Interprétation

A notre question, il débute l’entretien par l’histoire de sa vie “j’ai vécu à X251, j’étais membre du parti Y252 où j’ai appris la drogue, à 12-13 ans j’ai tout appris, même boire de l’alcool, je me suis marié dans une maison à Z253, je joignis le parti M254, j’y suis resté sans salaire jusqu’à l’année 81 puis j’ai suivi celui de N255, je suis maçon, mon père l’était aussi, nous étions cinq, ma mère aidait mon père, je me rappelle plus comment... franchement, elle allait demander la charité dans les rues. Je suis le second (enfant), ma mère s’est mariée puis divorcée, elle avait une fille puis elle s’est remariée, et moi je suis l’aîné, une fois ils se sont querellés (ses parents d’origine), je me rappelle plus pourquoi, mes oncles paternels sont venus, ils ont attaqué mon père, pour cela j’aime pas mes oncles, je me rappelle toujours de cette scène, elle m’a fait compliquer. On avait des voisins, j’ai essayé avec les voisines (sans les indiquer par des mots, on comprend qu’il s’agissait des jeux sexuels), mon père nous a vus, il a commencé à me frapper avec les filles, peut-être à partir de cela mon père a commencé à me haïr, ma mère, peut-être, mon père lui a raconté, et depuis, elle aussi commençait toujours à me frapper” (la technique de l’association libre peut nous éclairer sur le degré du traumatisme qu’a subi l’enfant pour ses jeux sexuels, car évoquer la scène de violence de ses parents lui fait évoquer aussi celle subie par son père).

L’imago paternelle semble être touchée par cette violence (entre ses oncles et son père), déplacerait-il la haine envers son père vers ses oncles qui ont aidé à rendre vulnérable l’image du père, au lieu de haïr son père pour sa faiblesse et son incapacité à se défendre ? A un autre niveau, le père semble être impuissant aux yeux de l’enfant, ne pouvant répondre ni soutenir sa famille, la femme devait aller dans les rues, aidait le père en demandant la charité, l’enfant semble ne pas en être fier jusqu’à ces jours.

Il se sent toujours angoissé, il fuyait l’angoisse et l’inquiétude dans la toxicomanie :“Je buvais beaucoup, deux bouteilles tout en restant angoissé, je prenais des pilules, une fois j’en ai avalé 24 pour dormir”, d’autres de ses propos indiquent de même la présence d’anxiété et d’un Moi faible : “mon corps était toujours sans vivacité, j’avais toujours des soucis”, “je suis toujours angoissé, mais quand je bois ou je consomme la drogue, je me repose”, “je perds la concentration sans conscience, je passe à un autre sujet, tout à cause de ma femme”, “je pense difficilement, je pense à un sujet, je perds la concentration, j’en pense à un autre, puis j’oublie à quoi je pensais”, “j’étais inadmissible de la société, dehors, certes, à cause de ma classe sociale et de mes comportements, personne ne se mêlait avec moi, y avait seulement ma tante, elle me connaissait sale et on me reçoit et me respecte”, “je pleure souvent”.

A une question sur les raisons pour lesquelles il a quitté l’école, il répond : “j’étais voyou, j’ai dit un mot grossier à une fille, le directeur m’a menacé, il m’a frappé, je l’ai menacé avec un canif, ils m’ont renvoyé, j’avais treize, quatorze ans”.

D’après le récit de S.A., il est assez évident que des événements traumatiques différents ont accompagné la vie et le développement psychologique de l’enfant.

Les images parentales et leurs représentations semblent faire défaut. S.A paraît avoir perdu ses repères d’identification, il semble trouver dans sa sexualité perverse une confirmation de son être, de son identité. Les imagos parentales paraissent mal introduites, le manque dans le monde des représentations internes semble menacer le sentiment d’identité de l’enfant. Sa haine envers ses oncle maternels représenterait-elle une blessure d’ordre narcissique secondaire au niveau de l’imago paternelle ? Il paraît trouver dans l’appartenance aux différents partis politiques contradictoires un simple moyen de support matériel, bien qu’ils soient aussi les substituts d’une imago forte de père violent n’accomplissant pas sa tâche. S.A paraît rechercher, dans son entourage, des modèles identificatoires substitutifs.

