SYNTHESE

On passe presque toute notre vie à ne pas savoir ce qui nous entoure ou même ce qui habite au fond de notre âme, une analyse a pour but de nous faire découvrir tout ce que nous avons passé notre vie à ne pas savoir : nos interdits, nos désirs sexuels, notre narcissisme infantile, notre agressivité meurtrière, ...etc. Le pire c’est de découvrir que le Je peut encore se dissoudre laissant à la place une angoisse sans nom.

La possibilité de répondre à la difficulté d’être par une suradaptation au monde réel est toujours possible, grattons un peu cette écorce qui entoure ceux qui sont trop bien dans leur peau. Que trouve-t-on ? Le plus souvent une normalité masquée ! Cela évoque la notion du vrai self de Winnicott sur lequel repose le sentiment propre de l’identité du sujet et la continuité d’être qui n’existe que si la mère est « suffisamment bonne », une mère qui n’est pas « suffisamment bonne », qui ne s’adapte pas aux besoins de son enfant, pour une raison ou d’autre, comme on va le voir dans les pages qui viennent, favorise le développement d’un faux self qui fonctionne comme protection contre l’angoisse et les agressions mais est aussi révélateur d’un déséquilibre profond.

Ce pouvoir de maintenir cette écorce enrobée manque pour certains, leurs réponses d’inadaptation trouvent leurs chemins à travers différents moyens. Les sujets étudiés dans ce travail la manifeste à leurs façons ; c’est à travers l’acte délictueux sexuel.

Grâce à l’analyse des vingt-sept cas, avec leurs éléments biographiques, les données d’exposé du comportement agressif sexuel ont été relativement exposés, en dépit de certaines difficultés déjà abordées257, que représentaient l’espace et le temps du milieu d’incarcération.

Ce qui est remarquable à la première lecture de ces entretiens est que l’élaboration d’une histoire ou plutôt d’une biographie qui peut remonter à plusieurs générations montre que la fréquence des traumatismes vécus dans l’enfance se confirme très particulièrement pour ces délits sexuels. On se demande si certains messages ne sont-ils pas transmis d’une génération à l’autre ? Cela évoque la question de la dimension transgénérationnelle de la formation psychique individuelle.

Entre les parents et l’enfant, des transmissions conscientes et/ou inconscientes s’opéreraient. En effet Freud évoque la première ébauche des transmissions trans- et intergénérationnelles258, nous citerons de même Murray Bowen qui s’est intéressé à la transmission de l’angoisse entre parents et enfants qui dépendrait du degré de différenciation de ces membres. Au sein d’une famille, l’enfant le moins différencié recevra alors la charge anxieuse de ses parents, celui-ci s’inscrira pleinement dans «l’histoire transgénérationnelle », « le phénomène de l’onde de choc émotive se constitue d’un réseau d’événements importants pour l’existence des gens, et qui surviennent de manière sous-jacente, à n’importe quel endroit du système familial étendu et « après-coup»; c’est-à-dire au cours des mois ou des années qui suivent des événements émotifs importants dans cette famille »259. Ce qui fait poser la question suivante : quel est l’auteur véritable du délit ?

Dans les antécédents de ces auteurs, il est assez évident, que quelque chose d’important s’est passé comme un traumatisme par exemple ou une défaillance dans la transmission, probablement décisif pour l’avenir de leurs organisations de fonctionnement mental.

A travers les pages qui suivent, dans un essai de synthèse, nous mettons en questions les différents phénomènes sociaux et psychologiques contribuant au passage à l’acte délictueux, qui se manifeste entre autres à travers les diverses formes d’agression sexuelle qui intéresse seul notre étude.

Nous essayons de même d’identifier les complexes que l’on rencontre chez nos agresseurs, de quelque nature qu’ils soient : psychologiques ou sociaux. L’étude de ces complexes va nous permettre de remonter à la source des comportements agressifs sexuels afin de les mieux comprendre.

Certaines idées, déjà évoquées au cours de l’analyse individuelle de chaque cas, sont de nouveau abordées mais avec plus de détails.

Dans l’enfance, aucun de nos futurs agresseurs n’a connu une vie calme et sereine, comme enfant, soit au niveau environnemental soit au niveau psycho-social. Environ trois quarts des cas sont nés juste avant ou durant la guerre civile libanaise, leur adolescence s’est fanée avant même d’avoir la chance de se fleurir. Entre la voix des bombardements, des obus, des coups de feu, de toute sorte d’outils de mort, et la peur de garder ce qu’on a le plus cher ; la vie et celle de nos biens aimés, toute forme de sécurité intérieure et extérieure était réduite à zéro.

Sur le chemin de la vie de ces enfants, les futurs agresseurs, tous les carrefours menaient vers un sentiment d’angoisse, de perte et d’anéantissement, un danger d’effondrement total et presque absolu du Je, un danger effrayant provoquant une angoisse sans nom, nécessitant un affrontement immédiat pour éviter la folie complète. Chez eux, quelque chose s’est cassé et les fissures, ont pris le même dessin esquissé depuis longtemps dans leur vie. Ainsi, si on avait à changer le titre de la thèse on aurait pu le remplacer par : « L’agression sexuelle : une autre forme de défense contre l’angoisse ».

Notes
257.

- Déjà abordées, p 103, 104, 105.

258.

- « Le Surmoi de l’enfant ne se forme pas à l’image des parents, mais bien à l’image du Surmoi de ceux-ci; il s’emplit du même contenu, devient le représentant de la tradition, de tous les jugements de valeur qui subsistent ainsi à travers les générations ». FREUD S., (1932),.Neue Folge der Vorlesungen zur Einführung in die Psychoanalyse, G.-W., XV ; trad.fr., Nouvelles conférences d’introduction à la psychanalyse, Gallimard, Paris, 1984.

259.

- BOWEN, M., (1978), La différenciation du soi, les triangles et les systèmes émotifs familiaux, ESF, Paris, 1984. p110.