1.9 - Dissociation familiale

Les travaux, des plus anciens aux plus récents en Afrique insistent encore sur les dissociations familiales pour expliquer les comportements délinquants des adolescents, souvent en termes de décès, d'absence parentale ou de divorce parentale (Ortigues et al., 1965, 85-86) ou encore de démobilisation des parents particulièrement du père en matière d'éducation (Bassitché, 1974.). Cependant la question qui consiste à aborder le problème sous l'angle du divorce ou de la dissociation familiale est de plus en plus perçue non pas par rapport à la structuration brute familiale, mais par rapport au fonctionnement interne des familles. Car il est apparu à travers des données récentes que les familles unies sont autant impliquées que les familles désunies dans la problématique de l'enfance délinquante. Il n'y a donc pas que le divorce qui favorise l'absence d'apprentissage social (Bassitché, 1979). Dans d'autres travaux, Brillon note que le passage trop brusque d'une structure familiale à une autre débouche sur une plus grande instabilité. Les divorces, les séparations, les unions irrégulières sont fréquentes. Cependant ce qui importe, c'est moins l'unité du noyau familial, au sens restreint que la cohésion sociale (Brillon, 1980a) d'autant plus que la famille a perdu de son emprise et que beaucoup d'enfants sont laissés à eux-mêmes (Brillon, 1987, 92) ; certainement parce que ces enfants (par exemple de Lomé) sont issus de couples désunis, parfois désunis par la mort, mais beaucoup plus fréquemment par la vie (Marguerat, 1987). Mungal a trouvé une forte proportion (118/168) provenant des foyers où le père et la mère vivaient ensemble et en a conclu que la délinquance est due au fait que la famille ne joue plus le rôle que les enfants sont en droit d'attendre d'elle (Mungal, op. cit.). Ainsi, si la famille ne joue plus son rôle, c'est peut-être aussi parce que les mécanismes régulateurs ne fonctionnent plus que très partiellement en milieu urbain, et souvent d'une manière purement formelle (Mouchon, 1987). Ces quelques données, d'une manière générale, insistent davantage, directement ou indirectement sur la dissociation familiale dans ses rapports avec l'enfance délinquante (Paulus, 1981, 19 ; Goulizan-Bi Bouick, 1997 ; Etékou, 1997 ; Diakité, 1997). On peut bien se poser la question de savoir si c'est le divorce en tant que tel qui explique la souffrance des enfants. Il reste à identifier le facteur commun aux deux types de structurations familiales (familles unies/familles désunies). Un essai de cette identification se trouve dans le travail de Koudou K. (1990) : «D'une autre manière, la délinquance juvénile ou l'inadaptation de l'enfant pourrait trouver une des causes dans le divorce mal assumé par les parents et les enfants, entre la famille d'hier et la famille d'aujourd'hui». Il apparaît par conséquent que la tendance qui consiste à prendre en compte les structurations familiales dans l'explication de l'émergence des inadaptations sociales juvéniles devrait être complétée par une approche plus axée sur le dysfonctionnement interne des familles africaines dans la mesure où les perturbations des relations familiales existent tant au niveau des foyers familiaux unis que désunis et que la mobilité conjugale semble constituer aujourd'hui une donnée démographique constante, voire «normale» de la vie sociale (Houchon, 1987, 375 ; Diakité, 1997). Les interactions familiales, les introjections des relations intrafamiliales peuvent donc nous aider à comprendre davantage les manifestations des comportements des adolescents inadaptés sociaux. Car ce qui importe, c'est moins la structuration brute familiale que la place que chaque membre de la famille occupe dans l'économie affective de l'Autre. C'est plus la capacité des familles à proposer suffisamment de repères éducatifs que la présence physique des parents (Koudou O. 1994d, 1997e) qui importe.

Les travaux auxquels nous nous sommes référés nous ont permis de mettre à nu les facteurs sociaux, clefs de voûte de l'explication des comportements inadaptés sociaux. Ces facteurs nous l'avons souligné, s'inscrivent dans le cadre plus large d'une sociologie des mutations ou encore de l'anthropologie urbaine du changement social. Dans ce cadre macrocriminologique, ils apportent des réponses pertinentes à la question de l'enfance délinquante dans nos sociétés africaines contemporaines. Cependant la pathologisation d'emblée des sociétés africaines contemporaines ne peut que rendre complexe davantage notre compréhension du phénomène. Poitou (1987, 398-403) à propos des pratiques traditionnelles africaines dans leurs rapports avec les processus de marginalisation de la jeunesse parle de pratiques de «marginalisation» de cette jeunesse. africaine qui sont : sévérité de l'éducation et dureté des sanctions utilisées par les parents Yorouba. L'enfant né de père inconnu est difficilement intégré chez les Ouatchi du Togo et complètement rejeté chez les Touareg, sa mère étant bannie de la tribu. Le premier né est traditionnellement au Niger l'objet d'un mépris affiché de la part de ses parents. On comprend dès lors la réflexion de Houchon (1987) selon qui l'approche qui consiste à faire le procès de la vie urbaine et des processus sociaux qui lui sont associés recèle rapidement un discours douteux, tant dans son idéologie que dans son efficacité. «Car si le concept de pathologie sociale revêt une certaine valeur explicative et analytique, il comporte de sérieux dangers : l'ethnocentrisme peut dissimuler ses capricieux détours dans une approche pathologisante de la société urbaine africaine contemporaine. Celle-ci est complexe, conflictuelle ; de nouveaux schémas de relations sociales y émergent, on constate des adaptations sociales à travers lesquelles le sujet s'efforce de se comporter pratiquement devant une diversité de cadres et de groupes de référence à partir d'une socialisation qui s'effectuera dans des groupes primaires qui changent de nature» (Houchon, 1987). Ainsi nos sociétés contemporaines urbanisées ne seraient pas nécessairement pathologiques, chaque individu ayant «sa capacité» propre à s'adapter ou non et Kabena-Basue (1987, 449) le souligne : «il est vrai que les jeunes qui émigrent vers les cités urbaines posent de sérieux problèmes en termes de logement et d'emploi (...). Or, contrairement à ce que l'on peut penser, tous ne deviennent pas délinquants». Ces réserves nous conduisent à rechercher un modèle autre d'explication qui prendrait en compte les différences Individuelles dans le contexte de changement social. Auparavant, il faudra examiner les problématiques africaines en matière de prévention de l'inadaptation sociale juvénile.