« ‘Nous ne sommes pas une école de théologie. Nous ne sommes pas non plus tournés vers une polémique ou une critique destructive. Nous sommes des chrétiens qui éprouvons et partageons la situation des travailleurs, et par conséquent leurs luttes. C’est là notre expérience, tout notre savoir. Nous ne voulons pas l’ériger en principes, mais nous ne voulons pas non plus la taire, parce que nous sommes certains que ce qui exprime la vérité des faits ne peut pas nuire à nos frères chrétiens et que cette vérité, tôt ou tard, est forcée d’apparaître’ ».
Cette profession 891 de foi inscrit l’action du C.L.R. dans la continuité du travail réalisé à Jeunesse de l’Eglise et veut en parfaire l’évolution : le reproche d’intellectualisme, si souvent adressé à J.E. est une fois de plus repoussé, au profit de l’expérience vécue et concrète. La nécessité du témoignage est également réaffirmée, dans l’assurance d’exprimer le point de vue le plus valide sur la place de l’Eglise au sein de l’humanité en lutte pour sa libération.
Toutefois, il s’est écoulé une année entière entre la fondation du C.L.R. et la publication d’un premier Cahier. Ce long silence volontaire avait deux buts : d’une part, approfondir la réflexion, cerner plus clairement la situation et les objectifs du travail entrepris ; d’autre part, ne pas avoir l’air de jeter un défi « ‘en un moment où nous n’aurions pas eu le calme nécessaire pour écrire ni pour être lus.’ »892
Une première assemblée générale, les 6 et 7 juin 1954, fixe les grandes orientations qui se résument à ces trois questions : les participants au C.L.R. sont-ils encore d’Eglise ? Sont-ils même encore chrétiens ? Quelles perspectives s’ouvrent à eux désormais par rapport à l’Eglise et au mouvement ouvrier ?
Alors que la qualité de chrétien leur est contestée, 893 les membres du C.L.R. eux-mêmes s’interrogent : leur manière de vivre leur foi est si éloignée de ce qu’ils ont pratiqué autrefois ! Et la manière « officielle » d’être chrétien leur paraît inacceptable. Pourtant, être chrétien ne leur a jamais été plus facile, répond Maurice Montuclard dans son rapport : « ‘Nous demander s’il est possible d’être chrétien dans notre situation revient à savoir si cette situation de prolétaires en lutte s’accorde ou ne s’accorde pas avec l’oeuvre que Dieu accomplit dans le monde des hommes. [Or] le mouvement ouvrier, en lui-même, est fondé sur deux données : le respect et l’amour (dans la justice) de tous les hommes et l’affirmation que l’homme est perfectible dès ici-bas ; par rapport au christianisme, il s’ouvre volontiers aux valeurs de l’Evangile qu’il reconnaît pour siennes... S’il rejette Dieu et l’Eglise, c’est souvent à cause des abus, des caricatures que la Révélation prohibe aussi. Nous pensons donc conclure, à la lumière de la Révélation, et sans vouloir identifier un fait historique avec l’action de Dieu, que (...) si la Révélation est vraie, nous pressentons sa présence active au sein du Mouvement Ouvrier. Et que, par conséquent, s’il est possible d’être chrétien en toute condition, il est cependant plus facile de l’être vraiment d’un côté [le monde ouvrier] que de l’autre [la société bourgeoise]. L’Eglise dépérit dans l’ordre bourgeois ; elle pourrait se développer à plein dans le monde engendré par la lutte des travailleurs. Ce n’est pas nous qui sommes en péril, mais eux !’ »894
Ici joue à plein ce que nous pourrions désigner sous le nom de « mythe de 1848 », une vision idéalisée et romantique de l’alliance entre l’Eglise et les travailleurs, qui n’est finalement pas si éloignée de l’imagerie du « Christ-ouvrier ». Il ne s’agit plus de se demander, comme dans Les événements et la foi, comment le christianisme pourra ressurgir dans une société socialiste marquée par un athéisme dogmatique, puisque, finalement, ‘« le Mouvement Ouvrier est aujourd’hui l’aspect peut-être essentiel du plan de Dieu. A la base de notre vie de chrétiens, il y a un acte de Foi en l’action de Jésus-Christ dans le Mouvement Ouvrier.’ »895
