INTRODUCTION

L'élaboration des instruments internationaux et nationaux en faveur de l'enfance et l'adolescence devient de plus en plus une préoccupation pour la communauté Internationale. Ce sont : les règles de Beijing sur l'administration de la justice pour mineurs, la Convention des Nations Unies relative aux Droits de l'enfant sur la protection, la prestation et la participation ; les principes Directeurs de Riyadh sur la prévention de la délinquance juvénile ; les Règles de la Havane pour la prévention des mineurs privés de liberté ; les Conventions de l'Organisation internationale du Travail sur le travail des enfants, la Charte africaine sur les Droits et Bien-être de l'enfant, etc. Ces instruments mettent l'accent sur les Droits des enfants.

Cet intérêt porté à travers ces instruments aux enfants dénonce les exclusions sociales dont ils sont victimes dans un contexte où les discours politiques sont évocateurs en matière de démocratie (KOUDOU O., 1997a), mais aussi dans un contexte où nos repères identificatoires et nos identifications sont modifiés et où les failles dans la sécurité de l'environnement génèrent des angoisses (KAES, 1997, 36).

Développer une politique intelligente de l'enfance et de la jeunesse est d'autant plus urgent que nous savons combien les difficultés graves au cours de l'enfance sont probablement un des facteurs les plus importants de la fragilisation des individus dans leur trajectoire ultérieure (CAPUL, LEMAY, 1997, 20 ; MANNONI, 1997, 8).

Cet intérêt porté à l'élaboration d'instruments pour l'enfant et l'adolescent révèlent également que ceux-ci (enfant et adolescent) sont confrontés à de nombreuses difficultés d'adaptation psychosociale dont le comportement délinquant surtout dans un contexte où les politiques nationales dont celles de la Côte d'Ivoire sont insuffisantes tant dans l'amélioration, la ratification que dans l'application de ces instruments (BIT, 1996, 111). Ces insuffisances exigent que nous développions davantage des études scientifiques (DIENG, 1997, 29).

En effet, la délinquance de l'adolescent depuis plusieurs années est objet d'interrogations diverses. Soit elle est évoquée directement pour comprendre sa signification et la prévenir, soit on y a recours comme moyen pour prévenir la criminalité adulte et même pour protéger l'enfance en difficulté ou enfance dont les parents éprouvent une impuissance devant le trouble comportemental (NORMANDEAU, CUSSON, 1996, 13-14).

Cet intérêt scientifique porté à la délinquance de l'adolescent a conduit à l'élaboration de modèles d'explication et de prévention, modèles parfois diversifiés selon les contextes socio-culturels ou les cadres de références théoriques. La Revue de Littérature de ces modèles nous a conduit à les organiser arbitrairement en deux grands modèles : Les modèles conceptuels et les modèles explicatifs et préventifs. Si peu de travaux portent sur les modèles conceptuels (délinquance, prévention, facteur) en revanche à notre connaissance, la littérature est abondante en ce qui concerne les modèles explicatifs et préventifs. En les regroupant, nous distinguons les modèles analytiques, les modèles de changement social et des phénomènes conflictuels et les modèles intégratifs.

Dans les premiers modèles, les travaux portent sur l'hérédité, le dysfonctionnement organique, les aberrations chromosomiques... (Biologie criminelle), les conditions socio-économiques, l'urbanisation, l'habitat, la démission parentale... (Sociologie criminelle), les carences des relations affectives, les carences cognitives, les conflits œdipiens... (Psychologie criminelle). Par rapport à la prévention ont été valorisées l'amélioration du cadre de vie des parents et adolescents, la psychothérapie et la pédagogie rééducative...

Ces travaux sont certes pertinents mais insuffisants car n'insistant pas trop sur l'interdisciplinarité, sur la complémentarité entre les criminologies juvéniles spécialisées, sur le développement de la délinquance et se situent surtout dans un ordre socio-culturel (ordre occidental) où certainement les repères sont différents des nôtres. Or souligne SZABO (1991a), c'est à partir de l'analyse de la normativité sociale qu'il nous faut cerner les sources sociales de la délinquance. C'est peut-être dans ce sens qu'il faut comprendre, il semble, l'émergence des modèles de changement social et des phénomènes conflictuels ayant pour lieu l'Afrique.

La plupart des travaux en Afrique à notre connaissance s'inscrivent dans ces modèles et s'articulent en général autour des thèmes considérés comme facteurs criminogènes : Désorganisations des structures sociales, urbanisation, pauvreté socio-économique, démographie, scolarisation, médias, migrations, identité, dissociation familiale. Comme dans les premiers modèles, la délinquance n'est pas perçue dans la perspective développementale. Par ailleurs, non seulement ces thèmes sont évoqués isolement, mais les travaux ne répondent pas à la question du pourquoi des différences entre des individus placés dans le même contexte socio-culturel, dans le même contexte de socialisation (KOUDOU O., 1997b, 26). Les propositions en matière de prévention portent sur l'amélioration des conditions socio-économiques, l'écoute éducative, la réappropriation des valeurs socio-morales et culturelles traditionnelles, l'apprentissage des métiers dans les centres de rééducation... La non prise en compte de l'individualité des sujets constitue une limite importante de ces travaux.

