Interprétation

Au début de l’entretien, il mentionne que son père est mort à l’âge de douze, treize ans, puis plus tard, il dit que sa mère est décédée à l’âge de dix-sept ans et que son père « n’est même pas venu à l’enterrement ! ». Nous n’avons remarqué cette contradiction que plus tard lors du retour aux données au cours de l’analyse. La date exacte du décès du père nous est toujours aussi énigmatique.

Ainsi débute-t-il l’entretien : « Mon père était ministre de la santé, il est mort, j’avais douze, treize ans, je suis le cadet, j’ai un frère et une soeur, ma mère ne travaille pas, mon frère était dans l’armée, il l’avait divorcée, (il passe à son père), il était loin de nous, marié et avait des enfants. J’étais petit enfant, je suis éveillé sur le divorce de mon père, elle travaillait comme vendeuse des petits gadgets. Nous étions pauvres, dans une seule chambre, nos circonstances étaient : misère (il sourit). La relation avec les voisins était bonne. Il n’y avait pas pareil à elle (la mère), il n’existe pas un coeur plus bon que le sien, elle est décédée, j’avais dix-sept ans, ma grand-mère maternelle est venue s’installer chez nous, mon oncle nous aidait souvent financièrement, le père n’intervenait pas, même, il n’est pas venu à l’enterrement (de la mère) ».

Tout d’abord, le métier cité du père nous semble exagéré « ministre de la santé », serait-ce un essai de défense de type paranoïde ?

D’autre part et comme je l’ai déjà cité, la date du décès du père est mal définie, serait-ce significatif ? Y aurait-il une relation avec cette grande confusion des images parentales comme nous allons le voir plus tard ?

Le père paraît absent dans les représentations de l’enfant, ce qui semble perturber non seulement son identité mais encore l’acquisition de la différence des générations qui paraît être mal faite. L’imago maternelle paraît de même mal construite ou se sont bâties, à sa place, selon Balier, des superstructures, à partir d’un élément partiel, détail perceptif ou charge affective, non reliées entre elles, ce qui entraîne la création du vide.

Cette perturbation et la défaillance des images parentales semblent accompagner un développement insuffisant des capacités de sublimation, par suite, le Surmoi de l’enfant paraît mal intégré. Ce Surmoi défaillant aurait-il, plus tard, permis la non-prohibition de l’acte incestueux ?

Dans une absence presque totale de l’imago paternelle et de ses représentations, il semble que M.T, pour combler ce vide, n’ait eu qu’un seul recours : idéaliser l’imago maternelle ; cette dernière est presque idéale, tous les défauts sont rejetés sur l’image du père.

De même, tous les images parentales paraissent confondues, il passe d’une personne à une autre brusquement, même parfois, il nous semble que la confusion va encore plus loin, il semble que le frère aîné remplace, en quelque sorte, le père dans son image et ses représentations : « Mon frère était dans l’armée (puis il parle de son père) il l’avait divorcée... » Le départ du frère paraît évoquer de nouveau le traumatisme de la séparation d’avec le père, et le sentiment d’abandon et de rejet par celui-là envers son fils.

M.T était incapable d’établir des relations sociales, n’avait ni amis ni copains, il aime la solitude, est toujours angoissé et triste « à en pleurer ». Il semble que l’enfance de M.A ainsi que son l’adolescence ait connu de nombreuses perturbations jalonnées par l’absence du père et le vide que représentait son image, le vécu d’un sentiment de perte et d’abandon paraît être vaguement vécu, et plus tard semble être réactivé par la disparition (le décès) de la mère. Nombreux sont les propos qui pourraient témoigner du vécu d’abandon : « je sens avec personne, jadis, personne ne s’intéressait de tout à moi. »

Pour M.T, l’alcool et la toxicomanie semblent être le moyen le plus adéquat, le seul secours pour pouvoir affronter la carence affective, ses affects et les conflits de ses pulsions, il ne pouvait pas arrêter de boire : « Je voulais arrêter mais je pouvais pas, j’en buvais, je pouvais pas m’empêcher ». Il paraît fonctionner suivant un certain clivage, qui forme, selon la perspective kleinienne, le mode de défense essentiel des toxicomanes, cependant il ne s’agit pas ici de clivage de Moi à proprement parler mais de clivage entre les bons et les mauvais objet, qui deviennent des objets introjectés résultant d’une non neutralisation de l’agressivité.

Nous avons voulu savoir s’il faisait des rêves nocturnes ou des cauchemars, cela pouvant nous être utile pour mieux connaître les traumatismes de son vécu d’enfance, mais malheureusement l’unique entretien ne nous a pas permis d’en savoir plus sur sa vie.

Le passage à l’acte incestueux serait-il une duplication de la relation désirée avec la mère ? Loin d’être une relation objectale génitale, s’agirait-il d’une fusion, de “l’ordre de la relation mutuelle244” et non du désir. S’agirait-il du retour au ventre de la mère et d’y trouver un repos définitif ? S’agirait-il d’une incorporation, pénétration qui s’adhèrent ?

Leur maison était formée d’une seule pièce, une salle de bain, une cuisine, le délit incestueux s’est passé à l’intérieur de la maison, M.T attribue son crime à la mauvaise entente avec sa femme, comme à la mauvaise vie sexuelle avec elle : « C’est la faute de ma femme, y avait pas une bonne entente ensemble, toujours des problèmes à l’intérieur de la maison (désignerait-il ses actes incestueux à l’intérieur du corps de sa fille ? L’intérieur de la maison se confondrait- il avec l’intérieur de sa mère et celui de sa fille ?) Ne bois pas, j’en bois, ils ont dit que j’ai agressé ma fille, j’étais ivre, elle avait dix-sept ans. Je savais pas si cela s’est passé (il nie cette fois-ci son crime, contrairement au début de l’entretien), j’étais pas conscient, j’ai trouvé ma femme contre moi, j’ai peu de vie sexuelle avec ma femme, je buvais peu (il commence à se contredire, dans le but de troubler mes idées suivant la technique “d’hypnose” exercé presque par toutes les personnes incestueuses), les relations, c’est là, le désastre (au début, on comprend pas de quel désastre il s’agit, mais après une certaine réflexion, le sentiment d’abandon et de rejet est de nouveau évoqué, car il paraît que “relation” veut dire pour lui : appui et comme il ne connaît personne d’important, on a pu l’incarcérer ! ) Ma femme et ma fille ont délaissé leurs droits judiciaires ».

Il essaie d’apparaître comme un bon père : « ma petite fille était gravement malade, quand elle s’est guérie, ça m’a rendu très heureux ».

Pour exécuter l’acte incestueux, il semble que M.T possédait une certaine emprise envers ses enfants, plus précisément envers sa fille, ce n’était pas nécessairement une emprise violente, ce pouvait être un simple regard ou autre. Il semble que M.T considère tous les membres de sa famille comme sa propriété, dont lui seul est le chef et le propriétaire. Les mots : « femme », « fils », « fille », « enfant » et même « frère » et « soeur » pour lui sont marqués par la possession : « ma femme », « mon fils », « ma fille », « mon enfant », « mon frère » et enfin « ma soeur ».

Notes
244.

- R. DOREY, La relation d’emprise, Nouvelle revue de psychanalyse, 1981, n°24, pp. 117-139.