2.3 - Modèles psychothématiques et psycho-éducatifs

Deux grands modèles se dégagent dans ces stratégies : les modèles psychothérapiques et les modèles psychoéducatifs.

2.3.1 - Modèles psychothérapiques

Chazal (1983, 75), Chazal et al. (1993, 87) situent la rééducation du mineur délinquant à trois niveaux : Action thérapeutique : thérapeutiques médicales et psychologiques (psychothérapie individuelle et de groupe) de nature à améliorer son comportement ; Action de rattrapage scolaire et de formation professionnelle : le mettre en état de gagner sa vie en lui faisant effectuer, après sa scolarité, l'apprentissage d'un métier, souvent même , en menant de front la formation professionnelle et l'enseignement scolaire ; Action éducative enfin tendant à ce que le mineur se réconcilie avec lui-même et avec autrui, à ce qu'il se maîtrise, à ce qu'il parvienne à son autonomie et l'assume, à ce qu'il s'intègre dans la communauté.

Il s'agit de déconditionner le sujet, c'est-à-dire éloigner l'enfant de son milieu d'origine si celui-ci est pernicieux ou traumatisant, soit d'un milieu d'élection s'il revêt les mêmes caractères nocifs ; dans d'autres cas, une action éducative est menée autant sur le groupe auquel appartient le jeune que sur lui-même (tout en maintenant le mineur dans le milieu). Dans le même temps, il faut s'appliquer à éliminer les circonstances qui ont pu favoriser l'antisocialité, parfois déclencher l'agressivité. Le reconditionnement paraît viser deux fins : faire acquérir à l'enfant des réflexes conditionnés, l'amour aussi à travers des processus socio-psychologiques d'imprégnation et d'identification, à être pénétré par l'ambiance d'un groupe, à épouser son style de vie (Chazal, 1989, 78 ; Chazal et al., 1993, 89.).

Pour Lemay (1973), il faut à la fois un milieu institutionnel suffisamment fermé pour limiter les possibilités de manipulation et les passages à l'acte. Par la suite, le sujet parviendra à se rappeler un événement plus lointain alors que jusqu'ici sa capacité de rappel se limitait à une simple action passée. Ceci constitue la première étape. A la deuxième étape, le jeune devient «capable de réfléchir sur l'organisation de ses actes au fur et à mesure qu'il accède à la fonction symbolique». Il peut maintenant se représenter le présent et anticiper l'avenir. La troisième étape s'articule autour des progrès cognitifs moteurs et affectifs. Sur le plan cognitif, «le jeune utilise à présent les structures opératoires concrètes. Il accède à la réversibilité». En cherchant à répondre à des questions telles que la manière de réaliser une activité, la façon de se situer par rapport à elle, il amorce un sentiment d'identité. «Dans les tâches collectives, il prend conscience de son appartenance à un groupe, accepte des responsabilités, intériorise les normes de la collectivité». Le personnel éducatif est reconnu comme images compétentes. L'adolescent tend à établir une relation privilégiée avec l'un des adultes, non plus seulement accepté, mais désiré. C'est à ce stade que des entretiens peuvent porter leurs fruits afin de permettre à l'adolescent de clarifier ses exigences contradictoires. «C'est dans la mesure où le jeune est valorisé, soutenu, invité à l'action, sollicité dans un choix de plus en plus personnel... que cet adolescent acquiert la conviction qu'il peut dépasser un passé asocial en créant d'autres conditions d'existence et en s'appuyant sur une expérience actuelle significative» (Lemay, 1973).

Mais l'orientation de Lemay ne porte pas uniquement sur l'adolescent. La famille est également visée : soutien psychologique et économique des parents en difficulté (1996, 26).

Contrairement aux propositions thérapeutiques et pédagogiques précédentes, Mâle (1984) établit un préalable à tout traitement psychothérapique : la mise en place d'un bilan, lequel conduira aux zones perturbées de l'affectivité qui commandent les troubles du comportement, bilan au cours duquel il faut éviter toute position moralisante. Pour permettre à la relation de s'ouvrir, il ne faut donc pas aborder d'emblée le délit, centre de la culpabilité, mais plutôt, et dans un sens bienveillant, la vie et les intérêts du mineur. Enfin apparaîtront, outre - le niveau intellectuel si important à définir -, ce qu'on peut appeler «les flotteurs», c'est-à-dire les valeurs, les centres d'intérêt, les dons exploitables par le psychothérapeute et l'éducateur à l'atelier ou à l'école (Lemay, 1984, 230-231). Tomkiewicz (1981, 83-86), propose comme traitement quelques principes qu'il trouve par ailleurs difficiles à appliquer en pratique : - «ce n'est pas en ajoutant des frustrations supplémentaires que l'on guérira un jeune dont l'état asocial est le résultat de souffrances psychologiques et de frustrations. - Ce n'est pas en dévalorisant un jeune qui a déjà de lui-même une piètre opinion qu'on lui permettra de sortir de son exclusion.- Ce n'est pas en exigeant d'emblée l'amélioration du comportement, but final du traitement que celui-ci sera obtenu à long terme. Si le jeune pouvait d'emblée respecter la Loi, il ne serait pas délinquant... Le souci de l'épanouissement social et affectif et de l'avenir devrait primer sur la disparition rapide des troubles. Pour convaincre un jeune que l'on veut le traiter, que l'on veut l'aider, l'écoute et les paroles ne suffisent pas. Les actes sont indispensables pour rendre crédible l'attitude thérapeutique. Ils sont responsables, mais non coupables : pour comprendre et aimer un jour les autres, ils ont un besoin urgent d'être compris et aimés» (Tomkiewicz, 1981, 83-86). Dans une autre approche, Zeiller (1981, 35) résume schématiquement les réponses thérapeutiques et pédagogiques : offrir à l'adolescent d'autres moyens, adéquats en tenant compte du fait que le jeune aime utiliser le risque :