Les conflits et les interdictions qui frappent la vie sexuelle de notre sujet paraissent déclencher presque toujours des difficultés analogues dans son travail, il était instable dans sa carrière, incapable de terminer une tâche.

De sa première transgression de la loi, il dit : “J’aimais ma voisine (une petite fille), j’ai dormi dans un canal pour regarder sa culotte, j’ai eu tort, ma première relation

sexuelle? J’ai observé ce qu’elle faisait notre voisine, j’ai cherché ces petites filles (d’autres voisines), j’ai commencé à les embrasser”.

Le fait d’observer la culotte de la jeune fille est par lui considéré comme un mauvais acte qu’il ne devrait pas faire : « c’était pas bon ! » Qu’ont donc ces filles de si précieux qu’elles ne veulent pas donner ? Posséderaient-elles l’objet phallique imaginé ? Est-ce qu’il est à la recherche du Phallus maternel ? Qu’est-ce que la femme a de si mystérieux qu’elle ne veut pas donner et qu’il faut lui arracher ? « Ma femme je l’adore, je la divine », ajoute-t-il, plus loin, dans une tentative d’idéalisation, qui n’est peut-être que l’idéalisation de l’imago maternelle, l’image de sa femme paraît devenir un objet phallique idéalisé qui n’est que celui de la mère. D’autres propos pourraient représenter l’idéalisation du phallus, pour lui le mot « époux » lui évoque : « pour baiser sa femme ».

Bref, il paraît être à la recherche désespérée du phallus. Le pénis sous la robe de sa mère ou dans le ventre de sa mère ? Plus tard, à l’adolescence, sa recherche prend une autre forme, le verbal prend la place du regard ; il fait entendre, aux jeunes filles de sa classe, des mots grossiers.

Dans l’observation que constitue le contenu de l’entretien par l’interviewé lui-même, la fixation sur le pantalon en forme de « fuseau » de sa jeune fille représente, comme il paraît, l’évidence d’un fétiche.

Il semble que les connaissances sexuelles de l’enfant, et la série de fantasmes qui l’expriment, ont connu des perturbations. Croyait-il que les filles possédaient un pénis ? Confronté à la réalité que ni la mère ni les filles ne possèdent un pénis, l’enfant semble évoluer vers une organisation qui désavoue non seulement cette réalité, l’absence de pénis, mais encore la signification de la différence sexuelle et la réalité de séparation, de la différence, entre lui et autrui.

Pour combler ce vide laissé par ce désaveu, le fétichisme paraît le prototype pour combler ultérieurement cette négation. Ainsi, le pantalon serré de la fille en forme de «fuseau», prendrait-il le rôle de fétiche ? Il semble qu’à partir de cet élément un immense investissement affectif s’est produit, il s’agit d’un objet surinvesti en la personne de la jeune fille.

Il semble qu’il a connu des carences affectives maternelles prévalantes, une carence de la part de la mère dans son rôle protecteur à ce stade précoce semble donner naissance chez l’enfant à des angoisses spécifiques et perturber son Moi. S.A. désirerait-il le retour à ce stade de fusion où il formait un seul univers avec sa mère ? Pour lui le mot «mère »dit «la mère de la vie, la vie est une mère», il paraît ne pouvoir exister qu’à travers elle, son existence, son identité ne peut être confirmée qu’à travers elle. L’acte incestueux traduirait-il ce désir ; intérioriser la fille, c’est retourner dans l’intérieur de la mère ?

La mère paraît incapable de répondre aux besoins de son enfant, l’imago maternelle semble être mal en place, et par suite toutes les autres images dérivées le sont aussi. L’épouse pour S.A. doit remplir le rôle de la mère ou celui que cette dernière devait jadis, l’être. Pour lui « épouse » veut dire : « obéissante, exécute tout ce que lui dit son mari ».

