3) Les relations avec le M.P.F. et le M.L.P.

011Héritier de la L.O.C. (Ligue ouvrière chrétienne) créée dans le sillage de la J.O.C. en 1934, le Mouvement populaire des familles (M.P.F.) est né en 1941. Dès 1945, l’A.C.A. avait confié non plus un mandat, mais seulement une mission apostolique au M.P.F.. En octobre 1949, l’A.C.A., considérant que le M.P.F., de plus en plus engagé sur le terrain de la lutte politique et syndicale, ne situe plus son action dans le cadre de l’Action catholique, décide la création d’un nouveau mouvement : ce sera l’A.C.O., instituée en 1950. La même année, le M.P.F. entérine la rupture confessionnelle et adopte un nom nouveau : le Mouvement de libération du peuple.

Le M.P.F. avait de quoi intéresser J.E. à plus d’un titre : la mise à distance des influences cléricales par l’éviction des aumôniers et la coupure avec la hiérarchie et les paroisses ; la construction d’un mouvement de masse sans le label de l’Action catholique ; la recherche d’autres références idéologiques, pour attester l’ancrage du M.L.P. dans le mouvement ouvrier ; le refus commun, enfin, de voir se créer une organisation chrétienne qui serait l’inspiratrice du mouvement ouvrier, mais se placerait en dehors de celui-ci. Surtout, on retrouve à J.E. et au M.L.P. la même approche de la question des rapports entre le temporel et le spirituel : il ne s’agit pas de mener une action temporelle spécifiquement chrétienne, mais de participer, avec un regard chrétien à l’aventure humaine.

Cela étant dit, on s’étonnera d’autant plus du faible recrutement de Jeunesse de l’Eglise dans les rangs du M.L.P. : 19 fiches sur les 613 qui mentionnent un engagement. Une seule personnalité marquante de J.E. est issue du vivier M.L.P. : Marcel Lebruchec, ingénieur à l’usine Hutchinson de Montargis et « bête noire » du clergé local qui l’accuse de saboter le travail de l’A.C.O. locale auprès des ouvriers de la région. Quant à l’influence de J.E. sur le M.L.P., elle ne paraît pas plus déterminante. Dans les actes du colloque consacré au mouvement en 1984616, il est question de toutes sortes de relations et d’influences : Desroches, Economie et Humanisme, Témoignage chrétien, mais aucune mention n’est faite de Maurice Montuclard ou de Jeunesse de l’Eglise. Comment expliquer cette situation paradoxale ? Une lettre tirée des archives de J.E. fournit une piste intéressante : « ‘Cher vieil André [Frankum’ ‘], Jacques Dousset’ ‘ connaît un peu Caen et la région. Sur la liste ci-jointe, il recommande en premier lieu le père Le Saout, que tu iras voir de sa part. Lui t’indiquera sans doute des gens susceptibles de s’accrocher. L’autre nom privilégié est ..., dirigeant local M.L.P., insatisfait de l’A.C.O.. C’est un gars, paraît-il, un peu excité. Tiens-en compte et n’oublie pas, en outre, que les gars du M.L.P. ont, en général, une phobie extrême de « toute organisation ». Bien montrer le caractère laïque et libre de J.E.’ »617 C’est donc le statut de J.E. qui peut susciter la défiance chez les membres du M.L.P.. A leurs yeux, J.E. est un mouvement d’Eglise et tout porte à les conforter dans cette opinion : la présence d’un religieux à la tête du groupe, la volonté d’agir au sein de l’Eglise, la prétention d’impliquer celle-ci par l’imprimatur de la hiérarchie... La forte représentation laïque et la revendication de liberté de J.E. ne suffisent visiblement pas à rassurer des militants jaloux de leur indépendance.

Mais, plus encore que cette méfiance, ne faut-il pas invoquer le fossé d’incompréhension qui ne peut qu’exister entre un mouvement composé d’ouvriers et cette officine intellectuelle qu’est Jeunesse de l’Eglise ? Une fois de plus, c’est la difficulté de J.E. à toucher le monde du travail manuel qui éclate au grand jour et engendre de part et d’autre incompréhension et rancoeur, comme en témoigne cet extrait de lettre : « ‘Une armée de chrétiens progressistes nous attend (...) Peu à peu, des gens d’autres bords s’habituent à nous. Mais un gros handicap : il est très difficile de décider des éléments ouvriers, parmi ceux qui sont encadrés . Nous nous sommes heurtés à un non très net du côté de l’ACO, mais je veux parler des militants catholiques du MPF. Nous avons eu plusieurs discussions. Sens général : nous avons choisi l’évasion (...) Le christianisme n’est pas la Bible, mais les encycliques dans lesquelles les Papes ont traduit la Bible pour notre temps, etc... Il est difficile de se battre avec des grossièretés semblables. Surtout quand on ne veut pas faire de prosélytisme, mais simplement utiliser les circonstances. Des temps meilleurs viendront. Il faut être patients’ ».618

Notes
616.

De l’Action catholique au mouvement ouvrier, la déconfessionnalisation du Mouvement Populaire des Familles, 1941-1950, G.R.M.F. (Groupement pour la recherche sur les mouvements familiaux, cahier n°2, 1984, 253 pages.

617.

Lettre de ? à André Frankum, 25 septembre 1952, F.M., 21,1,121.

618.

Albert Loizil, lettre au père Montuclard, 10 mai 1949, F.M., 3, 1, 40.