils » nous sommes devant la même situation, il semble qu’il ne se situe pas par rapport à son père, un père absent qui ne joue pas le rôle d’un repère d’identification, nous aimerions en savoir plus à ce niveau mais malheureusement, cet unique entretien nous fait défaut.

« Mes parents ont choisi mon épouse, c’est une fille du village170, sans amour, rien du tout, ils me l’ont fait épouser ». Il nous raconte plus tard que son enfant aîné est né prématuré (du septième mois) durant qu’il était en prison, d’autre part, son passage à l’acte ainsi que son incarcération sont exécutés après 10 jours de son mariage « ma femme était enceinte quand on m’a arrêté, elle a accouché le septième mois de sa grossesse » toutes ces données, son mariage forcé, la grossesse de sa femme (10 jours après le mariage), l’enfant prématuré nous font douter de la vérité de son mariage et de son premier enfant, serait-il le résultat d’un viol pour lequel on l’a forcé à épouser la victime ?

« Je pense à ce que je veux» : serait-ce pour dire qu’il possède la liberté de penser, de préparer minutieusement le scénario du passage à l’acte, les détails du procès montrent qu’il a transporté sa victime dans sa voiture en lui faisant croire que c’est un véhicule de taxi, à 8h30’ le matin, dix jours seulement, après son mariage, ce dernier serait-il derrière le déclenchement du passage à l’acte ?

« Je sens parfois un goût bizarre dans la bouche », réaction neurovégétale. Préparait-il le scénario, de bon matin, il est sorti de sa maison (il vivait avec ses parents), errant dans les rues à la recherche de sa victime. Ce goût serait-il une réponse à cette contrainte si forte avant le passage à l’acte ?

« Je sens parfois quelqu’un qui me touche, ça m’arrive en dormant », serait-ce en relation avec la scène primitive, ou des traces d’une agression subies sur le sujet ?

« Dans le cas de problème ou de mal entendu, je m’éloigne », il joue avec ses doigts. G.D n’affronte pas les problèmes, s’enfuit, ne trouve pas le courage pour le faire, il s’échappe. Il n’a pas d’amis, de sa vie sexuelle, il dit qu’il est satisfait.

Au cours de l’entretien, il signale de loin la présence de quelques problèmes familiaux, d’une façon superficielle et sans détails, mais de son compte rendu sur son incarcération, et après de longues réflexions sur le contenu de l’entretien, nous avons pu déceler la présence d’une mauvaise relation avec le père, un père exigeant, qui dirige la vie de son fils. Si, comme inconsciemment il voulait nous montrer du loin, la nature de son père, sans en parler directement ; ambiguïté de sentiment de haine et d’amour.

G.D, n’ayant pas la capacité d’établir de relations amicales ni sociales ordinaires, n’ayant pas un repère d’identification secondaire, timide, se sentirait-il impuissant devant un père exigeant qui dirige en quelque sorte la vie de notre cas ? Ce dernier, une fois forcé à se marier (s’il a auparavant violé sa femme ou non), ne supporterait pas une exigence venant encore une fois du père ou de ses deux parents, choisit un être plus faible que lui, passe à l’acte, qui n’est que signe de sa puissance, de sa force, et de son pouvoir d’établir une relation comme il ne peut pas le faire normalement. Devant ce sentiment d’anéantissement, il passerait à l’acte, avec violence, il pénètre, mais pour lui, c’est pénétrer un autre monde propre à lui.

Notes
169.

- Une expression très utilisée au Liban pour indiquer le cercle rond qui entoure la capitale de tous les côtés, formé par les émigrants dits intérieurs (des villages vers la capitale) et qui n’ont pas pu s’y intégrer.

170.

- Normalement dans son village, le mariage forcé se passe dans la parenté et tout spécialement entre les cousins, ça peut parfois s’exercer dans le cas d’intérêts matériaux (richesse, intérêt politique, etc....), aucune de ces deux possibilités n’est le cas de G.D.