Interprétation

Il débute l’entretien en parlant de son père : « l’état était désastreux, mon père était employé, il était atteint par le malheur de l’alcool et la drogue, c’était pire. Ma mère était très bonne, je l’aime beaucoup, elle a beaucoup sacrifié, mais était face à l’état contraint, elle travaillait dans les maisons (faisait les ménages), moi, mes oncles sont des millionnaires174 mais ils ne nous prêtaient aucune attention, à cause des drogues, le plus important était que ma mère était très bonne, elle essayait de nous corriger, elle pleurait du sang175 sur nous, moi, je suis l’aîné, le reste sont petits. Mon père se querellait beaucoup avec ma mère quand il buvait ou consommait de la drogue, moi, ça m’agaçait. Notre maison était de trois chambres ; une cuisine, une chambre où dorment les parents, l’autre pour les enfants, on y allongeait des matelas »

Nous sommes face à deux versants concernant les imagos parentales, d’une part, un père présent-absent, qui consommait de l’alcool et de la drogue excessivement, qui ne répondait pas aux besoins de sa famille, un père carent, à ce qu’il paraît et selon les dires de R.K. qui non seulement a affecté son propre développement psychique mais aussi celui de ses autres frères, obligeant la mère à intervenir face aux problèmes d’inadaptation ou de déviance de ses enfants. Un père carent, ne pouvant pas accomplir les tâches ni le rôle paternel comme source d’affection, de stabilité, de sentiment de sécurité et de support matériel, par suite l’enfant perdrait son point de repère et d’identification secondaire, de même son père était inapte à lui transmettre les limites, les normes et la loi. R.K. commencerait tôt son chemin dans l’inadaptation, parmi les premiers symptômes que l’entretien nous permet de connaître, il y a son retard scolaire, il arrive au CM2 à l’âge de quinze ans. R.K. supporterait mal cette carence et ne pourrait pas vivre sans une imago paternelle forte, dans une recherche de substitut, il rejoint un parti armé ; quand il quitte l’école, il y reste huit ans où il apprend pour la première fois à consommer de la drogue.

Il obtient selon ses dires, un statut très important dans le parti et le quitte suite à un coup de feu dans la tête. Après sa réhabilitation, il l’abandonne définitivement, et à cette époque, il se réfugie vers son beau-père qui lui apprend le métier de maçon. Mais dans cette période, il s’enfonce de nouveau dans une consommation excessive de drogue et il ne peut plus retourner en arrière, sa seule obsession devient de trouver le moyen pour en acheter : « ça m’agaçait tellement, j’y pensais beaucoup, comment avoir de l’argent, je volais pour en acheter. J’ai beaucoup essayé d’arrêter mais, un, deux jours et la crise viendrait » R.K ne peut vivre sans identification, plus tard et malgré sa peine et sa souffrance de la toxicomanie de son père, il s’identifie à lui et pratique lui-même la drogue. Dans le repère d’identification, R.K. ne se situe pas, devant les mots « enfant, fils, fille » il est face à un silence puis nous demande de les sauter.

Selon Winnincot, quand les parents cessent d’être pour l’enfant source de sécurité ce dernier va la chercher tout d’abord chez d’autres membres de famille avant de prendre le chemin de la délinquance ; pour notre cas, ni le beau-père ni le parti, n’ont pu se substituer ou remplacer cette imago tant cherchée mais trouvée nulle part ; il semble qu’il cherche son identité personnelle et sexuelle, sa puissance d’exister ; la trouverait-il dans le viol ? Le viol serait-il le seul moyen pour se prouver son existence ?

D’autre part et au niveau de l’imago maternelle, il essaie d’idéaliser à tout moment une mère rendue vulnérable par la pauvreté, la misère et surtout les mauvais comportements du père ; cependant les raisons pour lesquelles la mère haïssait la femme de R.K. et ne l’acceptait pas nous font défaut. R.K. est son fils aîné, pour elle, son mari ne remplissait pas son rôle d’époux ni n’était source de sécurité ; serions-nous face à des désirs incestueux d’une mère vers son fils ? En tout cas face à sa jalousie envers sa belle-fille.

Que chercherait-il dans sa relation d’amour et son mariage précoce, que représenterait pour lui, son amante, son épouse actuelle ? Serait-elle l’imago d’une mère perdue?

Autre que le déni, comme moyen de défense, sa souffrance et son vécu traumatique l’ont endurci, il est à présent incapable de pleurer, il essayait de pleurer chez les enquêteurs (lors de l’enquête pour en finir avec les coups, mais en vain), la seule fois qu’il a pleuré durant son enfance, c‘était lors du décès de sa tante paternelle, il l’aimait tant, il paraît qu’il a mal vécu cette séparation. Cela nous interroge sur le sens de cette relation si profonde, y cherchait-il une imago maternelle stable, sa disparition après coup fait renaître le sentiment d’anéantissement chez lui.

R.K assistait aux bagarres de ses parents et les menaces lancées par son père en pleine crise, R.K était témoin à plusieurs reprises de la faiblesse de sa mère devant un père violent, que la drogue a détruit, témoin de sa destructivité et de son anéantissement. Serait-il lui aussi menacé, quelque part de lui-même serait effondrée, passerait-il à l’acte face à cette menace ?

De sa vie sexuelle, il dit qu’avant la consommation du drogue, elle était satisfaisante, il débute sa vie sexuelle à l’âge de dix-sept ans- un an avant son mariage- ça lui cause un sentiment de transgression de la morale religieuse.

Du scénario, certains propos peuvent nous indiquer des éléments de sa préparation, ainsi que de l’angoisse avant le passage à l’acte « je pense comme je veux », « Je sens parfois un fourmillement dans ma bouche ».

Pauvreté, misère, vécu d’un traumatisme narcissique précoce, un père absent et par suite absence du repère d’identification et d’intériorisation. Selon J. MacDougall, ce manque dans le monde des représentations internes est, en soi, profondément menaçant pour le sentiment d’identité. Absence d’une mère stable, traumatisme d’une séparation, drogue... Sentiment d’effondrement qu’il a besoin d’assouvir, une douleur folle, une douleur qu’il faut calmer, le passage à l’acte serait l’unique moyen de s’exprimer, ou un moyen de posséder le phallus paternel recherché.

Notes
174.

- Pas dans le vrai sens du mot mais pour désigner que leurs états financiers sont satisfaisants et leur permettant de les aider.

175.

-Expression utilisée pour montrer le degré de la souffrance, qui va au-delà des larmes.