Quant à l’appartenance à l’Eglise, elle fait plus encore question. Des liens avec elle, que reste-t-il ? Suspectés, condamnés, les membres du C.L.R. ont rompu avec la discipline et l’obéissance ; isolés, repliés sur eux-mêmes, ils ne pratiquent plus et ne reçoivent donc plus les sacrements ; quant à leur foi catholique, elle est mise à mal par le poids de leurs désaccords sur l’autorité des évêques, sur l’évangélisation, sur les rapports entre clercs et laïcs... Comment s’affirmer encore d’Eglise ? Pour résoudre la contradiction, Montuclard avance le concept de « régime religieux ». Ce que ses amis rejettent, ce n’est ni la fin, ni la réalité de l’Eglise, mais le régime religieux, « instauré par alliance avec la classe dominante. »
La construction théorique est commode - « ‘En rejetant le Régime religieux de la Bourgeoisie, non seulement nous nous coupons de certaines formes mais nous retrouvons plus réellement le fond, la substance de l’Eglise et du christianisme’ » -896, mais elle renferme, derrière l’argument fondamentaliste, une tentation schismatique que Montuclard rejette : ‘« Impossible d’être chrétien sans l’Eglise (...) Nous ne pouvons ni ne voulons faire une autre Eglise. Quels qu’ils soient, nos Evêques et le Pape assurent la continuité de la foi à travers le Temps et l’Espace’. »897 Mais comment être relié à l’Eglise tout en préservant sa liberté ? De ces réflexions découlent les perspectives d’avenir :
par rapport à l’Eglise, il s’agit d’influer sur son devenir, afin qu’elle se rallie aux forces libératrices conduites par le mouvement ouvrier. D’où la conviction qu’il faut éviter deux écueils : l’isolement, d’une part ; le schisme et l’hérésie, d’autre part. Le mot d’ordre est donc de rejeter tout sectarisme, toute systématisation théologique. Il n’y aura donc pas de structures ecclésiastiques parallèles, pas de « petite Eglise » au C.L.R., tandis que seront visées l’augmentation des effectifs et l’ouverture aux courants proches.
par rapport au mouvement ouvrier, le temps est plus que venu d’affronter la question capitale : dans quelle mesure peut-on dire que le marxisme n’est pas le tout de l’explication du monde et de la conduite humaine, sans entamer sa cohérence et sans trahir le prolétariat ?
Là encore, les membres du C.L.R. ont atteint un point-limite : ils se retrouvent face aux questions ultimes. Ils vont s’épuiser à y chercher des réponses.
Quel est l’état des forces ? Une quinzaine d’équipes, selon une répartition qui reprend la géographie de Jeunesse de l’Eglise : Paris, Bordeaux, Lyon, Grenoble... Les dirigeants du C.L.R. évaluent à 200 le nombre de militants, à quelques milliers en ajoutant les isolés et les sympathisants... La condamnation, tout comme l’évolution du mouvement dans ses derniers mois, ont entraîné des défections, comme en témoignent le courrier de l’époque et la situation financière. Un abonné du Doubs écrit : « ‘Jeunesse de l’Eglise étant absolument interdit dans le diocèse de Besançon, je me vois dans l’obligation de vous retourner le dernier ’ ‘Bulletin de liaison’ ‘ et de vous prier de ne plus me l’expédier à l’avenir’ »,898 tandis qu’un militant parisien se retire par désaccord idéologique : « ‘J’avais aimé dans Jeunesse de l’Eglise un terrain de rencontres, un carrefour (...) Maintenant, J.E. se présente comme un monolithe, un groupe où l’on doit professer deux credos pour entrer. »’ 899 Quant aux recettes, elles accusent nettement le coup : 60.000 francs en octobre, 34.000 en novembre, 27.000 en décembre...
