C) De Maritain à Hegel : Une vision hégelienne de la théologie

Le Cahier 5 statuait sur la mort de la chrétienté, dans une interprétation radicale de la critique de Maritain. Le Cahier 7, « Délivrance de l’homme », revient sur un concept cher au philosophe, la distinction entre spirituel et temporel, pour le critiquer lui aussi. Dans l’article qui ouvre le numéro et qu’il intitule « Médiation de l’Eglise et médiation de l’Histoire », Montuclard introduit son propos en dénonçant le dualisme auquel une telle distinction peut aboutir : on commence par rendre à César ce qui est à César et on finit par nier que tout est à Dieu. Au nom de la reconnaissance de la valeur propre du temporel, on conteste que tout le salut vient du Christ. Cette attitude dualiste éminemment condamnable puise sa source, selon Montuclard, dans une confusion du vocabulaire. Si les termes de spirituel et temporel sont des termes appropriés pour la réflexion théologique, ils ne conviennent pas aux réalités de l’existence : « ‘Où est le temporel pur ? Le spirituel pur ? L’Eglise est temporelle aussi, et la science, l’art, la politique, le progrès matériel lui-même sont pleins de spirituel’ »444 Il préfère donc distinguer l’Eglise, avec son organisation sociale et hiérarchique, et l’Histoire, désignant ainsi le devenir de l’humanité à travers les siècles.

Or, si les religions ont incarné longtemps la seule médiation du salut, l’homme moderne pense différemment : pour lui, l’Histoire joue un rôle libérateur et même, pour l’incroyant, elle seule assume ce rôle. Cette opinion se fonde évidemment en grande partie sur une philosophie du progrès, mais Montuclard y voit aussi un effet du rayonnement de certains hommes qui, écrit-il, « ‘sans le secours d’aucune Eglise, ni d’aucune religion, donnent l’impression vivante d’être sauvés. Chez quelques-uns qui n’échappent pourtant par aucun privilège à l’oppression des difficultés et des inquiétudes de tous, [il y a] une foi, une espérance, un sens de l’avenir, et parfois une vision dominante de la situation historique, où ils puisent maîtrise de soi, aisance des pensées et des comportements, courage, initiative’. »445 Le scientifique, l’artiste, le militant : voilà de ces figures d’hommes sauvés. Que leur a-t-il fallu pour l’être ? « ‘Il leur a suffi d’entrer activement dans le courant de l’Histoire ’». En fait, on voit clairement le postulat qui sous-tend la démonstration : l’histoire est libératrice dans la mesure où elle offre à l’homme de croire in fine à sa libération. Cette conception linéaire et positiviste de l’histoire - qui s’inspire de la vision judéo-chrétienne et la retrouve - n’est pas discutée. Ce qui importe, ce n’est pas tant sa validité que la conscience qu’en a l’homme moderne. Les théories qui la contestent, comme l’existentialisme, sont renvoyées aux illusions de l’intellectualisme, agissant comme écran de fumée. Car les systèmes de pensée contemporains, comme le marxisme, peuvent bien s’avérer limités, imparfaits, condamnables ; il n’en demeure pas moins qu’ils engendrent des hommes qui les dépassent et atteignent les vertus les plus hautes. C’est l’argument bien connu de la valeur supérieure des réalités humaines par rapport aux idéologies et Montuclard a sans doute à l’esprit, en écrivant ces lignes, un article de son ami Louis Althusser dans Dieu Vivant paru l’année précédente : « ‘Si le marxisme n’existe plus, les marxistes existent. Mieux encore : tout ce qu’on ôte d’un côté à la théorie, on est contraint de le redonner de l’autre aux hommes. De même qu’on n’a pas « dépassé » le catholicisme tant qu’on n’a pas « dépassé » les catholiques dans leur propre être religieux, d’où leur sérénité. Auprès de l’être historique du mouvement communiste, de l’existence de foules qui confessent la doctrine marxiste et l’espérance marxiste, auprès de ce poids humain-là, tous les « dépassements du marxisme » ne pèsent pas lourd »446. Reste que, vue comme délivrance de l’homme, l’histoire peut s’inscrire dans le dessein divin. « Si l’histoire délivre l’homme de ses ignorances, de ses terreurs ; si elle lutte contre la maladie et contre la mort ; si elle abat les tyrannies, crève les aliénations ; si elle rapproche lentement l’humanité..., comment hésiter à voir en elle un intermédiaire aussi de l’unique Salut qui vient de Dieu ?’ »447 Mais Montuclard va plus loin en octroyant un pouvoir véritablement rédempteur à l’Histoire. Parce qu’elle apporte une foi, une espérance, un sens du monde et de la vie aux hommes qui embrassent son mouvement et particulièrement aux petits et aux humbles, elle les fait accéder au Salut.