Les limites entre les imagos de la mère et celles de la femme paraissent floues, les imagos semblent se confondre, la mère « la source de la vie », l’épouse, la fille « elle est l’appui de la maison, la fille est tendre normalement », elles sont toutes obéissantes et tendres, leurs rôles se mêlent et elles sont prêtes à répondre aux besoins de l’homme ! Au mot « sein », il dit : « que dit-il pour moi ? Pour qu’elle (la mère) fasse allaiter le bébé », le mot « serpent » lui dit « femme », représenterait-il le phallus fantasmé ?

Selon ses dires, il s’entendait mal avec sa femme à cause d’une relation adultère dont il la soupçonne avec le chef de son parti, souvent il la battait, il a quitté la maison deux fois, à chaque abandon de sa femme, il la menaçait de mort, dans une de ces périodes, comme il dit, il agresse sa fille : « à cette époque, j’ai recommencé à boire dans les matinées, je me rappelle plus, ma fille portait un pantalon serré en forme de fuseau, j’ai pensé à ma fille, j’ai essayé avec elle, un essai, le soir, je lui ai demandé de préparer une tasse de café quand j’ai vu les gendarmes venir ».

La bonne et la mauvaise mère peuvent être aussi évoquées, sa femme, elle aussi représente la mère infidèle (Le père de S.A. en est à son second mariage, de même, il avait une nombreuse fratrie, pour lui, la naissance permanente d’un nouvel enfant pourrait être conçue comme signe d’infidélité de sa mère, il pourrait se demander : pourquoi ces autres enfants, pourquoi ne pas être le seul enfant, objet de sa satisfaction personnelle ? (Il doutait toujours de la fidélité de sa femme, souvent ce sujet suscitait leurs querelles). D’autre part, il transfert sa haine sur sa femme, il l’accuse de tous les défauts, même de son incapacité à lui à se concentrer : « tout à cause de ma femme ».

A un autre niveau et dans un essai d’idéalisation, semble-t-il, un de ses propos pourrait montrer qu’au niveau affectif, il s’attache fortement à sa mère : « ici, en prison, ma mère me manque beaucoup, j’ai peur sur elle, je reste loin des bagarres pour diminuer la peine » ; à la fin de l’entretien il me demande un service, c’est d’appeler sa tante pour passer un message à sa mère pour venir le voir.

Pour soulager les tensions de ses affects, S.A. avait recours à l’alcool et à la drogue, il commence à un âge très précoce, plus que l’on peut imaginer, à l’âge de treize ans. S.A est un enfant toxicomane qui a « tout appris », de quel apprentissage s’agirait-il ?

D’autre part, il semble que l’enfant ne concevait pas le comportement agressif, de la part de sa mère, alors qu’elle aussi le battait à plusieurs reprises sans avoir des motifs logiques, ce problème semble toujours l’angoisser, il finit par donner des explications qui vont toujours dans le sens d’idéalisation de l’imago maternelle ; l’enfant rejette tous les défauts sur l’imago paternelle, il lui trouve une excuse : « peut-être, mon père lui a raconté». Cela nous fait penser au thème de son éducation sexuelle et du : comment l’enfant concevait-il la scène primitive et la vie sexuelle des adultes ?

Sa curiosité sexuelle paraît être durement inhibée, il observait sa voisine dans un acte intime, qu’il appliquait ultérieurement avec des jeunes filles du voisinage, son jeu sexuel est mal pris par le père et lui vaut une punition violente. La vie et les informations sexuelles n’étaient pas permises à l’enfant, ce qui pourrait expliquer plus tard son

inhibition face à toute activité intellectuelle. D’autre part, la scène érotique de la voisine pourrait être conçue par l’enfant comme une scène violente d’une part et incompréhensible de l’autre. La réalité sexuelle des adultes semble lui causer une angoisse accompagnant le reste de sa vie.

Pour combler certains côtés restés incompréhensibles de la scène primitive, S.A. paraît avoir recours au fétiche, qui vient prendre la place de cet objet interne endommagé et se donnant un pouvoir continu de le ressusciter et le maîtriser. Alors, il se peut que cette scène soit condensée, mal comprise aux yeux de l’enfant, et ait été complétée par des objets ou des fantasmes.