Parallèlement, l’arrivée de nouvelles recrues est cependant perceptible. A Saint-Ouen, la nouvelle équipe ne comprend que deux anciens de J.E., les autres participants étant issus de l’A.C.O. ou de Vie Nouvelle ; le groupe Paris-Sud ne compte également que trois anciens sur douze participants . A Dijon, quatre familles ouvrières, malgré les pressions du clergé local, dont l’aumônier de l’A.C.O., décident de se regrouper et de s’affilier au C.L.R. Au comité directeur aussi, seuls trois anciens des instances de J.E. demeurent : Maurice Montuclard, Marie Aubertin et Jacques Dousset, la présence de ce dernier étant doublement précieuse pour ses qualités d’organisateur et ses ressources financières (sa fortune personnelle est toujours sollicitée...). De nouveaux noms apparaissent, avec la volonté d’accroître la représentation des groupes de province : Jean Giard (Grenoble), Philippe Guttierez (Bordeaux), Marcel Lebruchec (Montargis)... Emile Poulat qui a finalement rejoint le groupe, siège aussi dans ce comité directeur de quinze membres qui doit se réunir deux fois dans l’année, en septembre- octobre et en janvier-février, en plus de l’Assemblée de Pentecôte, héritée des grandes heures de J.E. Le Bureau est, lui, composé des trois anciens déjà cités et de trois nouveaux élus, tous basés sur Paris : Pierre Bernard, Maurice Manoël et Claude Masson, un prêtre du Prado en délicatesse avec celui-ci en raison de ses engagements et qui s’est installé au 14, rue Bessières, qui demeure le siège du C.L.R.
Pour faire face aux dépenses, les besoins financiers sont estimés à 102 000 francs par mois. Dès les premiers mois de fonctionnement, ils sont loin d’être couverts par les recettes, comme on l’a vu précédemment. Le total des cotisations et des contributions à la caisse de solidarité assurant 50 000 francs par mois, il est impossible de maintenir deux permanents. Le projet d’un petit commerce, avec la permanence du C.L.R. installée dans l’arrière-boutique, est exploré, mais il s’avère trop coûteux à monter. Finalement, Marie Aubertin prend un emploi de secrétaire à l’extérieur à partir du 1er mars 1954. Maurice Montuclard demeure donc le seul permanent du C.L.R. L’équipe est cependant prête à publier un nouveau Bulletin ronéoté à partir de janvier 1955. La périodicité prévue est de cinq numéros par an, au rythme, donc, d’un numéro tous les deux mois et demi environ. Même s’il prend le titre de Cahier du Centre de liaison et de recherche il s’apparente nettement, par son format et son contenu, aux anciens Bulletins de liaison. Il est composé de trois rubriques : « Réflexions sur notre expérience », Actualités, Bibliographie. Dans le même esprit que les publications de Jeunesse de l’Eglise, il souhaite en appeler constamment aux réactions des lecteurs et refléter leurs interrogations, leurs expériences.
