II - PREVENTION

Le concept de prévention prend toute sa valeur au sein de la criminologie préventive (Gassin, 1990, 671). Il est pris dans son premier sens qui est celui de «devancer», d'«aller au devant de» la criminalité en utilisant diverses techniques d'intervention destinées à empêcher la criminalité de se produire. D'un point de vue scientifique, la prévention est «l'ensemble des mesures de politique criminelle, à l'exclusion des mesures d'intervention pénale, qui ont pour finalité exclusive, ou au moins partielle, de limiter la possibilité de survenance d'un ensemble d'actions criminelles en les rendant impossibles, plus difficiles ou moins probables» (Gassin, op. cit., 713). Cette définition exclut la prévention par la mesure de la peine ou intimidation générale ou encore dissuasion ; elle exclut également la prévention individuelle de la récidive, les systèmes d'indemnisation et d'aide aux victimes, les procédés modernes de politique criminelle qui sont décriminalisation, dépénalisation et déjudiciarisation et enfin les mesures de bien-être social pour ne prendre en compte dans ce dernier cas que les mesures sociales qui ont pour finalité exclusive ou au moins partielle un objectif de prévention comme il est dit dans la définition (Gassin, op. cit., 716). Cette analyse critique de Gassin nous paraît cependant restrictive par rapport à la criminologie préventive. Car la prévention s'inscrit d'une manière beaucoup plus large aussi bien dans la criminologie juridique que dans la criminologie clinique. Dans nos Etats africains sous-développés et en mutations socio-économiques et culturelles rapides, la notion gagnerait à être étendue.

Par conséquent, en recourant à la signification «devancer» chez les adolescents, nous nous situons au niveau où les délits ne sont pas encore commis dans un premier temps, mais également au niveau où ils sont déjà commis. Ainsi le traitement d'un adolescent inadapté social constitue-t-il une prévention à notre avis.

Dans ce sens note Robert (1994, 54) la prévention tend à réduire certains comportements incriminés par la loi pénale. Selon Delmas, elle concerne aussi bien le policier des banlieues "chaudes", l'éducateur, l'enseignant, les élus etc. mettant ainsi en place des comités de prévention ou favorisant la création d'actions associatives (Delmas, 1994, 191). Leblanc (1990, 68) parle alors de prévention générale, celle-ci portant sur l'école, la famille, les désavantages socio-économiques et l'habitation et de prévention communautaire (Leblanc, 1993) en mettant l'accent sur l'environnement, l'organisation sociale, l'intégration sociale, les opportunités légitimes, la structure sociale et les contrôles formels. Selon Favard (1994, 119) ce type de prévention s'inscrit dans une conception étiologique difficilement articulable aux causes sociologiques de la délinquance pour animer une pratique de terrain. Il s'agit pour ce faire d'un accompagnement social, d'une présence sociale sur des quartiers auprès de populations défavorisées et non d'une véritable prévention du risque (op. cit.). Pour notre part, dans nos sociétés africaines en dysfonctionnement (famille, école, société, pairs) il est difficile de ne pas avoir recours à ce type de prévention générale ou prévention primaire. A notre avis, elle peut être considérée comme une prévention du risque d'émergence dans la mesure où il s'agit d'agir sur les dysfonctionnements sociaux qui offrent des terrains favorables à l'émergence des comportements délinquants chez l'adolescent. Il s'agit précisément d'agir en direction des populations à risques. Cependant, quoique importante, la prévention primaire ou sociale (Gassin, 1996, 270) ne nous paraît pas suffisante et dans ce contexte, nous sommes d'accord avec Favard.

Car il faut le noter, le crime rapporte. Les profits considérables que génèrent les activités criminelles mettent en péril non seulement la sécurité des sociétés mais également les valeurs sur lesquelles reposent ces sociétés ; aussi faut-il le (le crime) maintenir à un niveau tolérable (Picca, 1994, 152). Car souligne Varaut (1994) si les hommes commettent des infractions, c'est le plus souvent pour arriver à leurs fins, satisfaire leurs besoins, promouvoir leurs intérêts, assouvir leurs passions, surmonter leurs difficultés. Le délinquant dans ce contexte apparaît comme un acteur qui prend des décisions, élabore des stratégies, poursuit des fins, choisit les moyens disponibles. Cette perspective rejoint Cusson qui prend en compte les tactiques, manoeuvres et donc les circonstances particulières dans lesquelles les problèmes criminels se posent (1993, 301). Ce type de prévention qui a un rôle dissuasif, Cusson le nomme prévention situationnelle. Elle est (Cusson, 1994) «l'ensemble des mesures non pénales visant à empêcher le passage à l'acte en modifiant les circonstances particulières dans lesquelles une série de délits semblables sont commis ou pourraient l'être.». Il s'agit ici d'éviter l'accomplissement d'actes que des délinquants potentiels pourraient commettre, en supprimant l'occasion de les poser ou en les rendant moins intéressants (Cusson, 1992, 140). Cependant, limiter la prévention à trois niveaux, prévention pénale, prévention sociale et prévention situationnelle (Cario, 1996b, 91-92) ) ne suffirait pas, certains individus délinquants développant une persistance du comportement, un enracinement de ce comportement. De ce point de vue, la personnalité pourrait être affectée en rapport avec l'environnement du sujet. La prise en compte de cette personnalité nous conduit à un troisième type de prévention, la prévention de la récidive ou de la persistance de la délinquance qui transcende le seul cadre du traitement (Leblanc, 1991, 1993, Tremblay R. E. et al., 1996).

En définitive, nous entendons par prévention l'ensemble des moyens dont la mise en oeuvre a pour objectifs de :

- «devancer» l'émergence de la délinquance réduisant les conditions socio-économiques défavorables ou favorables à la fragilisation des individus (déviance, délinquance)

- «devancer» les comportements marginaux des adolescents en modifiant leur environnement global et immédiat mais aussi leur personnalité de manière qualitative et durable. Il s'agit précisément ici de modifications de la personnalité et des conditions existentielles des adolescents et agents éducatifs et des pratiques éducatives de ceux-ci, facteurs qui favorisent progressivement l'émergence des comportements délinquants.

- «devancer» la récidive ou la persistance de la délinquance et le basculement dans la grande criminalité à travers des actions concrètes portant sur les interactions sujet-milieu, personnalité, habiletés socio-morales, apprentissage professionnel, intégration socio-professionnelle etc.

Cette perspective englobe à la fois la prévention de l'émergence de la délinquance, la prévention de la persistance de la délinquance et des situations à risque délinquant. Ainsi, notre approche du concept est étroitement liée à celle du risque, défini comme la probabilité qu'un événement va survenir. (Tursz, Souteyrand, Salmi, 1993). Notre approche englobe également la position de Cario laquelle évoque aller au devant des activités criminelles, avertir par avance que tel comportement est nuisible et informer que le crime dépend des occasions de le perpétrer (Cario, 1996, 89).

Cette précision faite, qu'entendons-nous par délinquance dont la prévention est ici objet d'étude ?