011B) Montuclard, directeur des éditions de l’Abeille237

Avant même les bouleversements de l’été 1940, Montuclard avait été sollicité par ses supérieurs. Le père Cathelineau avait songé à lui lorsque l’équipe de la Tour-Maubourg, désireuse de devenir interprovinciale lui avait demandé le détachement d’un « ‘collaborateur, jeune, théologien aux idées neuves, etc, etc...’ »238, glissant même à l’oreille de l’intéressé qu’à Paris, où il bénéficierait d’une plus grande liberté, il pourrait travailler plus aisément à son oeuvre. Ce dernier aspect de la proposition sera entendu...cinq ans plus tard ! Toutefois, en ce printemps 1940, Montuclard se déclare trop accaparé pour accepter. Cependant, les événements bouleversent rapidement les données du problème. En juin 1940, les éditions et les publications dominicaines ont été balayées par la bourrasque de la guerre et de la défaite. Mais « ‘il reste que la formation spirituelle et le soutien des âmes déconcertées en ce moment sont une oeuvre des plus utiles’ » et dès l’été, la reprise de certaines collections, dont La Vie spirituelle, est envisagée. Cela malgré les difficultés qui s’amoncellent : retrouver un public dans la dispersion générale, faire face à la nouvelle situation administrative, changer les collaborateurs, dont certains sont loin d’avoir l’heur de plaire aux cercles dirigeants du nouveau pouvoir. Ainsi, on peut lire sous la plume du père Duployé : ‘« Tout ce que j’ai vu et entrevu ici [à Vichy] me montre qu’il faut abandonner définitivement l’équipe de l’ancienne Vie intellectuelle et que le père Bernadot’ ‘, s’il était sage, devrait disparaître complètement de la scène de l’édition O.P. C’est pour moi désormais une certitude. Je ne veux pas attacher mon salut à une planche pourrie. ’»239 C’est le père Lebret qui est pressenti pour représenter la province de Lyon dans l’équipe de départ, voulue interprovinciale, tandis que le choix du lieu d’installation reste incertain : Montpellier, Marseille, Lyon, Saint-Maximin. Tandis que le père Motte défend la survie de La Vie intellectuelle, il évoque dès le mois de novembre une installation à Lyon et la présence du père Montuclard dans l’équipe interprovinciale. Mais les choses traînent en raison de l’hostilité de la province de Toulouse qui craint l’hégémonie des religieux parisiens et s’oppose à toute poursuite de La Vie intellectuelle, que ses prises de position dans les années trente, tout particulièrement les billets de Civis et Christianus, ont placé en ligne de mire des milieux qui triomphent alors. La situation se débloque finalement fin 1940 avec la signature des « accords d’Agde », entre les pères Lebret, pour la province de Lyon, et Maydieu de la province de France qui prévoient la création lyonnaise d’une maison de culture dont la branche éditoriale, baptisée « les Editions du Cygne », est dirigée par le père Montuclard. Elle a, au départ, la charge de deux publications : les Cahiers de Vie intellectuelle, prolongements non périodiques de la Vie Intellectuelle, sous la responsabilité du père Duployé, et La Vie spirituelle, qui est aussitôt relancée et dont le secrétaire de rédaction est le père Louvel. Le comité de censure est présidé par le père Lebret. Dans cette configuration, le rôle du père Montuclard semble finalement secondaire et son titre quelque peu honorifique, celui-ci n’étant pas directeur de revue et la maison d’édition n’ayant pas d’autres publications prévues dans un premier temps. Certes l’activité peut être appelée à se développer, mais l’ardeur du père Maydieu à démontrer au père Cathelineau l’importance du poste de directeur240 est si grande qu’elle en est suspecte : les Parisiens contrôlent l’essentiel - la direction de chacune des revues.

