C) Un retentissement remarquable.

Diffusé dans un premier temps uniquement en zone non occupée, le cahier reçoit un accueil très favorable. Il s’écoule à un rythme exceptionnellement rapide pour une revue de ce type et bientôt les 3000 exemplaires édités sont épuisés. L’article « Tâches d’aujourd’hui » bénéficie d’une seconde impression sous forme d’un tiré-à-part. La soif de lecture et de débat dans ces temps de privations n’explique pas seule cet engouement du public. C’est surtout l’originalité des positions défendues, qui tranche avec la littérature catholique commune et séduit des esprits qui, à la faveur des événements, ont commencé à rompre avec bien des idées reçues et sont en quête d’instruments de pensée nouveaux pour entrer et agir dans le monde qui naît. L’écho est amplifié par les recensions élogieuses données par de nombreux journaux et revues. Le cahier profite en effet d’une presse abondante et séduite. Deux publications lui réservent notamment un traitement de faveur : Positions, qui a repris depuis mai 1942 à Saint-Etienne le flambeau de Temps nouveau, interdit en août 1941... et Demain, où Jean de Fabrègues se fait le chantre catholique des idées de la Révolution nationale255. Dans Positions du 30 janvier 1943, Joseph Folliet signe un papier très enthousiaste : « ‘Ce premier cahier est plus que remarquable par la densité et la qualité des travaux qu’il rassemble. Et surtout il contient un article liminaire, mi-étude, mi-programme, qui m’a donné la joie rare de voir exprimé clairement ce que je commençais à sentir confusément depuis mon retour de captivité (...). Rien que pour cet article, indépendamment de ce qui l’entoure, je recommanderais Jeunesse de l’Eglise à tous les chrétiens qui portent le souci, qui nourrissent la responsabilité de l’avenir de l’Eglise.’ » L‘article est repris, in extenso, mais non signé, dans La Croix du 2 février, ce qui lui donne un grand retentissement.

Positions continuera à donner régulièrement un écho favorable aux travaux de Jeunesse de l’Eglise, sous la forme de citations tirées des Cahiers 256 ou d’articles plus importants. En juin 1943, c’est le père de Lubac qui y signe une mise au point : « ‘Jeunesse de l’Eglise ne condamne pas l’Action catholique, il l’invite à se dépasser’ »257, tandis qu’en janvier 1944, Joseph Folliet livre » ‘quelques réflexions décousues en marge du deuxième cahier de Jeunesse de l’Eglise ’»258. Mais c’est dans les colonnes de Demain, sous la plume de Jean de Fabrègues lui-même, que l’on trouve les éloges les plus appuyés. Un premier article, qui présente l’annonce de la publication lyonnaise comme l’étrenne pour la nouvelle année, en dit tout le bien possible : « ‘Quel profond accord nous unit à ces pages de Jeunesse de l’Eglise ! (...) Il faut lire ces pages et s’en imprégner. Tout le tournant chrétien de l’époque y est’ »259.

Un mois plus tard260, Fabrègues revient à la charge, pour souligner combien est essentiel le conseil premier de Jeunesse de l’Eglise de tenir séparés spirituel et temporel. Non sans appuyer son assentiment sur un malentendu : car s’engager dans le monde, le défendre, signifie pour lui le défendre contre lui-même, « ‘non [pas] être son complice, ignorer l’insuffisance ou le mal de l’époque, mais au contraire les connaître pour défendre mieux ce monde contre eux ’», ce qui n’est certainement pas le fond de la pensée de Montuclard.

L’enthousiasme de Fabrègues ne tarit pas avec la publication du second Cahier : « Deux cents très grandes pages », écrit-il dans un article où il loue l’objectivité de la méthode J.E. : « ‘On la qualifierait volontiers de phénoménologique. En effet, on sent à chaque pas le souci des auteurs de ne pas quitter le contact du réel, du phénomène : homme ou chose. Et c’est peut-être cette méthode qui leur confère leur seconde qualité : une absence de passion partisane qui ne le cède qu’à la volonté de dire tout ce qui leur paraît jaillir de cette vision du réel. Aussi les problèmes qui sont vraiment ceux d’aujourd’hui n’échappent-ils pas aux auteurs de Jeunesse de l’Eglise. Vautours guettant leur proie, ils savent fort bien circonscrire l’aire qui la domine, peu à peu s’en rapprochant et vont droit à elle. Ils nous y conduisent avec eux. Ils doivent y conduire l’esprit des contemporains. Voilà l’important.’ »261 Dans son billet de Noël 1943, sous le titre « Valeurs françaises », Fabrègues reparle du deuxième fascicule des Cahiers comme d’ ‘» un trésor de bon sens profond et d’éclatante lucidité.’ »262 Mêmes louanges – mais dans un esprit très différent au fond – pour cette deuxième livraison dans Positions du 15 janvier 1944 : « ‘Le dernier fascicule de Jeunesse de l’Eglise nous paraît revêtir une telle importance que (...) nous nous faisons un devoir d’en conseiller à nos lecteurs une lecture attentive. On ne peut qu’applaudir à la vigueur et à la signification de ce procès du conservatisme ’».263 La seule note discordante vient de l’Action française qui s’exclame : « ‘Quelques imbéciles se demandent, avec des mines cafardes, si la religion catholique est capable de « s’adapter » à de nouvelles transformations du monde. En vérité, l’Eglise ne change pas, le dogme ne « s’adapte » pas.’ »264

Notes
255.

On connaît la controverse qui opposa Emmanuel Mounier et Joseph Folliet à Jean de Fabrègues à propos du lancement du journal, les deux premiers suspectant le troisième d’avoir obtenu des services de Vichy les fichiers d’abonnés d’Esprit et de Temps nouveaux.

256.

Positions, 3 avril 1943, 8 mai 1943, 15 mai 1943.

257.

Ibid, 12 juin 1943. Le père Lubac avait déjà souligné dans Cité Nouvelle de janvier 1943. « l’inspiration très haute » des pages écrites par le père Montuclard.

258.

Ibid, 15 janvier 1944.

259.

« Jeunesse de l’Eglise », Demain, 31 janvier 1943.

260.

« Distinguer ce qui doit l’être », Ibid, 7 mars 1943.

261.

« Ordre naturel et engagement politique », Demain, 5 décembre 1943.

262.

« Valeurs françaises », Demain, 26 décembre 1943.

263.

Quelles conclusions tirer de cette étonnante convergence ? D’abord celle d’un désir général de réforme, voire de révolution religieuse ; ensuite celle d’une prééminence incontestable de l’approche strictement religieuse de la question ; enfin, dans cette approche, une convergence de sensibilité qui transcende d’autres clivages : de Fabrègues s’inscrit bien là dans la tradition d’une droite non conformiste, dont il a été un digne représentant dans les années 1930.

264.

« Sagesse de Jeunesse de l’Eglise », l’Action française, 4 mai 1944.