Les travaux sur les désorganisations structurelles africaines s'articulent autour de trois points : désorganisations socio-culturelles ; désorganisations des structures familiales et désorganisations des structures mentales.
Les premiers travaux en date (à notre connaissance) sont ceux du Centre International de l'Enfance et du Centre Hospitalier de Fann réalisés à Tananarive, Douala, Yaoundé, Abidjan de 1954 à 1957 sur l'étude des conditions de vie de l'enfant africain en milieu urbain et de leur influence sur la délinquance juvénile 4 . Un facteur important a été mis en évidence : dissociation des structures familiales traditionnelles.
D'autres travaux réalisés à Dakar amorcent une analyse de l'inadaptation à un double niveau : niveau social (problèmes posés par l'Ecole "française"), niveau psycho-sociologique (crise de l'Education traditionnelle, famille nucléaire) (Flamand et Collomb cités par Ortigues et al., 1965, 86-87). Bassitché note que le problème majeur réside dans la démobiliation des parents, plus particulièrement du père en matière d'éducation (1974, 152). La carence de l'éducation est également considérée comme un facteur criminogène (1979, 40-41), carence dont l'origine se trouve dans cette hypothèse : «la pluralité des cultures qui entraîne une diversité des morales et des valeurs socio-culturelles» (Bassitché, 1988, 77). Suivant toujours l'auteur, la délinquance résulte en partie de la vision nouvelle que la plupart des Abidjanais élaborent de leur environnement : participer à tout prix à la société de consommation et ce, usant de tous les moyens, y compris les voies illégitimes. A leur tour les jeunes suivent l'exemple qui leur est offert par le milieu et adoptant des conduites déviantes multiformes que favorise par ailleurs l'hétérogénéité culturelle de la cité (Bassitché, 1989, 4). Est mise en cause donc l'impuissance des parents à opérer un choix éducatif stable pour les enfants dans une société de plus en plus consommatrice (Grobli, 1983, 33). Ainsi, les pratiques traditionnelles, l'héritage institutionnel de la colonisation, l'influence de la culture occidentale (Poitou, 1978, 121-166) pourraient entre autres expliquer les comportements délinquants des adolescents africains. On pourrait même pousser un peu plus loin l'analyse du changement social et des phénomènes conflictuels qui en découlent en l'articulant autour des agents primaires de socialisation de l'enfant (groupement familial, système éducatif) lesquels ne sont plus en mesure de remplir totalement leur fonction de formation (Poitou, 1981-1983, 125).
Ces travaux montrent que les désorganisations sociales en tant que telles ne peuvent avoir d'influence sur la délinquance juvénile que par l'intermédiaire par exemple du processus éducatif lequel a par ailleurs subi des mutations. Ainsi pour Brillon (1980, 236), c'est moins l'unité du noyau familial au sens restreint qui importe que la cohésion sociale qui soutient et supporte l'individu ou la famille ; l'attitude traditionnelle à l'égard de la famille élargie et du clan subsiste mais, les liens entre ses membres se relâchent ; par conséquent, il s'en suivra un profond sentiment d'insécurité (Brillon, 1980, 159).
A l'intérieur de ces travaux sur les désorganisations structurelles, le thème de l'acculturation devient le noyau central de l'explication des comportements délinquants. L'acculturation, le facteur déterminant dans l'apparition de pathologies sociales n'est pas le changement en soi, ni l'urbanisation ou l'industrialisation, mais la désorganisation ou la désintégration suscitée au sein de la communauté et, plus particulièrement, parmi les groupes familiaux (Brillon, 1984, 279, Marie, 1997, 415) qui ont perdu de leur emprise, beaucoup d'enfants étant laissés à eux-mêmes, sans affection, sans surveillance, à la merci d'aînés ou d'adultes qui les utilisent, les exploitent et les brutalisent (Brillon, 1987, 392). Comme nous le constatons, l'influence de l'acculturation se pose aussi en termes de représentation de l'enfant. En effet, alors que dans la société traditionnelle, l'enfant est une valeur fondamentale, alors qu'il représente l'avenir, la survie biologique et métaphysique ou l'assurance-vieillesse, en milieu urbain, il représente une charge (Marguerat, 1987, 446) surtout que les solidarités familiales traditionnelles ne suffisent plus à endiguer la marginalité juvénile urbaine (Marguerat, 1989, 208).
Ces travaux qui insistent sur les désorganisations structurelles permettent à l'échelle du changement social de comprendre l'émergence des comportements délinquants des enfants et adolescents africains ; mais ils n'expliquent pas pourquoi face à ces mutations, les sociétés, les familles et les parents se comportent différemment ; il nous faut donc envisager une autre voie d'explication.
Etude des conditions de vie de l'enfant africain en milieu urbain et de leur influence sur la délinquance juvénile : enquête entreprise à Madagascar, au Cameroun et en Côte d'Ivoire de 1954 à 1957 par le Centre International de l'Enfance, avec l'aide des Services sociaux de la France d'Outre-Mer. Centre International de l'Enfance, éditions, Travaux et documents, XII, Paris, 1959.