B) L’orage éclate...

1) Le décret du Saint Office et ses répercussions

Complaisamment interrogé par un prélat, le Saint-Office fournit sa réponse :

«‘ Il a été demandé à la SS Congrégation :’

  1. ‘S’il est permis de donner son nom aux partis communistes ou de les favoriser ; ’

  2. ‘S’il est permis d’éditer, de propager ou de lire livres, périodiques, journaux ou feuilles qui patronnent la doctrine ou l’action des communistes ou d’y écrire ; ’

  3. ‘Si les fidèles qui ont accompli librement et sciemment les actes dont il est question aux paragraphes 1 et 2 peuvent être admis aux sacrements;’

  4. ‘Si les fidèles qui professent la doctrine matérialiste anti-chrétienne des communistes, et surtout ceux qui la défendent ou la propagent, encourent par le fait même, comme apostats de la foi catholique, l’excommunication spécialement réservée au Saint-Siège.’

‘Les Emmes et Rdmes Pères préposés à la garde de la foi et des moeurs, après avoir lu l’avis des Rdmes Consultateurs dans la séance plénière du 28 mars 1949, ont décidé de répondre :’

  • ‘A la première question négativement. Le communisme est en effet matérialiste et anti-chrétien ; et les chefs communistes, bien que parfois, en paroles, ils professent de ne pas combattre la Religion, en fait cependant, soit par la doctrine, soit par l’action, se montrent ennemis de Dieu et de la vraie Religion et de l’Eglise du Christ. ’

  • ‘A la deuxième question négativement. C’est défendu par le droit même (Can 1399 CIC).’

  • ‘A la troisième question négativement. Selon les principes ordinaires touchant les sacrements à refuser à ceux qui ne sont pas disposés.’

  • ‘A la quatrième question affirmativement. ’

‘Et le Jeudi suivant, le 30 du même mois et année, Notre Saint Père le Pape Pie XII’ ‘, en l’audience habituelle accordée à l’Excme et Rdme Assesseur du Saint-Office, a approuvé la résolution à lui rapportée des Emmes Pères et il a ordonné de la promulguer dans la Revue officielle des actes du Siège Apostolique. Donné à Rome le 1er Juillet 1949 ’» 658.

On connaît l’interprétation modérée que les évêques français vont faire de cette mesure. Le 8 septembre, les cardinaux publient une déclaration qui restreint le champ d’application du décret à ceux qui sont inscrits au parti communiste ou lui apportent un soutien constant, tout en réaffirmant le désir de l’Eglise de « fermement servir la cause de la promotion ouvrière ». Mais la question de l’action aux côtés des communistes est clairement posée. Or, « ‘renoncer à nos engagements aux côtés du Parti, c’est lui donner raison, lui qui n’a jamais rien vu en l’Eglise qu’une forme réactionnaire. Passer outre la décision du Saint-Office, c’est se mettre hors de l’Eglise, mais c’est aussi du même coup, vider de leur sens tous ces engagements. Que l’on se soumette ou que l’on se rebelle, on trahit quelqu’un, quelque chose, les hommes, l’Eglise, soi, sûrement...’ »659.

A Jeunesse de l’Eglise, le décret suscite l’indignation. Non que ses membres contestent l’opposition radicale entre le matérialisme athée et le christianisme, mais parce qu’ils voient, sous le couvert d’une condamnation religieuse, un choix missionnaire diamétralement opposé au leur : en lieu et place d’une possible collaboration, le texte de l’A.C.A voulait « ‘par sa fermeté vis-à-vis de l’erreur communiste, être le meilleur allié des travailleurs dans l’effort qu’ils poursuivent pour réaliser leur idéal de la promotion ouvrière’ ». Et le directoire des évêques de renchérir quelques temps plus tard en rappelant la doctrine sociale de l’Eglise et en appelant les laïcs chrétiens à militer dans les organisations telles que la J.O.C. ou le M.P.F. Certes, le refus des sacrements fut d’un usage très limité, mais il put toucher indirectement Jeunesse de l’Eglise, comme en témoigne le cas de Cécile Jullien, sanctionnée en tant que membre de l’U.C.P. et lectrice de Ouest-Matin, le quotidien breton dirigé par Henri Denis et condamné le 18 novembre 1949 par le cardinal Roques, archevêque de Rennes, au nom du décret du Saint-Office.660

De telles sanctions, outre qu’elles instauraient un climat délétère, désavouaient implicitement le travail dans lequel Jeunesse de l’Eglise s’était engagé. Symptomatique de cette prise de distance de la hiérarchie avec les recherches de J.E. est l’affaire des censeurs qui vient empoisonner la vie du mouvement durant l’été 1949.

Notes
658.

Décret du Saint-Office sur le communisme, A.A.S., XLI, 334.

659.

Journal intime de Cécile Grabner, page 39. Avec son aimable autorisation.

660.

Voir annexe XI.