‘011« Quand on regarde les religions de l’humanité, le mouvement de la civilisation, les apports de l’humanisme, les aspirations et les vertus ouvrières..., on ne peut vraiment s’empêcher de penser que ceux-là qui demeurent et pour ainsi dire malgré eux, en dehors de la véritable Eglise, sont conduits, grâce à Dieu, par la suppléance et la médiation de l’Histoire, là où la société ecclésiale a charge de conduire les chrétiens. »448

Il faut bien mesurer la portée d’un tel raisonnement.449 Certes, on peut en faire une première lecture, bien réductrice, en y voyant une détestable prétention impérialiste et récupératrice. Mais on peut y voir aussi une conception digne de la grande théologie négative - l’athéisme comme forme moderne de la religion - en écho avec les écrits d’un illustre prédécesseur, le théologien dominicain Eckart (1260-1327) : « ‘Celui qui blasphème loue Dieu » ; « Ceux qui n’ont en vue ni les biens, ni les honneurs, ni l’utilité, ni la dévotion intérieure, ni la sainteté, ni la récompense, ni le royaume des cieux, mais qui ont renoncé à tout cela, même à ce qui est en eux, c’est en ces hommes que Dieu est honoré.’ »450

Certes, la médiation de l’histoire est décrite comme incomplète : l’histoire est aveugle, incapable de saisir ce dont elle est l’instrument ; en ignorant la dimension du péché, elle n’a qu’une connaissance partielle du mal et de ses remèdes ; elle n’a que des idoles à proposer à l’adoration des hommes ; elle ne produit rien de stable, de permanent. Mais l’Eglise ne peut ni la négliger, ni se substituer à elle. L’Eglise est tributaire de l’Histoire, car elle est incarnation historique : ses structures, ses institutions, ses rites mêmes varient avec les époques et ce changement conditionne jusqu’à la réussite de sa mission : sans une perpétuelle adaptation, elle ne peut transmettre la révélation dont elle est porteuse et répondre aux besoins des hommes de chaque temps.

Elle ne doit pas davantage chercher à dominer l’histoire ou à la diriger. Montuclard retrouve ici des accents maritainiens pour fustiger les réussites illusoires - et de toute manière révolues - d’une chrétienté sacrale toute puissante. Aux époques où l’Eglise eut surtout conscience de l’histoire que Dieu écrivait en elle - le temps d’une Eglise primitive idéalisée - puis par elle - le temps du modèle médiéval décrié - va succéder une période où l’Eglise aura surtout conscience de l’Histoire que Dieu écrit en dehors d’elle. Ce temps où la tâche de l’Eglise est de reconnaître et d’animer la marche des groupes humains vers le salut, Montuclard le nomme « le temps de la catholicité », car l’universalité de l’Eglise pourra enfin se révéler pleinement, en révélant au monde sa marche vers le Salut.

011Dans sa conclusion, le texte revient sur la question de départ dans une perspective de résolution. Comment éviter le déchirement entre Eglise et Histoire, assumer une « double fidélité », pour reprendre une expression qui caractérisera les affrontements de 1952-1953 ? Entre le piétisme rassis et l’activisme forcené, il y a une voie possible. Celle-ci requiert au moins trois exigences fondamentales. Tout d’abord, une certaine manière d’aborder la Parole de Dieu, en y cherchant la révélation du sens de l’Histoire. Cela implique de chercher à « lire les gestes de Dieu dans l’Histoire » et, pour ce faire, de retrouver dans le christianisme l’importance de l’Esprit-Saint. C’est tout le sens de la « liturgie de la parole » adoptée par Jeunesse de l’Eglise dans ses assemblées, où lecture de la Bible et lecture des événements trouvent chacune leur place et sont mises en rapport 451. En second lieu, un élan vers la vie, la vie tout court, mais toute la vie, acceptée et assumée dans tous ses aspects. Enfin, l’ouverture la plus grande en direction des non-chrétiens.

