Interprétation

Ainsi débute-t-il : « la relation est naturelle entre ma mère et mon père, ma relation est naturelle avec les deux, jamais dans ma vie, je n’humilie229 ni ma mère ni mon père ». Plus tard, il n’évoque plus rien à leur propos, il nous semble avoir voulu limiter ses souvenirs d’enfance juste-là à ce niveau. Cacherait-il des moments durs traumatiques mal vécus ?

Les parents sont décrits en termes idéalisés de même, il semble idéaliser les relations inter familiales, pas de problèmes, pas de conflits, “tout est naturel”, nous nous demandons ce que veut dire “naturel” pour lui ? Le reste de l’entretien nous laisse face à des interrogations toujours sans réponse. B.J ne semblait pas encore prêt à nous faire partager ses souvenirs, sa peine ni ses affects et conflits, ce qui a rendu notre travail difficile.

Cependant, il semble que le père bien présent apparaisse comme une image absente. Ce manque dans le monde de représentations internes est, en soi, profondément menaçant pour le sentiment d’identité.

A une question, il répond « Moi naturellement, comment te le dire, comment je vais te le dire, je fréquente des gens qui me comprennent, je suis un peu timide ».

Il nous raconte une histoire de mariage avec une jeune fille de son âge qui nous semble manquer de logique : « je me suis marié avec une fille sans papiers230 (le mariage et non pas la fille) peut-être ma femme a quelque chose dans la tête, elle est restée huit jours puis a pris la fuite chez ses parents, je leur ai dit, chacun dans un chemin ».

De sa vie affective, à présent il n’en est pas satisfait, quant à la vie sexuelle il dit qu’il n’en a jamais eu une jusqu’au jour de son mariage (près des vingt ans) peut-on le croire ?

Si cela est vrai, cela nous interroge sur plusieurs réalités : son processus de refoulement des pulsions sexuelles et les raisons pour lesquelles sa partenaire, après huit jours passés ensemble, a pris la fuite! Le désaveu de son désir sexuel paraît comme un moyen de défense contre la menace de castration et d’un oedipe non résolu.

Selon Freud, les sujets qui réussissent à s’abstenir d’activité sexuelle n’y sont parvenus qu’à l’aide de la masturbation ou de satisfactions semblables qui se rattachent à l’activité auto-érotique de la prime enfance. Malheureusement l’entretien fait défaut là-dessus.

D’autre part, sa recherche de gratification sexuelle auprès d’une prostituée sur laquelle il exécute plus tard l’acte de viol, nous fait nous interroger sur son choix d’objet d’amour. Il semble que ce choix trouve sa source dans la fixation de la tendresse de l’enfant à sa mère : la femme prostituée est élevée au rang d’objet d’amour, en tant que ses comportements en rapport avec sa vie sexuelle n’imposent pas la fidélité et qu’elle ne soit pas digne de confiance non plus. B.J paraît à son aise de la partager avec une tierce personne.

L’enfant découvrant en fin du compte que la mère appartient au père, cela deviendrait un élément inséparable de l’essence maternelle, et le tiers lésé n’est personne d’autre que le père lui-même. Son choix actuel serait-il un substitut d’identification de l’imago maternelle?

D’autres de ses propos nous font nous interroger sur la manière dont il concevait la scène primitive. A l’époque où le garçon apprend pour la première fois la réalité d’une relation sexuelle entre ses parents, cela provoquerait-il en lui mépris et révolte ? Découvrant que sa mère a un commerce sexuel pareil à celle qui prend l’acte sexuel comme métier ? Désirerait-il remplacer le père ?

Face au mot « père » il répond : « qu’est-ce je vais te dire...une pomme », ce fruit-là serait-il signe du pêché commis par Adam et Eve, la première relation sexuelle entre les humains ? Serions-nous face à un oedipe non résolu ? Face au mot « mère » il répond « un cadeau ». Le petit garçon considérait-il sa mère comme sa propriété ? L’enfant se sentirait-il trahi par son père ? Désirait-il remplacer le père ? La scène primitive était-elle teintée, aux yeux de l’enfant, d’une violence extrême où la mère était menacée, l’enfant se sentirait-il menacé à son tour, menacé d’effondrement lui aussi ? Passerait-il à l’acte de viol face à un sentiment d’anéantissement ? Prouverait-il son existence à travers la pénétration ?

D’autre part, il nous révèle que la dernière fois qu’il a éprouvé du plaisir à faire quelque chose, cela remonte premièrement à son mariage puis il y a trois mois passés (la date de son passage à l’acte). N’éprouverait-il de jouissance que dans le pouvoir, qu’à travers le sexuel ?

Le passage à l’acte paraît le seul acte magique permettant de retrouver le phallus paternel. Il semble remplir une fonction essentielle en établissant une identité propre et semble apporter une certaine protection contre la dépendance envers l’imago maternelle.

L’agir sexuel qui n’est autre ici que le passage à l’acte du viol serait-il la recherche perpétuelle d’une confirmation de soi, destinée à contenir la panique qui se déclenche face à toute menace de perte narcissique ?

Notes
229.

- Ici, dans le sens d’être toujours poli et ne leur jamais avoir d’expression qui manque de probité.

230.

- Un mariage sans papier n’est pas considéré au Liban, il doit être religieux, il pourrait s’agir d’un concubinage.