Reste à s’interroger sur l’attitude des victimes de la condamnation, car celle-ci ne manque pas d’ambiguïté.
Au moment de la première alerte sérieuse, lors de la parution du communiqué du Conseil de vigilance de Paris, en janvier 1952, les dirigeants de J.E., frappés par la gravité des reproches de déviation prononcés à leur égard cherchent à défendre leurs positions et à montrer l’orthodoxie de leur doctrine. Du point de vue tactique, ils adoptent un profil bas, certains que cette attitude leur vaudra la reconnaissance de l’épiscopat et permettra d’éloigner les menaces de condamnation. C’est ainsi qu’il faut comprendre l’absence de réactions aux attaques, parfois très violentes, de certains organes de presse et le retrait immédiat du commerce de l’ouvrage incriminé, Les événements et la foi.
Mais dès l’automne 1952, Montuclard et ses amis comprennent, avec la mise en garde de l’A.C.A., qu’ils ne tireront aucun bénéfice de la stratégie choisie. Au contraire : leur promesse de silence les place dans l’impossibilité de se justifier et de répondre aux détracteurs. Ils adoptent alors une attitude nouvelle. S’il n’est pas question de publier un nouvel ouvrage, ils vont cependant utiliser le Bulletin de liaison pour défendre leur point de vue et informer leurs amis sans autocensure. Les livraisons, à partir du numéro 19 de janvier 1953 montrent bien ce changement de ton. Evidemment, ce choix se retourne également contre ses auteurs : l’épiscopat est scandalisé par ce qu’il peut y lire !879 Dans la condamnation finale, les articles des derniers Bulletins de liaison pèseront comme autant de preuves, aux yeux de l’épiscopat, de l’incorrigible entêtement de J.E..
Jusqu’au début de 1953, l’équipe de J.E., agit en tout cas clairement avec le désir de sauver le mouvement et de le maintenir au sein de l’Eglise. Avec la mise à l’index des Evénements et la foi et la convocation de Montuclard à Rome, les intentions du groupe semblent moins claires. Tout se passe comme si la lassitude avait gagné les dirigeants et que ceux-ci s’étaient rendus à l’évidence que le magistère n’entendrait jamais leur voix. Les faits ne les confortaient-ils pas dans ce jugement ? Qu’ils parlent ou qu’ils se taisent, la vindicte de la hiérarchie ne tarissait pas et chaque réunion bisannuelle de l’A.C.A. fut l’occasion de nouvelles attaques. La première manifestation de cette lassitude est la demande de réduction à l’état laïc. Certes, en réclamant cette mesure, le religieux accomplissait une démarche personnelle, afin d’éviter un éloignement hors de France, que sa santé et son psychisme n’auraient pas supporté. Mais, comme il l’écrit à ses camarades : « ‘Dès les conversations au couvent de Lyon, j’avais compris que ma décision engageait bien plus que le choix entre l’état sacerdotal et l’état laïc. ’»880 A partir de ce moment, Montuclard a décidé de ne plus être l’homme du compromis. A son arrivée à Rome, le 21 mars 1953, il écrit à Marie Aubertin : « ‘Je suis décidé à n’accepter aucun compromis car depuis trois ans, tous les compromis m’ont et nous ont desservis’. »881 Lorsque la tentative de conciliation du cardinal Gerlier échoue, il ne s’en montre pas mécontent : « ‘Je crois vraiment que cette fin brusquée des tractations me concernant ne doit que me réjouir.’ » 882
En effet, la solution proposée par le cardinal de Lyon, parce qu’elle ne concerne finalement que le statut personnel du père Montuclard, laisse en suspens les désaccords doctrinaux entre J.E. et la hiérarchie. Or, ce que l’équipe de Jeunesse souhaite désormais, c’est une explication sur le fond. Mais là encore, voyant que le débat avec le représentant de l’épiscopat – Mgr Guerry en l’occurrence – tourne au dialogue de sourds, elle rejette un compromis lénifiant pour affirmer haut et fort ses convictions, aboutissant ainsi à la rupture.
Est-ce à dire que les dirigeants du mouvement ont délibérément provoqué la rupture ? Nous ne le pensons pas. Le débat qui les divisera, après la condamnation, à propos de l’opportunité d’une poursuite de l’action hors de l’Eglise, montre que beaucoup ne souhaitaient pas cette rupture. Et le fort engagement de François Le Guay dans les échanges avec Mgr Guerry tout au long du printemps 1953 – François Le Guay qui, avec Gilles Ferry, rejettera en novembre l’option d’une survie de J.E. – tend à prouver la même chose. Simplement, l’accablement et le sentiment d’une incompréhension quasi insurmontable finissent par l’emporter : « ‘Nous nous usons spirituellement dans l’effort que nous dépensons pour essayer de nous faire comprendre, pour rétablir l’objectivité des faits, pour vaincre la propagande de la bourgeoisie capitaliste auprès de ceux qui sont, devant Dieu, responsables de l’Eglise et donc aussi de nous dans l’Eglise’ ».
Les évêques sont visiblement des lecteurs assidus du Bulletin de liaison. Mgr Guerry (lettre du 27 mai 1953 à Mgr Gerlier), Mgr Rémond (lettre du 3 avril 1952 à Mgr Gerlier) le citent abondamment. Sans parler du travail du secrétariat de l’épiscopat qui fournit aux évêques un service documentaire et dont la note 11/53 datée du 23 mars 1953, entièrement consacrée à J.E., reprend de longs extraits des Bulletins de liaison de janvier-février et de mars-avril.
Lettre du père Montuclard à ses camarades de J.E., 22 mars 1953, Papiers personnels de Mme Montuclard.
Lettre du père Montuclard à Marie Aubertin, 21 mars 1953, Papiers personnels de Mme Montuclard.
Lettre de Maurice Montuclard à Marie Aubertin, s.d. (en fait, 14 mai 1953), Papiers personnels de Mme Montuclard.