Ce texte a été vigoureusement critiqué. André Manaranche en fait le point de départ des dérives du mouvement452. D’après lui, Montuclard abandonne ici un terrain connu - la pensée de Maritain - pour adopter une posture hégelienne qu’il ne maîtrise pas. Certes, à parler de deux médiations, le dominicain s’expose à de sérieux risques. Ne les mesurait-il pas d’ailleurs, lorsqu’en introduction de son texte et comme une manière de réfutation a priori, il rapportait, pour s’en étonner et la regretter, cette anecdote : « ‘Je passais la fête du Christ-Roi, l’an dernier, avec quelques amis453. Nous avions médité ensemble les textes liturgiques. J’y avais trouvé, quant à moi, l’occasion de rappeler que le Christ est Maître des choses temporelles autant que spirituelles, et qu’en conséquence il n’est, pour le uns comme pour les autres, de Salut que dans le Christ. Or, il me souvient de l’étonnement que suscita chez mes compagnons cet enseignement pourtant élémentaire. Comme si une vérité aussi simple renversait tout ce qu’ils avaient appris par ailleurs.’ » 454

De fait, dès la parution du Cahier, la démonstration du père Montuclard donna lieu à la critique. La plus vigoureuse vint du père Daniélou qui consacra à l’article du père Montuclard l’essentiel de sa chronique des Etudes de décembre 1947455. Comment s’en étonner, tant les propos du dominicain allaient à l’encontre de la pensée du jésuite ? Celui-ci, dont toute l’action au sein de la revue Dieu Vivant était animée par l’affirmation du caractère essentiellement eschatologique du christianisme, ne pouvait souscrire à la démonstration conduite dans « Eglise et Histoire ». A la possibilité d’un salut de l’homme par l’homme, il répond par une catégorique fin de non-recevoir.

Alors que le père Montuclard voit en la foi dans le progrès une espérance et un sens donné au monde, donc une voie de salut, le père Daniélou y décèle le principal obstacle entre l’homme et Dieu et le mal du monde moderne. Pour lui, elle entraîne l’enfermement de l’homme dans sa propre immanence et cette prétention idolâtre à se sauver par lui-même conduit in fine à une véritable autolâtrie. Mieux, c’est la notion même de progrès qui est à discuter. Celui qui écrira « ‘Nous ne croyons pas à la civilisation et au progrès’ »456 rappelle que, pour lui, l’accumulation quantitative de techniques ne saurait en aucun cas constituer en soi un progrès et que le mot ne peut être consacré que s’il recouvre une valeur spirituelle. Et comme seul le christianisme constitue « ‘une acquisition absolue et irréversible de valeur’ », on voit mal comment l’histoire humaine pourrait se constituer en dehors de lui et offrir une autre médiation. Au passage, le père Daniélou en profite pour donner une leçon d’histoire religieuse dans des termes qui dépassent un peu les règles habituelles de la correction fraternelle : ‘« Parler d’un formidable recul de l’Eglise après le Moyen-Age nous paraît une méconnaissance totale de la grandeur de la civilisation chrétienne bourgeoise des siècles classiques’ ». Modèle contre modèle : en  tout cas, pour Daniélou, la chrétienté qui produisit saint Ignace vaut au moins celle où s’enracine l’Ordre des prêcheurs...

Pourtant, dans la démonstration de Montuclard, il n’y a, de fait, pas trace d’hétérodoxie. Le texte a d’ailleurs été soumis à une censure peu suspecte de complaisance : aux côtés de Monsieur Enne, sulpicien désigné par l’archevêché de Paris, figure le frère Thomas Philippe, o.p., celui-là même qui avait effectué la visite apostolique au Saulchoir lors de la crise de 1942. La ‘« médiation unique et irremplaçable de l’Eglise dans l’accomplissement du salut’ » est affirmée sans la moindre ambiguïté et le lecteur est invité à une lecture chrétienne des événements et d’une Histoire inscrite dans le projet de Dieu. Lorsque Manaranche lui reproche de camper une double médiation car « ‘la conciliation dialectique semble étrangère à son thomisme’ » 457, il dresse à l’auteur un mauvais procès : son essai est un modèle de démarche dialectique. François Le Guay parle, lui, à propos de cette double médiation, d’une » interréaction ». « ‘Entre les deux [domaines], il n’y a pas une relation descendante par laquelle la Parole de Dieu influerait de façon déductive sur la vision du monde. Il n’y a pas non plus de relation ascendante par laquelle la présence au’ monde (pour certains la conscience de classe) induirait à colorer l’écoute de la Parole (...) ». Et de décrire cette relation comme « ‘un mouvement permanent d’oscillations entre les événements et la foi, le monde et la Parole de Dieu’ ». Montuclard, lui, écrit : « ‘L’Histoire nous pousse vers l’Eglise comme vers sa propre révélation, mais l’Eglise nous pousse vers l’Histoire comme vers le lieu où s’accomplit l’objet de la révélation.’ »458

