3) L’Eglise s’installe dans la guerre froide

Les milieux proches de Jeunesse de l’Eglise avaient vécu l’année 1947 comme une première fracture : celle des débuts de la guerre froide à l’extérieur, celle de la crise politique et sociale à l’intérieur. Tandis que s’affirmait la division du monde en deux blocs, le tripartisme était enterré, autant par le renvoi des ministres communistes que par les recompositions électorales et les affrontements sociaux de l’automne.

Le début de 1949 forme un nouveau point d’orgue dans le climat de tension qui ne s’est à aucun moment réellement apaisé : le printemps 1948 est dominé par le « Coup de Prague », les derniers mois de l’année ont vu en France une vague de grèves dans lesquelles la CGT affiche une stratégie quasi insurrectionnelle. Mais autant le « Grand Schisme »655 de 1947 pouvait se terminer sur un sentiment de recul dans le camp progressiste, avec le départ des communistes du gouvernement en France, en Italie et en Belgique, le raidissement idéologique jdanovien, l’échec des grèves de l’automne et le raz-de-marée RPF aux élections d’octobre, autant les premières semaines de 1949 marquaient la reprise sur tous les fronts d’une offensive de la part du « camp anti-impérialiste ». A Berlin, l’issue de la situation est toujours indécise après six mois de blocus, mais l’entrée des communistes à Pékin le 22 janvier annonce le basculement de la Chine. Dans le même temps, la répression s’intensifie dans les démocraties populaires, notamment à l’égard des églises chrétiennes. Tandis que les passions se déchaînent en France pour l’affaire Kravchenko, le monde entier a le regard tourné vers un autre procès, celui du cardinal Mindszenty, primat de Hongrie, dont la condamnation à la détention perpétuelle soulève une immense émotion.

Face à cette situation, l’Eglise catholique est sur la défensive. En Italie, les progressistes sont condamnés. En France, les cardinaux Suhard et Liénart, dans les Semaines religieuses de leur diocèse respectif, adressent une mise en garde aux « ‘catholiques [qui] entendent mener leur action politique au sein du parti communiste ou en collaboration étroite et habituelle avec celui-ci (...) et [qui] risquent de se laisser gagner par les principes d’une doctrine condamnée par l’Eglise ’». Le 15 mars, Joseph Hours écrit au père Montuclard : « ‘Le moment est passionnant et combien menaçant. Vu il y a deux jours le cardinal Gerlier’ ‘. Bien disposé, mais timide... ’»656. Quant au Vatican, s’il est soucieux d’éviter l’infiltration de l’idéologie marxiste chez les catholiques italiens et français, il est plus encore sensible à la situation dans les pays de l’Est657. Les membres de Jeunesse de l’Eglise, comme des autres organisations chrétiennes engagées dans le dialogue avec les communistes, regrettent sans doute les persécutions dont les chrétiens d’Europe centrale sont victimes, mais sont assez enclins à les imputer aux collusions entre les Eglises et les forces politiques et sociales réactionnaires. Lorsqu’il est évoqué, le sujet provoque un certain embarras. En fait, la question intervient dans le débat surtout dans la mesure où elle constitue un obstacle de plus dans la collaboration entre catholiques et communistes en France. Il en va bien différemment au Vatican, qui conserve des nonciatures et des délégations dans plusieurs pays de l’Est et suit la situation de très près. Les ennuis de Mgr Beran, pourtant considéré comme un modéré face au pouvoir communiste, avaient alerté le Saint-Siège. La vision de Mgr Mindszenty traîné dans le box des accusés finit de convaincre Rome de la gravité de la situation.. S’il est sans doute abusif de parler de croisade à propos de la stratégie pontificale – ce dont les Soviétiques ne se privent pas – la vigilance est de mise. Elle aboutit au fameux décret du Saint-Office du 1er juillet 1949, qui interdit l’adhésion des catholiques aux organisations communistes.

Notes
655.

Raymond Aron, Le grand schisme, Gallimard, 1948.

656.

Lettre de Joseph Hours au père Montuclard, F.M., 15, 3, 5.

657.

Andrea Ricardi, Il Vaticano e Mosca, Roma-Bari, Editori Laterza, 1992, 390 pages.