3) La place de J.E. dans la mouvance missionnaire

a) Les rivalités avec l’Action catholique

Entre les différents mouvements d’Action catholique et Jeunesse de l’Eglise, les relations ne pouvaient être bonnes. Dès sa création, JE s’était construite en opposition aux fondements mêmes de l’Action catholique telle qu’elle avait été conçue à partir des années d’entre-deux-guerres : sa mystique d’incarnation, sa stratégie de conquête, sa structuration en mouvements spécialisés, tout cela allait à l’encontre du rêve d’un communauté chrétienne marquée par l’unité et humblement réceptive aux valeurs du monde profane. Cette opposition essentielle se double d’un désaccord idéologique à partir du moment où JE réfute la doctrine sociale de l’Eglise au profit du schéma marxiste de lutte des classes et de transformation révolutionnaire de la société. Ainsi, c’est dans le milieu des aumôniers fédéraux de l’Action catholique que Jeunesse de l’Eglise rencontra ses plus farouches détracteurs. Le choc frontal eut lieu avec l’Action catholique ouvrière, car les deux organisations chassaient sur le même territoire, selon des stratégies diamétralement opposées. Dans le discours officiel de JE, il n’était pas question de concurrence : JE s’adressait au petit nombre des militants qui avaient opté pour l’engagement temporel aux côtés de la classe ouvrière en lutte pour sa libération et qui, à ce titre, avaient besoin d’une expression spécifique au sein de l’Eglise. Dans la réalité, l’affrontement était inévitable. L’A.C.O. avait fort à craindre d’un discours qui déniait toute valeur missionnaire à une stratégie confessionnelle pour prôner l’action avec les organisations issues du mouvement ouvrier. Aussi les incidents se multiplièrent. On retiendra trois exemples significatifs.

Le 8 décembre 1952, Mgr Picard de la Vacquerie décide d’interdire toute activité religieuse au père Montuclard dans son diocèse d’Orléans, sous prétexte qu’il a participé à une réunion avec des chrétiens progressistes sans en informer l’ordinaire du lieu. La colère du prélat s’explique surtout par la caution que la présence du dominicain donne à des éléments dissidents de l’A.C.O., membres du M.L.P. et qui, aux dires de l’évêque, rendent très difficile toute action apostolique là où ils militent.582 Deuxième exemple : lorsque Mgr Villot, secrétaire de l’épiscopat, sonde le terrain pour connaître l’évolution de Jeunesse de l’Eglise après la mise à l’Index des Evénements et la foi, il récolte des échos très défavorables auprès des aumôniers, notamment l’abbé Bonnet, aumônier général de l’A.C.O., qui explique en substance que, sous un calme apparent, JE poursuit son oeuvre subversive.583 Enfin, dernier exemple, l’attitude éclairante de l’abbé Guérin. Cet inlassable animateur de la J.O.C. éprouve une grande méfiance vis-à-vis du père Montuclard et de Jeunesse de l’Eglise. Il ne rate pas une occasion, au cours de ses innombrables déplacements à travers la France, de dire tout le mal qu’il pense du dominicain et de son officine. Mieux, si l’on en croit son biographe, Pierre Pierrard, certains de ces voyages sont motivés par le désir de contrer l’action de JE : « ‘Et l’on sait, par des témoignages irréfutables que, en plusieurs endroits – au Havre notamment- Georges Guérin, parfois à la demande des militants, est passé après Maurice Montuclard’ ‘, pour contester voire démolir son argumentation.’ »584 Partout, il rencontre des évêques qui partagent le même point de vue. A Bordeaux, l’archevêque dit à Georges Guérin qui approuve, combien il se méfie de prêtres comme Desroches et Montuclard. A Toulouse et Albi, Montauban et Bourges, mêmes sons de cloche. Et quand il apprend qu’un groupe Jeunesse de l’Eglise est sur le point de naître à Nantes, il écrit « ‘pour prévenir », car, dit-il, « nos aumôniers attendent de nous que l’on soit net. »585 Pour lui, l’A.C.O. est déjà contaminée. Reste à préserver la J.O.C. des influences néfastes : » Et puis, il y a la crainte de voir les mouvements adultes, « intellectualistes », « sacerdotalistes », instiller dans la J.O.C. des « éléments nocifs », entraîner des Jeunes Travailleurs destinés, avec Jésus-Christ au coeur, à être les apôtres de leur milieu, sur les voies sans issue de la connivence avec un Mouvement ouvrier dont le moteur réel est le Parti Communiste. ’»586

Notes
582.

Lettre de Mgr Picard de la Vacquerie au père Avril, 8 décembre 1952, ADPF, dossier Montuclard. Cf infra, page 340.

583.

Cf infra, pages 353.

584.

Pierre Pierrard, Georges Guérin, une vie pour la J.O.C., Editions de l’Atelier, 1997, pages 227-228.

585.

Ibid, page 244.

586.

Ibid, page 245.