011Ce qui est vrai en revanche, c’est que la démonstration de Montuclard peut donner lieu à des interprétations erronées. Si, chez lui, la voie du salut ne se morcelle pas, il peut en aller autrement chez ses zélateurs. Pour qui s’en tient à la surface des choses, la zone de convergence entre l’Eglise et l’Histoire est introuvable. Leur dualité sociologique, voire idéologique est irréductible. « ‘Croire que dans le Christ par la Croix cette inimitié est surmontée, vaincue’ », c’est, certes, accéder à la révélation, mais c’est aussi flirter avec la tentation d’orienter la transcendance...Tenir compte de la fracture entre l’Eglise et l’Histoire, c’est faire l’aveu du péché du monde. Mais vouloir réduire cette fracture conduit forcément à choisir entre les termes. Pour être dans le sens de l’histoire, de nombreux militants finiront par choisir l’Histoire contre l’Eglise. D’ailleurs lorsque l’Histoire en marche sera incarnée par la classe ouvrière - et particulièrement par son avant-garde militante - et que l’Eglise hiérarchique se placera en situation de refus, la posture deviendra intenable, à moins d’en référer à une « autre église », jugée « authentique », celle-là. En somme, le risque réside dans la tentation de déboucher sur une conception totalisante de l’histoire humaine qui se substituerait au schéma chrétien perdition/révélation/rédemption.

Face à un courant eschatologique qui ramène l’histoire à ses limites, Montuclard s’appuie sur une vision optimiste et positive de l’histoire, conçue comme une marche jalonnée de découvertes et d’avancées et orientée vers un devenir en perpétuel progrès. Conception idéaliste qui fait l’économie d’une réflexion poussée sur l’histoire et ne tardera pas à trouver sur son chemin les critiques d’un Daniélou ou d’un Fessard. Conception qui, dans l’esprit de nombreux militants, ne résistera pas à la séduction du marxisme qu’ils voulaient assimiler. Toujours est-il que le texte de Montuclard frappe par sa cohérence avec la démarche entamée dix ans plus tôt et qu’il s’y inscrit avec une continuité remarquable. Les préoccupations demeurent identiques, de Tâches d’aujourd’hui à Délivrance de l’homme en passant par L’Eglise et les valeurs modernes et en attendant Les événements et la foi : le divorce entre l’Eglise et la société est un scandale, dont les chrétiens, repliés sur des schémas frileux et dépassés, sont responsables. Le chemin de la réconciliation passe, non par une sécularisation ou un activisme à tout va, mais par un approfondissement de la Parole divine, qui porte en elle le salut et par une restauration chez les chrétiens du sens de l’Eglise. Décliné dans une thématique hégélienne qui emprunte à l’air du temps - 1947 voit simultanément la publication du séminaire de Kojève par Raymond Queneau et la réédition du Matérialisme dialectique d’Henri Lefebvre qui met l’accent sur le jeune Marx des manuscrits de 1844 aux prises avec l’hégélianisme - , le propos de Montuclard n’en conserve pas moins ses lignes de force.

Cette dualité, exposée dans l’article introductif, est reprise dans l’ensemble du Cahier. Dans une première partie, intitulée « L’homme qui se délivre », différentes formes de libération de l’homme par lui-même sont passées en revue. Joffre Dumazedier, l’ami d’Uriage, des maquis, de Peuple et Culture, le marxiste entré au Parti l’année précédente, présente un essai sur la « libération par le marxisme » où le lyrisme le dispute à la foi du tout nouveau converti. L’avertissement de la rédaction ne manque pas d’intérêt : il précise qu’il ne s’agissait pas de présenter une étude de plus sur la philosophie marxiste, mais de ‘« saisir, dans sa réalité concrète, ce que nous appellerons l’attitude marxiste, c’est-à-dire l’expérience personnelle de libération dont le communisme est pour beaucoup le moyen et l’occasion’ ».459 Une fois de plus, la vérité des faits, de ce qui transparaît dans la vie ; la valeur de la doctrine mesurée à l’aune de ses effets, par contraste avec la situation des chrétiens, dont l’incroyant dit : « ‘Qu’ils aient l’air un peu plus délivré : je croirai peut-être en leur sauveur ! Et s’ils ont part à un salut venu de Dieu, que cela se lise sur leur visage et transparaisse à travers leur vie!’ »460

