E) L’équipe des prêtres et la question des relations laïcs/clercs dans la Communauté

A partir du printemps 1937 s’est structuré le groupe des cinq prêtres réunis au gré des rencontres avec le père Montuclard. Dès la fin de l’année, l’équipe se retrouve régulièrement au presbytère de Montverdun chez l’abbé François Fontvieille. Le groupe est aussi hétérogène que possible : un jeune et bouillant vicaire de paroisse ouvrière, deux professeurs, un religieux et un curé de campagne. Mais tous goûtent très vite la joie d’une fraternité qui rompt leur isolement et leur offre l’occasion d’échanger leurs conceptions du sacerdoce. Celles-ci sont inspirées du diagnostic dressé par Montuclard : les maux dont souffre l’Eglise, et surtout la perte du sens communautaire en son sein, viennent essentiellement du discrédit qui frappe la paroisse, dont les causes sont multiples : ritualisme vide, fixisme liturgique excessif, capture des énergies par l’Action catholique, mais aussi formation insuffisante du clergé.

De là l’idée de créer des « groupements sacerdotaux » au service de l’épiscopat, susceptibles de prendre en charge des paroisses non desservies ou de renforcer la prédication dans les pays de mission, voire de fournir des aumôniers aux mouvements d’Action catholique.

Cette structure retrouve les grandes lignes du projet de la Communauté, qui serait centré sur une pratique exigeante de la pauvreté, vécue comme témoignage à l’égard des fidèles, une formation théologique et philosophique poussée et une organisation inspirée de la vie religieuse. Cette formule, qui n’est pas sans rappeler les chanoines réguliers, pourrait être diocésaine – l’évêque jouant alors le rôle de supérieur religieux – mais le projet est plutôt de créer un mouvement national, voire international, afin de développer une plus grande solidarité envers les diocèses pauvres et déchristianisés.

Mais le projet de la Communauté va plus loin en défendant l’opportunité de réunir dans un même mouvement les clercs et les laïcs. Pour Montuclard, les laïcs groupés ont besoin de prêtres formés spécialement pour les assister spirituellement et les prêtres ont besoin des laïcs dans le ministère paroissial et – pourquoi pas ? – dans les missions. Pour que cette collaboration rende au maximum, il faut que l’esprit des deux groupements soit analogue, « ‘autour du même programme et des mêmes engagements’ »189.

Même si, dans ses contacts avec la hiérarchie, Montuclard s’efforce de minimiser cet aspect190, le rapprochement constitue un élément essentiel de l’expérience lyonnaise. Dès cette époque, il y a dans son projet un souci de clarifier les relations entres clercs et laïcs et de sortir des ambiguïtés d’une situation où les principes (cléricature érigée en état, isolement du prêtre, célibat sacerdotal) sont parfois très éloignés de la réalité : relations personnalisées par le biais de la confession ou de la direction de conscience, vie mondaine de certains clercs, réseaux de pouvoirs et d’influence dans la société... Et si, par souci d’éviter d’affronter la hiérarchie, Montuclard veille à une organisation séparée pour la branche sacerdotale et la branche laïque, il tient à susciter quelques réunions communes où les barrières entre états sont volontairement abolies et où les membres participent à la réflexion sur un pied d’égalité.

« Il y aura de la tempête » avait prévenu Montuclard dans la toute première circulaire adressée aux cinq membres fondateurs de la branche sacerdotale. Ne se doutait-il pas déjà que la question des rapports entre clercs et laïcs était explosive ?

Notes
189.

Rapport du 6 janvier 1938, page 8 ; rapport du 9 février 1938, page 3.

190.

« Il ne saurait s’agir, évidemment, de confondre ce qui doit être distinct : on ne peut former ensemble des prêtres et des laïcs ». Rapport au cardinal Suhard, 26 juin 1937.