A) La « contamination idéologique »

Montuclard se penche d’abord sur le processus selon lequel toute doctrine se transforme en orthodoxie, afin de dégager, si faire se peut, l’acte croyant des servitudes de l’idéologie et de l’orthodoxie. Il livre sa réflexion dans un ouvrage paru en 1977 et intitulé Orthodoxies : Esquisses sur le discours idéologique et sur le croire chrétien. 924.

Après une analyse du processus idéologique qui va du jaillissement d’une idée fondatrice jusqu’à sa cristallisation en orthodoxie dogmatique, Montuclard s’intéresse à la contamination idéologique du discours chrétien : ‘« L’idéologie est partout : l’intégrisme combat pour restaurer en leur pureté des rites, des croyances que l’usure du temps avait déjà corrompus. Le progressisme, lui, tire de l’Evangile des motifs en surplus de mener le combat social et politique. Là, le fétichisme d’un passé hors de l’histoire ; ici, une conception marxisante de l’Histoire. D’un côté comme de l’autre, le même mirage doctrinal’ » 925. Pour lui, cet «encerclement» du discours chrétien est imputable au contexte économique et social général : ‘«  L’industrialisation à outrance a rendu impossible le maintien d’une culture unissant la vie de la conscience et celle de la cité, dans un «englobant» associant les exigences de l’esprit et les émotions de la sensibilité, le poids de l’économie et la liberté de la création. D’où la prépondérance du social dans le discours chrétien et sa « double appartenance», religieuse et profane. Qu’il y ait un certain nombre de «propositions» où l’autorité ecclésiastique fixe les limites et les règles du jeu, c’est un impératif nécessaire qui ne devient contrainte intolérable qu’à l’instant où la pression sociale risque d’étouffer l’acte personnel et communautaire du croire chrétien .’ »926

011On peut entendre ce discours comme un réquisitoire contre le pouvoir de normalisation et d’exclusion des idéologies. Montuclard ne se prive pas d’appuyer dans ce sens, en montrant que les discours chrétien ou communiste entrent parfaitement dans ce schéma, même (surtout ?) lorsqu’ils engendrent en leur sein leur propre critique (XXème congrès du P.C.U.S., Vatican II ...). Mais une autre lecture est possible, dans laquelle on retrouve les préoccupations originelles de Montuclard et qui revient sur l’inacceptable confusion entre la foi et les affaires du monde.

Une fois de plus est dénoncée la tentation de l’incarnation de l’extériorité au détriment de l’approfondissement de la foi. Une foi définie comme ‘«  réalité secrète, toute enveloppée en elle-même, ne contenant initialement rien de plus que la réponse à l’appel de Dieu, une certaine façon de la part de l’un comme de l’autre de se dire et de se sentir présent. ’»927 Que l’on ignore cette disponibilité fondamentale, ‘«  que la conviction devienne explication de tout, que l’on se serve d’elle comme d’une théorie éprouvée, sans ombre, ni échec et alors on fait de l’orthodoxie, du sectarisme, de la bureaucratie et de l’irréalisme.’ »

Mais qu’on ne se méprenne pas : derrière ce qui pourrait apparaître comme la dénonciation du système orthodoxe dont il a été victime en 1953, c’est à une autocritique que se livre aussi Montuclard. Evoquant les membres de Jeunesse de l’Eglise des années d’après-guerre, il affirme : ‘»  Il fallait bien qu’[ils] fassent usage de leur pensée pour porter un jugement sur la situation politique, les difficultés de l’heure et les options à prendre. Et, de fait, ils le faisaient, mais – et c’est là le point crucial – ils empruntaient leurs opinions et leurs décisions à des théories insuffisamment critiquées, ils cédaient aux insinuations d’une propagande qu’on ne voulait même pas discuter (...). Il fallait bien exprimer, juger, prendre parti. Et il fallait, pour cela, sinon une cohérence, du moins une construction intellectuelle où une apparente logique assemblait, prononçait, « prophétisait». Ainsi versions-nous dans l’idéologie.’ »

Comment comprendre ce regret, cet aveu ? Montuclard le dit lui-même : il fallait bien prendre parti pour agir ! Certes, mais en s’appuyant sur une pensée rigoureusement contrôlée qu’il nomme théorie et qu’il définit comme ‘« un ensemble de propositions logiquement assemblées et reflétant le réel observé ’«, dans une conception en définitive très rationaliste . Or, ce n’est pas ainsi, aux yeux de Montuclard, que lui et ses amis ont abordé les réalités de leur temps. Ils ont préféré plaquer des schémas admis sans contrôle, extrapoler aveuglément. Ils se sont comportés en idéologues.

Notes
924.

Maurice Montuclard, Orthodoxies.Esquisses sur le discours idéologique et le croire chrétien, Cerf,1977, 176 pages .

925.

Maurice Montuclard, Orthodoxies, page 21 .

926.

Ibid, page 172 .

927.

Cahier manuscrit n° 10, pages 56 et 57.