Elle pouvait soit prendre la forme d’une simple réunion, soit être intégrée à une messe. Dans les deux cas, les participants étaient assis en rond autour de la table, le prêtre au milieu d’eux. Cette pratique n’avait rien de très original : si elle n’avait pas encore cours dans les églises paroissiales, elle était déjà de mise dans les troupes scouts ou les mouvements de jeunesse. La liturgie eucharistique n’innove pas davantage : ce n’est pas le point sur lequel portent les préoccupations de l’équipe. En revanche, la nouveauté porte sur deux points : d’une part la volonté de rétablir une véritable « liturgie de la Parole », avec une participation active de tous les assistants et un temps beaucoup plus long (une heure et plus) consacré à la lecture des textes bibliques et à leur commentaire ; d’autre part, cette liturgie de la Parole, est divisée en deux parties : la lecture de la Bible est suivie d’une « lecture » des événements, selon la conviction, fondamentale pour JE, que la vie chrétienne se nourrit à deux sources, toutes deux essentielles : l’Ecriture et les événements, « ces maîtres que Dieu nous donne ».
La lecture de la Bible suivait quelques principes précis : étude de textes assez longs en réaction contre le tronçonnage en petits passages isolés de leur contexte trop souvent pratiqué lors de la messe dominicale ; choix de textes de l’Ancien Testament, de préférence au Nouveau, dans un double souci d’aborder une partie souvent mal connue de la Bible et d’éviter toute dérive moralisatrice au détriment d’un pur message de foi ; enfin, recherche systématique de correspondances et de parallèles entre divers textes, particulièrement entre Ancien et Nouveau Testament. Cette lecture assidue fut une des découvertes les plus marquantes des membres de JE. Jacques Roze résume leur état d’esprit d’alors : ‘« Je découvrais, stupéfait, que j’étais chrétien et que je ne connaissais pas la Bible !’ »371 Quant à François Le Guay, il se souvient du plaisir procuré par cet accès libre, joyeux, « gourmand » aux textes sacrés.372 Il est vrai que l’abord des Ecritures était à l’époque peu encouragé, voire monopolisé, par l’autorité ecclésiastique. D’où ce sentiment de découverte et cette excitation d’aborder des terrae incognitae. Ce temps liturgique répondait aux préoccupations fondamentales de Montuclard : un approfondissement et un partage de la foi. En aucun cas, il ne s’agissait d’y chercher des consignes pour l’action, pas plus qu’un enseignement moral.
La deuxième partie de l’assemblée était consacrée à la « lecture » des événements. Ceux-ci étaient choisis soit dans la vie personnelle et familiale des participants, soit dans leur pratique militante, syndicale ou politique. Il pouvait s’agir aussi d’un événement de portée nationale ou internationale, jugé significatif des problèmes de l’époque. Il n’est pas question, là non plus, de donner des consignes ou même des orientations, mais de comprendre des situations concrètes dans une perspective chrétienne. Cette perspective, qui ne se veut pas objective ou « scientifique », ne cherche pas pour autant à être engagée, même si cette tendance prévaudra par la suite, avec la radicalisation du mouvement. Dans cette phase également, les principes de JE sont mis en pratique : les tentations de cléricalisme, de droite comme de gauche, la « politique tirée de l’Ecriture Sainte » y sont rigoureusement dénoncées et rejetées ; la liberté de conscience du chrétien y est réaffirmée. ‘« Certes, la réunion en assemblée apporte beaucoup : éclairage nouveau, partage d’expérience, soutien de l’amour fraternel, etc... Mais, en définitive, chacun est seul responsable de sa vie dans le monde et de la façon dont il s’inspire de l’Ecriture. La réunion est avant tout l’apprentissage de la liberté chrétienne’. »373 Elle est donc bien au coeur de la vie et de la réflexion du groupe de Clairbois. Mais c’est surtout avec les « troisièmes dimanches » que le Petit-Clamart devient un lieu de rencontres et d’échanges.
Ce paragraphe s’appuie essentiellement sur le témoignage de François Le Guay : « Assemblée chrétienne au Petit-Clamart », 28 décembre 1999, 4 pages dactylographiées adressées à l’auteur.
Entretien du 25 octobre 1994.
Ibid., page 2.
François Le Guay, op. cit.