De sa vie sexuelle, il dit qu’il en est satisfait, il avait d’autres relations qu’avec sa femme : “dans la voiture de mon père, en dehors de la maison, j’emmenais personne à la maison”. Par ses multiples relations amoureuses, serait-il toujours à la recherche de l’imago maternelle, la mère putain, infidèle ? Cependant, il n’emmène personne chez lui : “à la maison”, cette place est conçue comme réservée à la femme, à la mère, à la fille !

S.A. était un enfant battu par ses deux parents, la violence physique subie par l’enfant nécessitait une explication de sa part, il devait chercher une raison pour expliquer les comportements de ses parents d’origine : “mon père m’a vu et commençait à me battre et les filles aussi”, sa mère encore suivait la même ligne, peut-être pour des raisons différentes, mais pour l’enfant issues des mêmes raisons : “Il paraît que mon père lui a raconté aussi”. Il a toujours cru que son père le haïssait à cause de ses jeux sexuels, peut-être concevait-il la haine de son père comme une autopunition pour son désir de posséder la mère ? Concevrait-il cette violence comme autopunition qu’il méritait face à ses désirs sexuels et ses pulsions ? Pour son désir inconscient d’intérioriser la mère ?

De son crime, au début de l’entretien, répondant à une question concernant son rapport à la loi, il dit : “la chose dont on m’a accusé, s’est passée avec moi”. Plus tard, il ajoute : “je n’ai que cette faute unique dans ma vie qui m’a fait entrer ici en prison, je souhaite si je l’ai jamais commise, le reste qu’est-ce que j’ai fait ? J’ai drogué, j’ai bu, j’en suis fier!”. Plus tard, au cours de l’entretien, S.A. nie les conséquences de son crime sur sa fille, suivant les mécanismes de défense, il essaie de tourner les faits : “tout est de la faute de ma femme, elle est menteuse, ma vie sexuelle ? Moi, j’aime vachement le sexe, elle est froide avec moi, après, elle est sortie, elle a emmené son amant au coeur de la maison”, il veut nous faire croire que la froideur et l’abandon de sa femme étaient derrière son passage à l’acte incestueux.

S.A était un père violent avec sa famille et même avec sa femme, pour lui être un père c’est : “il est tout, il est la tête de la famille” La virilité pour lui est être un “homme, dans tout le sens du mot”, de quel sens voulait-il parler, serait-ce le sens d’un phallus idéalisé ? Il possédait une emprise forte sur ses enfants et sa maison qui est pour lui “la famille”, lui garantissant la soumission complète, à l’intérieur de la “maison, sa famille”, il avait une loi dont lui seul est le chef : “j’éprouve de la joie avec les autres mais je suis dur avec mes enfants, s’ils font quelque chose de faux, je vois plus devant moi, je les frappe durement (s’identifiait-il à son père ?) Pour lui “enfant” est “plein de tendresse, un ange pur”, répondant à ses besoins et demandes. Pour le mot “fils”, il reste muet, après quelques instants, il dit : “il doit regarder à ses parents, les siens m’ont délaissé”, indiquerait-il l’angoisse de l’abandon et la fin de son emprise envers eux ?

A propos de ses hallucinations, il dit : “je contemple parfois la lampe, puis j’imagine des étoiles, des nuages ou des formes et des couleurs.” Cela peut-être à cause de la consommation de la drogue. “Je sens parfois un goût amer dans la bouche” : traduirait-il l’angoisse avant le passage à l’acte ?

A la fin de l’entretien, il dessine le logo de son dernier parti, représenterait-il encore la toute-puissance, le phallus idéalisé ?

Notes
251.

- Une région très populaire.

252.

- Un parti armé de nationalité étrangère et de religion différente de celle de S.A.

253.

- Un quartier dont les conditions de vie sont meilleures que celles de ses parents d’origine.

254.

- Un parti tout à fait opposé à celui de Y : de religion, de nationalité et les buts, mais qui est de la même religion que lui.

255.

- Parti allié à celle de M.