I LA FORMATION D’UN THEOLOGIEN THOMISTE

A) Une vocation précoce, mais réfléchie

Comme on a souvent parlé d’une « génération 1905 » dans l’histoire intellectuelle du XXe siècle français,49 on pourrait évoquer aussi le phénomène générationnel pour les milieux catholiques : 1904 marque la naissance de Maurice Montuclard, d’Yves Congar, de Henri-Irénée Marrou, de Madeleine Delbrêl ; Henri Guillemin était de 1903, Emmanuel Mounier et Jean Daniélou naissent en 1905. Issus de la première génération qui échappe au feu - mais non à l’empreinte - de 14/18 et qui atteint la maturité dans la tourmente des années 30, voilà des hommes qui vont se trouver confrontés à tous les bouleversements du catholicisme contemporain.

C’est donc le 21 octobre 1904 que naît Pierre Marie Maurice Montuclard, cadet d’une famille de la petite bourgeoisie stéphanoise qui comptera quatre garçons. Le père, à la tête d’une petite entreprise familiale du textile, spécialisée dans le lisage de dessins, se laisse percevoir comme une personnalité pragmatique, ancrée dans le réel et peu encline à la spéculation50. En politique il accorde sa voix à la droite modérée. Il vote républicain indépendant. En matière de foi, il affiche une attitude plutôt conformiste : messe le dimanche, confession pour Noël et Pâques... et si la religion occupe une place de premier plan dans la famille c’est en raison de l’influence de la mère51. Profondément croyante, elle a un directeur de conscience et fait partie du tiers-ordre de saint François ; d’une religiosité mystique, elle fréquente des stigmatisées, dont l’une sera enterrée dans le caveau familial. Seule femme de la famille, plus intellectuelle que son mari, elle exerce une forte influence sur ses quatre fils. Lorsque son fils aîné, Gaston est atteint, en 1931,d’une tuberculose incurable, elle s’isole avec lui pour le faire «mourir saintement». Il est clair qu’elle a joué un rôle décisif dans la vocation précoce de ses deux fils, Maurice et Paul, affirmée vers l’âge de dix ans. Toutefois, cette emprise a été contrebalancée par l’attitude du père qui souhaitait éprouver ces choix. Ainsi, après avoir commencé ses études au pensionnat Saint-Louis à Saint-Etienne, le jeune Maurice est placé dans une école professionnelle. Sa vocation se maintenant, il entre ensuite au petit séminaire d’Oullins, puis poursuit au grand séminaire de Lyon, se destinant alors au clergé séculier. Cependant, au bout de quelque temps, se sentant moins sûr, il quitte le séminaire et travaille pendant deux ans dans une fabrique stéphanoise de rubans. C’est à l’issue de cette période de réflexion qu’il choisit d’entrer dans l’Ordre dominicain. Nous sommes en 1927. Montuclard est alors âgé de 23 ans et sa vocation a donc mûri. On remarquera aussi qu’en dehors des périodes de grandes vacances, il a peu connu la vie de famille. Donc, si le rôle de la mère a été décisif dans l’éclosion de la vocation de son fils, celle-ci s’est ensuite affermie sous d’autres influences. Cependant, Montuclard continuera à avoir des échanges intellectuels périodiques avec sa mère jusqu’au décès de celle-ci en 1946. Quant au choix de l’Ordre dominicain, une de ses motivations vaut d’être ici mentionnée : au dire de son frère Roger, «Maurice prétendait avoir besoin d’une règle de vie plus stricte que celle du clergé séculier». On mesurera le poids de cette remarque à l’aune des péripéties ultérieures.

Notes
49.

Jean-François Sirinelli, Génération intellectuelle, Paris, Fayard, 1988

50.

Témoignage de Marie Aubertin-Montuclard (entretien du 26/11/1992) et de Roger Montuclard (correspondance du 2/8/1994)

51.

Jean Delumeau, La religion de ma mère : les femmes et la transmission de la foi, Cerf, 1992, 387 pages.