B) Montuclard, Action française ?

Est-ce dans cette période de formation intellectuelle qu’il faut rechercher les éléments d’une éventuelle participation de Montuclard à l’Action française ?

Dans son ouvrage Dominicains français et Action française. Maurras au couvent, le père Laudouze consacre tout un paragraphe au père Montuclard. Non sans avoir noté, page 209, que «‘paradoxalement, la province de Lyon, de tradition conservatrice quant aux observances héritées de la période du père Danzas’ ‘, semble avoir été moins touchée par les événements de l’Action française», il signale quelques cas attestés, puis indique que «la situation de Maurice Montuclard’ ‘ est plus délicate à cerner (...). Il semble que, dans la province, ce souvenir [d’un Montuclard’ ‘ Action française] se soit conservé...’» et ajoute : «‘S’il y avait certitude, on serait devant un cas assez remarquable par l’évolution ultérieure qui a été celle de Montuclard’ ‘.» André Laudouze’ ‘ s’appuie en fait sur le témoignage du père Serrand’ ‘ qui «a entendu parler de lui comme un ancien partisan d’A.F., mais ne le cite que par ouï-dire’»52.

Ces propos appellent plusieurs remarques. La première, de pure chronologie, permet de préciser les choses : l’entrée de Montuclard dans l’Ordre est postérieure à la condamnation pontificale de l’Action française et, même si celle-ci n’a pas étouffé toutes les velléités, la normalisation est alors entamée. De plus, les expressions «entendu parler» et «par ouï-dire» surprennent sous la plume du père Serrand53 qui devint dès les années de Rijckholt, un proche ami de Montuclard. Si ce dernier avait manifesté des sympathies marquées pour l’A.F. au couvent d’études, il en aurait été le témoin direct. En fait, c’est le rapprochement de la chronologie et des propos employés par le père Serrand qui est éclairant : l’épisode Action française date des années antérieures à l’engagement de Montuclard dans l’Ordre et donc à la rencontre des deux religieux. Deux éléments corroborent cette hypothèse. Dans le témoignage de Roger Montuclard qui indique que «‘Gaston, l’aîné, était Camelot du Roi, jusqu’à la condamnation romaine’» et sur la foi du témoignage d’un ancien condisciple de Maurice, que celui-ci était « ‘responsable du groupe A.F. au grand séminaire de Lyon’ 54 ». En définitive, il nous semble que la participation de Montuclard au mouvement d’Action française est à relativiser. S’il est indiscutable que celui-ci a baigné dans un milieu très marqué par l’idéologie maurrassienne et qu’il y a été sensible dans ses années de maturation intellectuelle, le terme de «partisan», au sens d’un engagement militant, nous paraît excessif. Il faut donc se défier d’une tentante reconstruction conceptuelle qui ferait du Montuclard progressiste des années 1950, le rejeton d’un Montuclard maurrassien des années 1920. Certes, un spécialiste en la matière, Jacques Prévotat, peut affirmer : «i‘l ne fait aucun doute qu’il existe un lien et une parenté de structure mentale entre les militants d’A.F., acharnés maurrassiens, d’avant-guerre et les militants catholiques du progressisme chrétien d’après guerre : même importance accordée au politique, même tendance à minimiser l’apostolat d’action catholique et les «oeuvres» au sens large du terme’ »55. Mais Montuclard n’est pas un « acharné maurrassien », bien au contraire – tout son travail des années trente le montre – et il n’est pas non plus réductible au confusionnisme de gauche décrit ci-dessus – c’est le centre de notre thèse - ; mieux, c’est non pas les idées de l’Action française, mais bien plutôt sa condamnation par Rome qui a marqué l’expérience de Montuclard, au moins jusqu’à la fin des années 1940, comme le montre ce qu’il écrivait en 1948, inspiré par ces réminiscences : « L’on n’a pas encore perdu le souvenir d’un type de catholique, fréquemment rencontré naguère dans les milieux de l’Action française, et qui tend – nous en avons été témoins quelquefois – à réapparaître maintenant en certains groupements influencés par un marxisme trop scolastique. La politique « réaliste » a une vertu particulière pour absorber les énergies, mobiliser les passions, développer le sectarisme et, par contrecoup, pour diminuer le sens de la grâce, de la charité, des réalités invisibles. Le chrétien qui cède à cette tentation d’un positivisme sec et étroit, s’extériorise de plus en plus, s’anémie spirituellement, verse partiellement dans l’amoralisme : il est perdu pour l’Action catholique, les oeuvres, et parfois même pour l’Eglise »56.

Notes
52.

Op. cit., page 189.

53.

Lettre à l’auteur, 14/10/1986

54.

Lettres du 2/8/1994 et du 20/11/1995

55.

Lettre à l’auteur, 17/12/1997

56.

Henri Guillemin, André Mandouze, Paul Ricoeur, Georges Hourdin, Daniel Villey, M. Montuclard, Les chrétiens et la politique, Paris, Editions du Temps présent, 1948, pages 155-156