Cette première partie fait place aussi à une réflexion sur la liberté dans l’existentialisme sartrien, tandis que Georges Mounin consacre quelques pages à « la poésie comme style de vie », inaugurant là un long compagnonnage avec les gens de Jeunesse de L’Eglise. Le linguiste, qui fait alors figure d’intellectuel du Parti communiste, a été contacté par Montuclard pour écrire quelque chose sur « ‘la poésie comme art de vivre dispensant de tous autres »’.461 Mais finalement, avec pas mal de réticences, Mounin fournit, axée sur la figure de Rimbaud, une réflexion sur les limites de la poésie comme art de vivre. Il renvoie dos à dos deux traditions poétiques - celle qui, de Leconte de l’Isle à Valéry, fait de la poésie une fuite ou une consolation et celle qui, de Rimbaud à Breton, se veut vecteur de la recherche des émotions et du bonheur - pour ne considérer finalement que la poésie comme traduction et partage de la fraternité humaine. Et de conclure sur un vibrant hommage aux références tutélaires et inévitables : Eluard, Aragon, le Picasso de Guernica, Gabriel Péri...

La deuxième partie du diptyque, c’est « Dieu qui sauve ». Là aussi, il s’agit de présenter la question sous différents angles. Après avoir dénoncé l’obscurcissement de la notion de salut, il est demandé à deux jésuites, les pères Rideau et Hayen, de faire « ‘la part du païen ».’ 462 Dans la droite ligne de son confrère Henri de Lubac pour qui les infidèles sont « ‘providentiellement indispensables à l’édification du Corps du Christ’ »463, Emile Rideau rappelle que « ‘l’infidèle, c’est moi-même encore, la propre chair de mon âme’ » et il réclame toute la délicatesse et l’ouverture possible à son égard : « ‘Comment ne pas rester interdit devant le mot d’action, lorsqu’on cherche à l’appliquer à des âmes vivantes et libres ! (...) Agir sur le mystère d’une liberté ? (...) Non par conquête, mais attente, patience et disponibilité. Témoignage, plutôt que prosélytisme (...) Espoir fidèle dans l’éveil de l’esprit.’ »464 Une position devenue commune en 1947, mais dans laquelle Montuclard pouvait retrouver ses intuitions d’avant-guerre.

Marie Aubertin donne ensuite son premier texte - ce sera finalement le seul après l’abandon en 1951 de la publication du Cahier qu’elle dirigeait, La Bible, livre du Pauvre - sur la femme, passée de la servitude à la libération, à travers quatre figures bibliques de femmes : Eve, Agar, Sara et Marie. Puis il est fait appel à quatre spécialistes pour traiter du salut : dans le protestantisme, par le très barthien pasteur Maury ; dans l’Islam, par une autorité incontestée et reconnue, Louis Massignon ; dans l’hindouisme, par Olivier Lacombe, universitaire proche de Maritain et futur président du CCIF465 et, enfin, dans les sociétés primitives (auteur anonyme). Le Cahier est clos par un essai de Jacques Roze qui, en manière de conclusion, fait le pendant du texte introductif du père Montuclard. A l’homme de la conciliation et à celui de la confrontation, l’auteur préfère « l’homme de l’esprit », à qui l’expérience humaine donne, dans la grâce, la révélation du salut.

Notes
444.

Cahier 7, page 11.

445.

Ibid., page 16.

446.

Dieu Vivant, n°6, 2° trim. 1946, pages 149-152.

447.

Cahier 7, page 15.

448.

Ibid, page 18.

449.

Ces lignes doivent beaucoup à la lecture de l’ouvrage de Yann Moulier-Boutang, Louis Althusser, spécialement pages 239 et sq.

450.

6ème et 8ème des 28 propositions condamnées à titre posthume par la bulle In agro dominico du 27 mars 1329.

451.

Cf supra, page 162 et sq.

452.

André Manaranche, op. cit., pages 127-129.

453.

Il s’agit des groupes JE de Grenoble et d’Annecy.

454.

Cahier 7, page 9.

455.

Jean Daniélou, «Christianisme et Progrès», Etudes, décembre 1947, pages 399 à 402.

456.

Dieu Vivant, n° 20, page 21.

457.

André Manaranche, op.cit., page 128.

458.

Cahier 7, page 32.

459.

Cahier 7, page 37.

460.

Ibid., avant-propos, page 7.

461.

Lettre de Georges Mounin à Montuclard, 27 mars 1947, Papiers Le Guay.

462.

Emile Rideau, « La part du paien », pages 108-118 et André Hayen, « Présence du Sauveur », pages 119-124.

463.

Henri de Lubac, Catholicisme, page 173

464.

Emile Rideau, op. cit., page 117.

465.

Olivier Lacombe sera président du Centre catholique des intellectuels français de 1958 à 1965.