III LES FONDEMENTS THEORIQUES

A) Un corpus étoffé

C’est dans le long courrier adressé le 5 novembre 1935 au père Lesimple qui vient d’être élu provincial que l’on trouve sous la plume de Montuclard la première définition explicite du projet : « ‘il s’agit dans notre pensée de créer ce que nous appelons encore la «Communauté chrétienne’ ‘» : des chrétiens de tous milieux se rencontrant pour fraterniser dans la prière liturgique, l’étude en commun des problèmes actuels qui les intéressent et décidés à se former à l’exemple des communautés chrétiennes primitives’ ».

On ne peut qu’être frappé par cette définition, qui précise dès le départ tous les principes fondamentaux du mouvement : approfondissement de la foi menée conjointement avec une réhabilitation du temporel et d’une ouverture sur la société, refus de la spécialisation sociologique de l’Action catholique, choix du modèle communautaire, de la prière et de l’étude comme moyens de réalisation.

A partir de ces idées fondatrices, le groupe va procéder à une réflexion approfondie dont témoigne l’important ensemble de documents dont nous disposons. Ceux-ci sont de deux ordres : d’une part les nombreux rapports adressés par la Communauté à la hiérarchie, soit pour l’informer de l’évolution de la situation, soit pour solliciter une reconnaissance ou un statut particulier, et qui reprennent souvent les grandes orientations du groupe ; dans cette première catégorie, on peut classer les quatre rapports présentés au cardinal Gerlier et datés des 8 décembre 1936, 9 février 1938, 25 novembre 1940 et 2 mars 194487, ainsi qu’une série de mémoires envoyés aux principaux dignitaires de l’Eglise de France durant l’été 193788, ou encore des documents épars à usage interne qui forment comme des jalons destinés à faire le point de la réflexion.89 ; d’autre part, un corpus de grands textes qui fondent en théorie l’expérience menée. Ces « grands textes » de la Communauté forment un ensemble d’une remarquable cohérence interne et développent tous une argumentation sensiblement identique, basée sur une description diagnostique de la situation de l’Eglise et une série de propositions de réformes. Le plus ancien, Aspects nouveaux de l’Action catholique, est un mémoire de 76 pages, daté du 19 mars 1936, que Montuclard a pensé pouvoir publier dans la collection des «Questions disputées», co-dirigée par Jacques Maritain et l’abbé Charles Journet aux éditions Desclée de Brouwer. Même profondément remanié à la suite des critiques de Maritain qui le juge beaucoup trop clérical, le texte porte les scories d’une réflexion encore balbutiante. Le second, intitulé Notre action  90, affirme la place et le rôle des chrétiens dans la société.

On peut y ajouter deux documents à usage interne : le premier numéro de Message 91, le bulletin de liaison du groupe, qui ouvre sur un texte de six pages : « Pourquoi notre Communauté ? » et le Carnet de route , véritable « règle » de la Communauté, rédigée par Maurice Montuclard et Emmanuel Mounier en 1940 à Montverdun.

Enfin, il faut intégrer à cet ensemble, l’article principal du premier cahier de Jeunesse de l’Eglise, «Tâches d’aujourd’hui », publié en 1942, à la fois manifeste du mouvement et récapitulatif de l’expérience communautaire menée depuis 1936. Avant d’en étudier le contenu, il faut signaler que tous ces textes, présentés comme émanant de la Communauté, ont été rédigés pour l’essentiel par Maurice Montuclard seul : le contenu reflète certes les échanges et les contributions des membres – du moins les plus engagés -, mais, tant l’analyse interne (le style, le mouvement des idées) que la critique externe (à partir des brouillons, notes, correspondances diverses) conduisent à conclure à une rédaction très personnelle de sa part.

Notes
87.

A la lecture de ces dates, on mesure l’intérêt de ces documents pour une connaissance régulière du mouvement.

88.

Nous reviendrons sur les motivations et les circonstances de cette démarche. Cf infra, page 89.

89.

Par exemple le tapuscrit daté du 7/11/1936 : « Nous nous sommes rencontrés dans la conscience des faits suivants... »

90.

Aimablement communiqué par Emile Poulat. 28 pages, mais il manque au moins un quatrième chapitre sur l’Action catholique. La datation en est rendue difficile : 1937 ou 1938, en tout cas postérieure à février 1937.

91.

53 numéros du 10 décembre 1939 au 1er juillet 1944. Bimensuel jusqu’en mai 1940, mensuel ensuite.