Or, il est vrai, le comportement délinquant chez l'adolescent, il semble ne peut être compris si nous n'intégrons pas dans nos préoccupations les différents modèles tant au niveau disciplinaire qu'au niveau des différentes dimensions du comportement délinquant. Car comme le souligne si bien SELOSSE (1997, 13), «il y a une étiologie complexe des troubles de la conduite, elle implique une pluridisciplinarité, et une articulation de la psychologie sociale, développementale, et de la clinique thérapeutique». C'est dans ce cadre que se situent les récents modèles qui sont des modèles intégratifs (LEBLANC, 1997a) s'inspirant eux-mêmes du modèle d'intégration multidisciplinaire d'intégration des niveaux d'analyse du phénomène de la délinquance proposé par SZABO (LEBLANC, 1993, 23, 1996) et de la formule de DE GREEFF selon laquelle un détail ne saurait à lui seul emporter explication du phénomène criminel (CARIO, 1996a, 106 ; 2000b, 20). Ces modèles intégratifs sont globalement au nombre de six : le modèle du processus et de relation socio-pathique de l'Ecole de Louvain ; le modèle de Bayonne ; le modèle du sujet auto-poiétique de l'Ecole de Porto, ; le modèle longitudinal et expérimental sur l'agression physique de Montréal ; le modèle du comportement social différentiel ; le modèle intégratif et multidimensionnel de Montréal.

Ces modèles constituent il est vrai une avancée importante vers la connaissance du comportement délinquant chez l'adolescent en transcendant les spécialités et proposant une approche développementale en termes de processus et de stades en rapport avec des facteurs (Lœber, Leblanc, 1990, 1997). Cependant peuvent-ils nous aider à mieux appréhender le développement de la délinquance chez l'adolescent dans notre contexte socio-culturel marqué de plus en plus par toutes sortes de dysfonctionnements notamment socio-familiaux en termes par exemple d'intolérance sociale (KOUDOU O., 1996b) et de stigmatisations verbales parentales (KOUDOU O., 1997d) ? Mais l'impact de la famille sur le développement de la délinquance est-il suffisant si nous n'intégrons pas dans notre analyse le rôle des pairs, de l'institution de rééducation et de l'engagement dans les valeurs scolaires en termes de dysfonctionnements familial et social rapprochés auxquels il faut associer certainement les traits de personnalité et les déclencheurs en ayant toujours à l'esprit la singularité de l'individu selon Prochiantz (Roques, 1997, 10) ? En d'autres termes ne serait-il pas mieux indiqué de pendre en compte à la fois les facteurs macro et micro sociaux en relation avec une décision personnelle de l'enfant (Sissoko, 1997, 273) ? Mais ces différents facteurs (dysfonctionnements familial et social rapprochés, la personnalité, les déclencheurs) suffisent-ils en eux-mêmes si nous ne les intégrons pas au sein d'un modèle d'étude à la fois hiérarchique, interactionniste, discriminatif et articulé autour du sujet organisateur (Hidso), c'est-à-dire un modèle dans lequel le sujet constitue l'organisateur central du comportement délinquant par la signification qu'il accorde au milieu, mais aussi un modèle dans lequel les traits de personnalité sont à la fois des construits et des facteurs ? Mais une étude qui serait circonscrite à la recherche des seuls facteurs peut-elle nous être utile dans notre contexte où les adolescents éprouvent de plus en plus de difficultés d'adaptation sociale sans un regard sur l'application des résultats ?

Convaincu que l'intérêt pour la délinquance chez l'adolescent devrait être moins politique que pragmatique (CUSSON, 1994, 43 ; NORMANDEAU, CUSSON, 1996, 24), cette étude tentera non seulement de comprendre la délinquance dans son développement en termes de stades en rapport avec des facteurs mais de proposer également un modèle d'intervention préventive, celui-ci s'inscrivant au sein du modèle Hidso.

En définitive, notre étude complète les modèles précédents d'étude de la délinquance des adolescents tout en gardant une certaine spécifité : étude de la délinquance en trois stades et deux désistements ; élaboration d'une typologie comportementale triptyque ; établissement de relations entre facteurs et stades et proposition d'une intervention préventive articulée autour des points précédents. Nous tenterons de faire ressortir cette spécificité à travers quatre objectifs :

Du point de vue organisationnel, le travail comporte trois parties :

La première partie porte sur les modèles d'étude de la délinquance chez l'adolescent, les hypothèses et la méthodologie. Trois chapitres structurent cette partie : modèles conceptuels, modèles explicatifs et préventifs, recherche d'un modèle d'étude de la délinquance en milieu africain, hypothèses et méthodologie.

La seconde partie est relative à l'élaboration des résultats. Elle comporte deux chapitres : Développement de la délinquance ; facteurs de ce développement.

La troisième partie porte sur l'intervention préventive, l'évaluation et l'essai d'élaboration d'un modèle d'étude. Deux chapitres structurent également cette partie : Intervention préventive et évaluation ; Essai d'élaboration d'un modèle d'étude (modèle Hidso).