Ainsi, le premier numéro s’ouvre sur une enquête lancée en juillet 1954 et intitulée : « ‘Comment sommes-nous chrétiens ?’ » Tous les témoignages disent l’importance de la rencontre avec le marxisme, comme corollaire de la découverte du « ‘fait social’ » et de la prise de conscience de ‘« l’aliénation religieuse’ ». Tous s’interrogent aussi sur le contenu de leur foi. Si l’accord se fait pour rejeter le pharisaïsme et l’hypocrisie des anciennes pratiques,900 les avis divergent sur l’aboutissement : pour certains, « ‘une foi plus pure, qui n’est pas soumise à l’intérêt, qui n’est pas faite de peur, qui n’est pas un amoindrissement, est sauvegardée’ », car elle est « ‘la foi des pauvres, du monde de l’avenir’ ». Désormais, « ‘être chrétien, c’est reconnaître que je suis spontanément lié à tous ceux qui posent sincèrement des actes orientés vers plus de justice pratique’ ». C’est encore « ‘reconnaître au-dessus de l’homme un Dieu, sans que cela empêche d’adhérer à une conception communiste de l’homme se faisant lui-même avec toute sa liberté.’ »901 Pour d’autres, plus radicaux, « ‘ce que nous avons aujourd’hui, c’est l’impossibilité de la foi (...) et donc la nécessité criante du Christ-Médiateur qui, seul, peut dire en nous les mots qui nous manquent. ’»902
Dans le deuxième Cahier, les mêmes interrogations reviennent, souvent sans réponse : « ‘Nous pensons que nous sommes arrivés avec les hommes d’aujourd’hui au seuil d’une terre inconnue où la foi, elle aussi, sera nouvelle pour des hommes nouveaux’ . »903 En revanche, le doute n’est plus de mise en ce qui concerne la validité du marxisme et l’efficacité du parti : « ‘Nous avons la certitude de pouvoir arriver à la création d’une société pratiquement parfaite où les aspects négatifs de l’homme auront disparu complètement et où le seul conflit se situera entre l’homme et la nature’ » ; « ‘par bonheur, pour ma part,904 j’ai rencontré le marxisme’ » ; « ‘je crois en l’amélioration sans limites de la condition humaine au point d’arriver à un monde infiniment supérieur et que, seul, le parti communiste de chaque pays est capable de donner la voie juste à suivre pour y accéder ; (...) dans les pays du socialisme la liberté naît, grandit et prospère sans cesse pour le bien-être croissant et l’éducation des masses. ’»905
Cette « séduction du marxisme » occupe aussi les réunions bimensuelles qui se tiennent au siège de la rue Bessières. A celle du 13 décembre 1954, Montuclard déplore la trop grande rapidité de la découverte du marxisme par les militants chrétiens : « ‘Du coup, on ne situe pas les choses à leur place. Si la vérité du marxisme est incontestable sur son plan, il y a un autre plan où la vérité du marxisme ne joue pas. Notre double affirmation doit consister à proclamer la vérité du marxisme sur son plan et la vérité de la foi chrétienne sur le sien !»906 ’
Lors des réunions suivantes, le clivage s’accentue. Maurice Montuclard ne cesse de mettre en garde ses camarades contre le rejet de l’institution et la tentation de l’» Eglise invisible » : « ‘Etre chrétien, c’est être plongé dans un courant. Il n’y a pas de conscience religieuse sans un attachement à une communauté de foi’ ». Pour lui, la rupture vient de l’attitude de la hiérarchie. Il ne faut pas entrer dans cette logique : « ‘Vivre l’Eglise, c’est nous situer par rapport à l’Eglise telle qu’elle est et tels que nous sommes. Nous sommes des adversaires politiques des hommes de notre Eglise, ce qui est légitime. Les hommes d’Eglise nous considèrent exclus de l’Eglise, ce qui est illégitime. Il y a confrontation, car nous avons à défendre la partie que nous représentons, mais nous sommes tous en marche vers l’unité de l’Eglise.’ » Il ne convient pas davantage de limiter sa foi à la croyance en la Révélation : « ‘Etre de l’Eglise, c’est recevoir les vérités de la foi, qui nous sont transmises pas la Tradition ; c’est défendre ces données contre certains excès du marxisme et contre les fausses interprétations qu’en donne l’Eglise.’ »
Montuclard va même plus loin dans son attachement à l’institution catholique : « ‘L’Eglise catholique est la seule religion qui ait des chances de subsister dans le marxisme, parce que la théologie catholique est la seule qui permette une indépendance absolue de la conscience religieuse par rapport à la conscience politique, la séparation entre l’Eglise et l’Etat. Elle est la seule qui permette une expression, une explication rationnelle de la foi, ce qui est très important dans la société scientifique et rationnelle marxiste’. »