  • «développer les capacités de verbalisation et de conceptualisation de l'adolescent en lui faisant découvrir, par exemple, la supériorité de la parole sur la violence (avec le jeu de rôle sociodramatique)».
  • «développer les ressources de créativité de l'adolescent, et même lui faire découvrir qu'il est porteur de telles ressources. La poésie ou le dessin peuvent être mis en valeur par les techniques audiovisuelles telles que la photo, le cinéma et la vidéo».
  • «offrir à l'adolescent, s'il le souhaite, un soutien psychologique individuel dont la finalité est de le réconcilier avec les parents et avec lui-même à travers l'utilisation de l'audiovisuel (photodrame ou vidéodrame)».Concernant les adolescents criminels, Zeiller (1994, 1995) propose :
  • «un tutorat permanent auprès de chaque mineur en lui offrant une personne référante unique à laquelle il pourrait avoir recours ;
  • aménagement d'un soutien thérapeutique (demande thérapeutique associée à des capacités d'insight et de transfert, à un désir de changement, etc.».

Si la plupart des auteurs conçoivent la rééducation dans des institutions, certains comme Leomant (Pinatel, 1983, 58-59) récusent celles-ci, car, c'est un néo-romantisme pédagogique qui est développé : - refus de l'incarcération des mineurs et refus de la création de centres de sécurité. Le postulat de base du néo-romantisme pédagogique rappelle la doctrine de défense sociale de Gramatica. Chez Casoni (1996, 119) l'Intervenant clinique doit s'appuyer sur le besoin manifesté par l'individu avec une étape évaluative afin que l'offre thérapeutique - à travers trois termes usuels, guérir, soigner et aider - corresponde à des besoins singuliers et à une motivation personnelle à recevoir de l'aide.

Chez Giret (1991, 72), la thérapie consiste à assumer la décision d'une hospitalisation contre le gré de l'enfant, donc un enfermement protecteur momentané. Cette séparation est nécessaire au cours de laquelle une tierce personne détentrice de la loi (le père ou son substitut) devrait intervenir.

Segond (1992) préconise une approche familiale systémique appliquée au champ de la rééducation des mineurs de justice dans laquelle intervenants et clients se trouvent soumis de manière différente à une situation d'obligation : obligation pour les intervenants de remplir le mandat que le juge leur a confié et obligation pour le mineur et sa famille de se plier aux exigences de ce même mandat.

Le pôle 5 «Adolescence, normes et espace public» du Centre de Recherche Interdisciplinaire de Vaucresson (CRIV) propose la mise en place de politiques publiques de prévention comme le payground, les équipements de proximités, le basket en liberté, etc. (Rapport scientifique, CRIV, 1993, 88).

Chez Aichhorn (Freud, A., 1996, 272), guérir la délinquance revient à redistribuer la libido ou réorganiser la relation d'objet entre le délinquant et son rééducateur ; c'est en d'autres termes, établir une relation transférentielle solide, durable et opérante (Freud, A., 1996, 273). Aichhorn propose également l'identification du délinquant au thérapeute et l'identification du thérapeute au délinquant, ce qui pourra permettre de comprendre les besoins du délinquant (Freud, A., 1996, 275). Si la technique de Aichhorn est pertinente, notons que dans une situation où le thérapeute possède moins d'expérience, il peut y avoir un contre transfert, mécanisme de blocage de compréhension du délinquant.

Enfin au niveau des malades mentaux criminels, Hodgins (1994, 248) propose des traitements continus tout au long de leur vie et Millaud distingue six étapes d'intervention : évaluation clinique ; information du patient de son éducation : établissement des limites du tolérable et de l'interdit ; identification avec le patient des éléments de souffrance ; repérage des éléments du clivage, application du plan d'intervention (Millaud, 1996, 16-18). Des suivis psychologiques des délinquants ont révélé des progrès importants chez les sujets en fonction des diagnostics cliniques du DSM III-R (Bambonyé, 1996, 41).

En définitive, les modèles proposés sont différents passant d'un expert à un autre. En dehors des modèles axés sur les programmes et à un degré moindre sur les distinctions, les modèles psycho-thérapeutiques sont cliniques, orientés surtout vers des études de cas avec pour instruments les entretiens cliniques et les tests projectifs.