Interprétation

Il répond brièvement aux questions, de ses souvenirs d’enfance, il dit «nous sommes quatre à la maison (sa fratrie), je suis le plus petit, l’aîné est un avocat en France, il pratique le métier là-bas, il y a des problèmes entre ma mère et mon père, mon père avait la tâche de nous frapper», puis se tait en attendant la question suivante.

Avec la technique de l’association libre, il nous apparaît que la mauvaise entente entre ses parents ait produit un effet traumatisant. En outre, il semble que le frère aîné occupe une place importante dans ses représentations, sur lesquelles nous allons revenir plus tard.

« Mon père est très dur, on avait des problèmes familiaux, la grand-mère paternelle vit avec nous dans la même maison, elle haïssait ma mère, c’était l’essence de ses problèmes, mon père était toujours du côté de sa mère, j’ai été le bouc émissaire, je dirai la vérité parce que c’est la vérité, pourquoi avoir honte, mon père me battait toujours, même parfois, des milices entraient dans notre maison, ils étaient contre ma mère et moi, les voisins intervenaient sur le bruit et les cris, moi, j‘ai dépassé cette période, mais, les mauvais gens ne le veulent pas, ils ne veulent que le noir pour te juger (en signalant les conséquences qui l’ont amené en prison), j’ai pu dépasser cette période à l’aide des frères et des guides spirituels, après le décès de ma grand-mère, la maison s’est un peu reposée, mais les gens ne veulent pas oublier, mes ennemis, les mauvais gens, m’ont créé ce procès, il s’agit d’une affaire de viol, une à X179 et l’autre à Y180 , je suis sorti de la première innocent, la deuxième est avocat qui faisait son stage chez Z181».

Imaginons la peur et les fantasmes élaborés chez l’enfant face à cette scène de violence où il se croyait visé avec sa mère. L’enfant a vécu, semble-t-il, un traumatisme précoce dur de douleur et de souffrance, victime d’une enfance maltraitée qui semble entraîner des blessures et des effets néfastes sur les plans affectif et psychologique de son développement. L’enfant, paraît-il, était témoin d’une forme de violence répétée et soutenue, il pouvait être physiquement présent et observer la violence, ou se trouver dans une autre pièce d’où il peut entendre les échanges violents. Ou encore, il peut, sans avoir observé ou entendu quoi que ce soit, constater les traces laissées par la violence, comme les meubles endommagés ou les contusions présentées par la victime.

L’enfant, semble-t-il, a souvent assisté à l’agression commise contre sa mère, L’identification primaire semble mal intégrée, d’autre part, le père violent paraît de même incapable d’être un repère d’identification, ce qui pourrait peut-être expliquer la place relativement importante donnée au frère aîné comme substitut de l’imago paternelle forte. D’autre part, son futur comportement agressif serait-il un moyen d’identification avec le père ?

Témoin de la destructivité et de l’effondrement de sa mère par son propre père et par des tierces personnes, cela lui ferait-il sentir la menace d’être à son tour effacé, non existant ? Passerait-il à l’acte de viol face à un sentiment surgissant de menace ?

La réalité d’un père agressif, violent, qui exerce une violence physique, morale et psychologique et abuse sa femme et son enfant, voire sa famille, qui aux yeux de l’enfant, est uniquement adressée à lui et sa mère sans les autre membres de la famille, cela nous interroge sur la manière dont il vivait les différents sortes de violence paternelle ; se considérait-il comme en union, une seule unité avec sa mère, le complot dont il se sent porteur «les gens n’oublient pas, j’ai été le seul bouc émissaire», nous fait penser à un transfert de la haine refoulée envers son père vers la société toute entière, qui a ses yeux est responsable de son incarcération ; serait-ce pour lui reprocher son incapacité à le protéger ? Contre qui ? Contre la violence de son père ou d’un autre abus d’une autre nature ? Malheureusement, l’unique entretien ne nous permet pas d’en dire plus.

D’autre part, l’histoire de vie racontée par A.M nous fait douter de la réalité de l’identité du père lui-même, qui avait recours à des membres de milice armés pour prouver son pouvoir à l’intérieur de sa propre maison et à sa propre mère, qui semble exercer une sorte d’emprise sur son fils (le père de A.M). Nous ignorons si le père était toxicomane.

« Je n’ai jamais fait du mal, je me faisais mal personnellement, je supportais le mal intérieur au lieu de faire mal aux autres, j’essayais, d’après mon expérience, d’aider les autres ». Il semble qu’il fonctionne sur le mode du déni comme mode de défense, qui le protège, semble-t-il, contre la folie, plus tard, nous le rencontrons dans le déni total de l’acte de viol, un autre clivage de moi, ce sont « les autres, derrière son accusation», ça nous rappelle la logique incestueuse que nous allons voir plus tard. De ses obsessions et ses peurs, il n’hésite pas à nous révéler la réalité suivante :» J’ai une grande peur, une peur d’être battu, à force qu’ils m’ont battu, des problèmes familiaux, j’ai une peur au fond de moi-même, je trouve une difficulté à en finir ». Ce traumatisme était mal supporté et mal vécu par l’enfant.

D’autres propos révèlent sa timidité, il n’ose pas affronter les autres, préfère se sacrifier au lieu d’objecter, il se repliait sur lui-même, préférant souffrir au lieu de gêner les autres, il ne réclame pas ses droits. Il semble que la passivité était le seul recours devant un père violent, A.M semble refouler ses conflits et sa peine comme mode de défense contre la peur d’être anéanti ou peut-être contre la folie complète.

« Je me repose avec ceux qui ont de la tendresse envers moi, avec les prêtres et les pères ». Soumis, la prière est son seul moyen face à l’angoisse et la douleur, la religion prend une place assez importante dans ses représentations psychologiques dans sa fuite de la réalité

A propos de sa vie privée, il nie totalement avoir une relation affective ou sexuelle «cent pour cent, une relation d’amour n’existe pas, si j’aurai aimé, j’aurai dû me marier, je pratique le sexe avec des filles que dans les bars d’un an à un autre, je sais, pour moi, c’est pas admis, mais dans les bars, c’est permis ! » Serait-il incapable d’aimer comme il n’a jamais été aimé ? Le refus du besoin sexuel serait-il du côté religieux, car il le permet avec des « prostituées », malheureusement, nous ignorons comment il concevait la réalité sexuelle, serait-elle toujours conçue comme le résultat du «ça» et qu’elle doit toujours être rejetée ou refoulée ?

A une question concernant les hallucinations, il nous révèle avoir vu, quand il était enfant, le saint Cherbeil182:» j’étais petit, j’ai vu le saint Cherbeil, j‘avais auparavant perdu mon icône, je l’ai cherchée sous l’oreiller, je l’ai trouvée grande et brillante, puis elle est vite disparue, j’ai commencé à crier, ma mère est venue me demander ce que j’avais ! » L’icône représente-t-elle le phallus perdu ou la menace narcissique qui ne peut pas être nécessairement une menace de castration ? A.M choisirait-il un objet faible, identifié à sa mère, que peut représenter la victime, passe à l’acte pour prouver son pouvoir, son existence face à la menace d’effondrement ?

Notes
179.

- Une région à l’Est de la capitale.

180.

- Une autre région à l’Est de la capitale.

181.

- Un avocat connu.

182.

- Un saint libanais.