Mais les camarades de Montuclard n’ont que faire de ces considérations aristotélo-thomistes, ils sont passés sur l’autre rive. Pierre Bernard le dit clairement : « ‘Mes raisons de vivre ne me sont données ni par la foi, ni par l’Eglise, mais par le marxisme. La foi, pour moi, c’est l’amitié de Dieu. Les dogmes, le péché, les sacrements ne m’intéressent pas.’ » Claude Masson, qui réclame alors d’être relevé de son sacerdoce après avoir été interdit dans sa paroisse, conclut : « ‘Nous arrivons dans une idéologie et un monde nouveaux qui suppriment nos raisons de croire.’ »907
Ces tâtonnements dans la ligne directrice frappent aussi le lectorat. Dès les premières parutions, la sanction tombe : avec 81 abonnements souscrits, l’audience du C.L.R. est devenue confidentielle. Fin 1954, elle atteint 130 abonnés mais les animateurs sont sans illusion : seuls 10 noms nouveaux représentent réellement les personnes convaincues et en phase avec la recherche menée. En revanche, quelle est la motivation et le degré d’adhésion des 70 anciens qui cotisent toujours ? La sympathie, l’habitude ? Et les autres (de 20 à 50 noms) ? Beaucoup sont là « par erreur » : mal informés, ils pensent que le C.L.R. est l’incarnation d’une branche soumise de J.E. ! Dès la fin de 1954, Marie Aubertin et Maurice Montuclard ont décidé de quitter la permanence du C.L.R. au plus tard fin avril 1955 pour trouver du travail.
Finalement, le 23 avril 1956, la question de la survie du C.L.R. est mise en débat. Claude Masson exprime le malaise profond qui règne d’après lui depuis le début au C.L.R. : « ‘Rien n’a été fait de valable depuis les Evénements et la foi. Les Cahiers n’ont pas satisfait les copains. Le C.L.R. a cessé d’être une recherche religieuse à l’intérieur de la foi. Nous sommes passés à l’extérieur. Notre unité, notre spécificité en ont été détruits du même coup. Notre raison de rester ensemble est aujourd’hui d’aider les chrétiens qui passent par où nous sommes passés, mais cette tâche est politique et nous sommes devenus pour la plupart des communistes. Où bien, c’est un travail plus théorique sur les rapports marxisme-christianisme ? Mais ce travail de désaliénation entre dans le cadre des tâches du P.C., même s’il ne le fait pas encore’ ».
Paco (François Marina) est d’accord mais pense qu’il y a une place, en dehors du parti communiste, pour une recherche sur les problèmes spécifiques de la foi : « ‘Il y a parmi nous des gars qui ont besoin de rechercher si la foi a une réalité, qui se posent les problèmes de la coexistence de la foi et du marxisme. ’» Sa position recueille l’assentiment de Jacques Dousset et Colette (Saint-Antonin ?). Marcel Lebruchec refuse d’aboutir au néant. Il souhaite que la lutte militante continue parallèlement aux recherches théoriques, « ‘en se situant dans l’antagonisme de lutte entre le Parti et l’Eglise’ ». Emile Poulat se dit d’accord avec les précédents intervenants et spécialement avec Paco, mais il souhaite que l’équipe continue à se manifester : il propose de prendre contact avec Henri Desroches, afin d’envisager la publication d’une revue dans le cadre du C.N.R.S. où tous deux ont fondé, en octobre 1954 avec François Isambert et Jacques Maître, le Groupe de sociologie des religions. Pierre Andrieu se prononce, lui, pour une recherche plus simple. Pour Jean Gray, enfin, le travail continue car il ne peut en être autrement, au regard de la foi et du parcours accompli : « ‘Les problèmes que nous nous posons, ce n’est pas dans le Parti que nous les résoudrons. On peut dire qu’on est à l’intérieur ou à l’extérieur de l’Eglise canoniquement, mais non de la foi. Je veux continuer parce que ces problèmes ont été posés à une grande profondeur et ne peuvent être résolus isolément’.»908 Une dernière rencontre, le 28 mai 1956, règle les questions pratiques. La dévolution des biens est faite au profit du Secours Populaire. Les archives de Jeunesse de l’Eglise et du C.L.R. sont confiées à Maurice Montuclard, à charge pour lui de les transmettre à la Bibliothèque Nationale.909 Le fichier des abonnés est récupéré par Emile Poulat.910
Alors, le C.L.R., fils illégitime de Jeunesse de l’Eglise ? C’est ainsi que les « barons » du mouvement – Marie Montuclard, François Le Guay, Gilles Ferry ou Jacques Roze – le perçoivent aujourd’hui. Pour eux, le C.L.R. n’est qu’une tentative avortée et condamnée d’avance de prolonger J.E., une « dérive de plus »911. A partir du moment où cette recherche se situait hors de l’Eglise, elle avait perdu sa raison d’être et ne pouvait que sombrer dans un activisme de groupuscule.
