Le sentiment de culpabilité chez la population étudiée

Comme nous le savons tous, le sentiment de culpabilité chez l’individu est en relation avec la place et la nature du Surmoi. Il provient de la critique sévère du Surmoi à l’égard du moi.

Certains auteurs comme Freud a décrit un type de criminels en attribuant le délit à un sentiment inconscient de culpabilité se manifestant par la recherche d’autopunition, M. Klein273 a remarquablement développé cette idée selon laquelle la culpabilité inconsciente est le moteur des actes antisociaux ou criminels chez les enfants ou chez les adultes, elle attribue les manifestations d’agression du criminel à une réaction par rapport à un Surmoi écrasant. Quel est le cas alors de nos cas étudiés ?

Aucun signe, selon nos connaissances, détectant ce sentiment n’est signalé durant les entretiens. L’absence de culpabilité est alors une donnée presque constante, un seul pédophile, B. D. avoue avoir faire « mal à sa victime » en indiquant les conséquences traumatisantes de l’acte, tous les autres dénient et nient.

Certains étaient même prêts à évoquer d’autres délits qui sont vraiment réels ou ils en inventaient quelques uns (vol, drogue...etc.), pour cacher la vraie raison pour laquelle ils ont été incarcérés. Ils vont même raconter le crime le plus affreux ; homicide simple ou sadique (cas n° 11 et n° 13) sans évoquer ni de près ni de loin le sujet d’une moindre agression sexuelle.

Généralement, les abuseurs ou agresseurs, utilisent les mêmes justifications. On rencontre souvent des témoignages semblables : « ils me veulent ! » (Cas n° 24 et 26), « c’est un complot contre moi ! » (Cas n° 10), « on me l’a fabriquée ! » (cas n° 22), « ce qui m’a emmené en prison m’est pas arrivé » (cas n° 16), « j’ai essayé de tuer quelqu’un » (cas n° 22)...etc.

L’absence de culpabilité est signe de l’absence d’un Surmoi ou au contraire la présence d’un Surmoi désarroi. Cela est directement lié au désaveu des conséquences du traumatisme subi par la victime. Le désaveu et le déni s’allient pour protéger l’auteur selon un mécanisme de défense destiné à garder un certain équilibre intérieur.

Le mode de défense des incestueux est le plus remarquable en ce sens. Dans notre étude, on trouve de façon presque invariable les mêmes justifications utilisées. Ils organisent généralement un mode de défense qui consiste à transférer la responsabilité de leurs actes sur les autres membres de la famille. Leurs tentatives de justification se rangent en deux catégories : ils nient ou désavouent les conséquences de l’abus et transfèrent la culpabilité sur les autres. « Mange-t-on sa propre chair ? » Nous dit un incestueux condamné d’avoir longtemps abusé de ses deux filles.

L’inversion des rôles qui caractérise la famille à transaction incestueuse, comme nous allons le voir plus tard, se rejoue dans le monde de défense de l’incestueux. Du bourreau, il se décrit comme une victime, victime de son épouse qui se refuse à lui (T.A. cas n° 23), victime de ce qu’il considère comme provocation sexuelle de la part de sa fille (S.A. cas n° 27), victime de l’effet de l’alcool (M. T. cas n° 25) ou encore victime d’un complot avide de sa « propre famille » (K.B. cas n° 24 et D.C. cas n° 26).

Si les auteurs de viol ou de pédophilie n’évoquent pas le sujet de leurs crimes sexuels, les incestueux, à travers leur mode de défense très particulier et qui consiste alors à attaquer, tentent dans leurs discours de mettre leurs interlocuteurs sous hypnose. On entendra répétitivement : « ils veulent me jeter en prison pour poursuivre tranquillement leur liaison » (cas n° 24, 26 et 25) ; les deux premiers désignant leurs filles avec leurs petits amis, le dernier sa femme avec un amant imaginaire, « ils m’ont inventé une histoire de drogue pour se débarrasser de moi ! » (Cas n° 23).

Chez certains auteurs, on trouve d’autres phénomènes jouant le rôle de défense : le sommeil chez D.C. (cas n° 26) et l’amnésie consécutive au passage à l’acte repousse les chances d’une accession à l’angoisse comme signal d’alarme, « je pense pas que je l’ai fait » F.M. (cas n° 13), « ils m’ont dit que j’ai abusé ...» B.D. (cas n° 1) et M. T. (cas n° 25).

Notes
273.

- M. KLEIN, Les tendances criminelles chez les enfants normaux (19257), in Essais de psychanalyse, trad. M. Derrida, Paris, Payot, 1967, p. 211-228.