3) Les « troisièmes dimanches »

Le troisième dimanche de chaque mois, une discussion est organisée à Clairbois sur un thème fixé à l’avance. Les débats, souvent passionnés, regroupent de nombreuses personnalités catholiques : Emmanuel Mounier, Paul Fraisse, parfois Henri-Irénée Marrou ou Paul Flamand qui représentent Esprit ; Marcel Moiroud et Jean Verlhac, pour l’UCP ; Jean Baboulène, de Témoignage chrétien ; de fortes individualités comme l’abbé Boulier, l’abbé Glasberg, quelques prêtres-ouvriers. Vers la fin de 1947, Louis Althusser, alors agrégatif, commence à y paraître. A partir de la rentrée 1948, le caractère des rencontres a évolué : elles se veulent « ‘moins réunions d’études qu’échanges d’amitié’ »374 et se déroulent non plus le matin, mais l’après-midi, à 17h30. La conversation est clôturée par la messe, suivie d’un repas pris en commun. En tout état de cause, le nombre de participants ne dépassant guère la vingtaine, la rencontre s’apparente davantage à un débat à bâtons rompus qu’à une conférence. La réflexion progresse souvent par thèmes, la séance à venir approfondissant les questions jugées intéressantes ou laissées en suspens lors de la séance précédente. Ainsi la réunion de décembre 1946 sur  « ‘la nature du salut’ »375 inspire le thème de janvier 1947 : « ‘Le salut les uns par les autres ’»376. Les thèmes abordés sont parfois dictés par l’actualité, lorsque celle-ci se fait pressante. Ainsi la réunion du 18 avril 1948 est consacrée à » La question de la paix », car, comme le dit la convocation « Nous passons ce printemps de la guerre froide à la guerre tiède »377, mais en ajoutant : ‘« Nous n’avons pas pour autant l’intention de transformer nos rencontres en assises du café du commerce »378.’ De fait, la réflexion concerne presque toujours les grandes questions autour desquelles tourne le travail de JE et elle replace systématiquement le débat dans une perspective théologique. Ainsi, « ‘au lieu de nous demander avec trop de hâte ce que nous pouvons faire pour sauver la paix, ne s’agirait-il pas d’abord pour nous chrétiens, de nous rappeler ensemble quelle est la paix annoncée par le Christ : « Je vous donne ma paix. » (Gal. 5, 22 – Jn 14, 27 - Philip. 14 27, I Cor 7, 15) et « Ne croyez pas que je sois venu apporter la paix sur terre. » (Mt 10, 34 – Lc 12, 51). » On est loin d’une « politique tirée de l’Ecriture Sainte’ »...

Cela dit, l’examen des sujets traités montre un infléchissement sensible à l’automne 1947.379 Jusque-là, les préoccupations sont essentiellement centrées sur les aspects doctrinaux et sacramentels. Sans éviter pour autant des sujets sensibles ou à charge polémique (en mai 1946, « Croire en Dieu, qu’est-ce que cela veut dire ? » ; en juin, « La crise religieuse actuelle ; les moyens d’y faire face ; la place de JE parmi ces moyens »), les réunions abordent par exemple « La vie ecclésiastique » (avril 1947), »  La prière » (mai 1947), »  La vie de l’Eglise » (juin 1947).

L’automne 1947 marque un tournant, lié à la conjoncture générale lue en termes politiques et sociaux (les grandes grèves, très dures, de novembre et début décembre, les suites de la conférence des partis communistes à Szklarska-Poreba et de la création du Kominform) mais aussi en termes religieux : l’attitude modérée de la CFTC et surtout le raz-de-marée RPF aux élections municipales des 19 et 26 octobre sont interprétés comme un « revirement » des catholiques face aux événements.

On constate alors un recentrage des préoccupations sur la dimension missionnaire et une radicalisation du débat, à l’image de l’évolution du mouvement. Le « troisième dimanche » de novembre 1947 est consacré à » L’Eglise et la classe ouvrière », celui de décembre pose la question « Où sont vécues aujourd’hui les valeurs évangéliques de pauvreté ? » En janvier 1948, des marxistes sont invités à prendre la parole pour approfondir « les incidences sociologiques du message chrétien (pauvreté en esprit) et les incidences religieuses du message marxiste sur la pauvreté. »

Les séances suivantes s’aventurent dans les marges de la recherche religieuse : en février, « Légitimité et limites de l’initiative dans l’Eglise » pose la question du magistère ; la réunion de mars ouvre une réflexion sur la notion de renoncement, passée au crible d’une critique psychanalytique et marxiste de l’aliénation ; début 1949, c’est « Le  faux idéalisme chrétien », issu d’une morale mal assimilée, qui est dénoncé.

En fin de compte, les thèmes abordés lors des « troisièmes dimanches » reflètent les étapes de la recherche que l’on retrouve, sous sa forme aboutie, dans les publications. Cette recherche irrigue aussi la vie et la réflexion des différents groupes de province qui font de Jeunesse de l’Eglise, non seulement un courant de pensée, mais aussi un véritable mouvement.

Notes
374.

Convocation au troisième dimanche. 

375.

Fonds Montuclard, 1, 11, 1, 19.

376.

Fonds Montuclard, 1, 11, 1, 18.

377.

Convocation, 10 avril 1948, Fonds Montuclard 1, 11, 1, 6,

378.

Ibid.

379.

Nous disposons des convocations d’avril 1946 à juin 1949 ( Fonds Montuclard 1, 11, 1).Voir annexe IX. En revanche, nous n’avons pas retrouvé de comptes-rendus de « troisième dimanche ».