Ce jugement doit pourtant être nuancé. Qu’il émane essentiellement des ex-minoritaires de la Toussaint 1953 ne doit pas étonner. Ceux-ci sont en parfaite cohérence avec leur position de l’époque. En revanche, le scénario d’un C.L.R. rejeté par Montuclard ne tient pas. Certes, l’attachement de celui-ci à l’institution religieuse et à la tradition catholique n’est plus à démontrer ; certes, les débats au sein du C.L.R. montrent son isolement croissant face à la tentation de rupture de nombreux militants à l’égard de l’Eglise. Mais il ne faut pas minorer deux données essentielles : d’une part, Montuclard a voulu le C.L.R. : il a pesé de tout son poids dans les débats de l’assemblée générale de 1953 pour contrer les partisans de la dissolution du mouvement. Mieux, en accordant alors une primauté morale aux membres de J.E. engagés au sein du P.C.F., il a à la fois légitimé l’évolution de J.E. et déterminé la future orientation du C.L.R. D’autre part, le départ de Maurice Montuclard est provoqué bien plus par des motifs conjoncturels que par des raisons idéologiques. Même si tout est lié – la désaffection des militants s’expliquant par l’impasse théorique à laquelle se heurte le groupe – c’est la situation financière qui rend inévitable ce départ. Finalement, Montuclard doit se rendre à l’évidence : la ligne de la « double fidélité » est intenable. En avril 1955, le groupe de Grenoble éclate. Des militants actifs et convaincus, comme Jean Giard, Cécile et Jean Fournier ou Suzanne Lapierre quittent le groupe lorsqu’ils entrent au P .C. Ici comme ailleurs, lorsque la foi ne s’est pas purement et simplement déportée sur le Parti, elle est d’une nature telle qu’elle ne peut plus s’accommoder d’un rattachement avec l’Eglise pour la plupart des militants.
Circulaire interne, 25 novembre 1954, Archives personnelles de François Le Guay.
Ibid.
Déclaration des évêques, avril 1954.
Compte-rendu des travaux de l’Assemblé générale des 6 et 7 juin 1954, C.L.R., 1er juillet 1954, pages 3 et 4. Archives personnelles de François Le Guay
Ibid, page 4.
Ibid, page 8.
Ibid, pages 8 et 10
Fonds Montuclard, 3, 1, 229.
Fonds Montuclard, 5 ,2, 82.
« Cet « oubli de soi » qui ne veut rien dire est peut-être la meilleure façon de ne jamais s’oublier et de mettre « soi » au centre de sa vie », Cahier 1 du C.L.R., page 26.
Ibid, page 25.
Ibid, page 19.
Cahier 2 du C.L.R. page 19.
Cahier 1, page 21.
Cahier 2 du C.L.R., page 26. Voir annexe XIX.
Cahiers de Jaques Dousset. Papiers personnels de Mme Roselène Dousset-Leenhardt.
Ibid.
Ibid.
Maurice Montuclard a déposé finalement ces archives à la Bibliothèque des facultés catholiques de Lyon, en 1984.
Ce fichier a rejoint les archives du Fonds Montuclard. L’ensemble est consultable à l’Université Lumière (Lyon II).
Entretien avec Jacques Roze.