II L’ENFOUISSEMENT : L’INSTALLATION RUE BESSIERES

011En décembre 1951, lors même que paraissent Les événements et la foi, le siège de Jeunesse de l’Eglise quitte la rue de l’Odéon pour le XVIIe arrondissement. Le choix de cette installation est significatif. Le quartier des Epinettes, à quelques pas de la porte de Clichy, est au coeur d’un arrondissement populaire, aux habitations vétustes qui abritent des travailleurs souvent arrivés depuis peu dans la capitale. La maisonnette occupée au 14 de la rue Bessières est très modeste. Autour d’une courette, elle abrite quelques pièces utilisées en partie comme locaux de réunion et de travail. Le reste abrite, d’une part le couple Roze, d’autre part Maurice Montuclard et Marie Aubertin. Des amis de province y sont aussi hébergés à l’occasion : Claude Masson - un prêtre du Prado en rupture avec ses supérieurs pour cause d’affinités poussées avec J.E. -, Francis Marina, jeune prêtre-ouvrier, d’autres encore y séjourneront. Le choix de cette nouvelle adresse a eu sans doute des motivations matérielles, mais ce sont avant tout des raisons idéologiques qui ont joué : il s’agit de s’enfouir en plein quartier ouvrier, de vivre au milieu des exploités. Montuclard va même jusqu’à écrire pour l’occasion une « théologie du déménagement », où il invoque la disponibilité à l’appel de Dieu, la capacité de se détacher...

011Dans l’équipe dirigeante, tous n’approuvent pas cette initiative. Les sceptiques regrettent avec le départ de la rue de l’Odéon l’abandon d’une position stratégique en plein Quartier Latin, au coeur du bouillonnement intellectuel. Mais Montuclard tient à tout prix à ce changement. Pour Gilles Ferry, c’en est trop : il rejette l’autoritarisme du religieux et ses « fantasmes ouvriéristes » : « Nous étions en plein délire romantique »714. S’il continue à résider à Clairbois, il prend ses distances avec l’action de Jeunesse de l’Eglise. Il se rapproche alors de l’équipe de La Quinzaine, dans laquelle il retrouve les Grattesat.

011Rue Bessières, le climat évolue vite et, s’il est difficile d’imputer entièrement cette évolution au nouvel environnement, les contacts noués dans le quartier influencent les choix. Pour Jacques Roze, qui prend alors sa carte au Parti715, « le local de J.E. rue Bessières était aussi une « goguette »716 : on y entassait tracts et affiches, des réunions du P.C. y étaient organisées »717.

011La nouvelle situation du centre favorise aussi le renouvellement des membres. En dehors du triumvirat Montuclard-Aubertin-Roze qui vit sur place, seuls, de tous les anciens, Jacques Dousset et François Le Guay demeurent dans l’équipe dirigeante. Encore que les deux hommes ne fassent pas preuve du même zèle : Jacques Dousset reste très présent, mais François Le Guay commence à prendre ses distances. Si J.E. s’est coupée peu à peu de Clairbois, elle est désormais, en revanche, davantage ouverte à une nouvelle génération de militants plus radicalement engagés dans le militantisme. De nouveaux noms apparaissent dans les instances dirgeantes : Cécile Jullien, Henri Grabner, Bernard Moreau, Jean Jézéquel, Pierre Pérégo...

011Faut-il pour autant parler de transformation sociologique de Jeunesse de l’Eglise ? Oui, si l’on considère que ces nouveaux membres n’appartiennent pas à la grande bourgeoisie catholique dont étaient issus les Ferry, Le Guay, ou Chombart de Lauwe. Mais il serait faux de croire que J.E. recrute désormais dans la classe ouvrière. Ses dirigeants sont maintenant cadres, enseignants, ingénieurs... Ils viennent de la petite bourgeoisie, du monde des fonctionnaires et des employés, certainement pas de la mine ou de la forge. Et s’il est possible, voire probable, qu’un renouvellement identique se soit produit parmi les adhérents et les sympathisants, rien ne permet d’affirmer, comme on peut le lire ici et là, que Jeunesse compte désormais 60 à 70 % d’ouvriers dans ses rangs.718Ce qui est certain, en revanche, c’est que l’ambiance de la rue Bessières, la fréquentation des militants ouvriers du quartier et les orientations plus radicales des nouveaux membres ont concouru à forger un profil de JE plus engagé, tout à fait en phase avec les préoccupations du père Montuclard.

Notes
714.

Gilles Ferry, témoignage du 13 septembre 1994.

715.

Il y restera jusqu’en 1956.

716.

Local de permanence du parti communiste.

717.

Jacques Roze, témoignage du 25 octobre 1994.

718.

Pour émettre un avis sérieux, il faudrait déjà disposer d’un état régulier des adhésions et des résiliations. Or, le fichier de J.E. ne donne aucune indication à ce propos.