Les Lyonnais n’ont pas réussi à profiter des circonstances pour entamer la suprématie éditoriale de la Province de France et ne sont pas dupes : « ‘Nous nous trouvons en face de faits favorables à Paris. Ils ont la priorité dans la conception et la réalisation des revues’ ». Mais ils se félicitent « ‘d’avoir une excellente occasion pour les nôtres de voir manoeuvrer les Parisiens’ » (...) ainsi que «‘d’être introduits, à Lyon dans ’ ‘La Vie spirituelle’ ‘ et ’ ‘La Vie intellectuelle’ ‘, et par un type solide, le père Montuclard’ 241 ».

Les griefs ne tardent pas à surgir entre les deux équipes : Lyon a le sentiment de ne pas occuper la place qu’elle espérait. Le Cerf se dédouane du reproche d’avoir lancé seul un premier cahier dans la nouvelle collection Rencontres sous la direction du père Maydieu, en regrettant que le père Lebret n’ait pas, comme convenu, donné un cahier équivalent à l’Abeille242, nom finalement choisi, de préférence au Cygne, pour la branche lyonnaise ; qu’il se fasse à son tour éditeur243 ; que le père Duployé ait été relevé de ses fonctions de directeur de Rencontres à Lyon ; que le père Serrand, délégué comme représentant de la Province de Lyon dans l’équipe de la Tour-Maubourg, ne se décide pas à occuper sa place. Dans ce concert de reproches, le satisfecit du père Boisselot prend d’autant plus de relief : « ‘Toutes ces déceptions ne nous masquent pas ce que la province de Lyon a apporté (...) : le don de deux pères doués intellectuellement et de rapports fraternels si agréables, le Père Montuclard’ ‘ et le père Martin »’ 244.

En fait, il est bien difficile de réaliser une véritable collaboration, tant les parties sont de force inégale. Le Cerf a eu beau confier à l’Abeille La Vie Spirituelle, ses listes d’abonnés et ses réseaux de distribution, lui céder des droits sur des ouvrages à faire paraître, lui abandonner deux collaborateurs chevronnés - les pères Duployé et Louvel -, la maison lyonnaise n’a aucune expérience de l’édition. Surtout, le manque d’un vivier de collaborateurs comparable au couvent d’Etiolles la condamne à l’indigence. Au couvent de Saint-Alban-Leysse, ‘« 3 ou 4 lecteurs seraient capables d’écrire dans une collection sérieuse. La plupart répugnent à l’idée de se distraire de leur travail de professeur ou ne se sentent pas assez ouverts aux questions actuelles.’ »245

Pour toutes ces raisons, le père Montuclard maintient son point de vue : « ‘Une maison d’éditions dominicaines lyonnaises, si elle est capable de vivre, est incapable d’avoir de l’influence, en dehors (...) des circonstances exceptionnelles présentes . ’»246 Tirant la conclusion de cette analyse, il demande en mai 1941 aux pères de la Tour-Maubourg d’accepter que l’Abeille soit constituée en succursale des éditions du Cerf, « ‘sous la forme d’un S.O.S. très rapide’ », selon les termes du père Boisselot. Toujours est-il qu’à cette époque, le père Montuclard est suffisamment introduit dans le milieu éditorial pour que la situation attise son désir de publication.

Notes
237.

Ce développement doit beaucoup à Etienne Fouilloux, qui m’a communiqué aimablement le dossier « Cerf-guerre » qu’il a constituté dans les archives dominicaines.

238.

Lettre du père Cathelineau au père Montuclard, 4 mars 1940.

239.

Lettre du père Duployé à ?, Vichy, 30 septembre 1940, ADT.

240.

Lettre du père Maydieu au père Cathelineau, 21 janvier 1941. ADL B 1610.

241.

Lettre du père Serrand au père Cathelineau, 13janvier1941, ADL 1610.

242.

Ce cahier est confié aux éditions du Temps Nouveau.

243.

Référence à la publication des premiers travaux d’Economie et Humanisme.

244.

Lettre du père Boisselot aux pères de Lyon, 5 novembre 1941, ADL B 1610.

245.

Document sans auteur, ni date, que nous attribuons au père Montuclard de façon quasi certaine.

246.

Ibid