1 - MODELE DU PROCESSUS ET DE RELATION SOCIO-PATHIQUE DE L'ECOLE DE LOUVAIN

Le porte drapeau de cette Ecole est incontestablement Debuyst dont les critiques épistémologiques ont marqué et continuent de marquer la criminologie clinique.

Notons d'abord que le modèle nous suggère _ même si les réponses entre délinquants et non délinquants sont différentes aux inventaires de personnalité _ de tenir compte des ambiguïtés et contradictions qui apparaissent, c'est-à-dire les restituer dans les particularités d'une histoire propre qui est à la fois celle qu'ils (les sujets) ont avec leur milieu, leur institution et l'interviewer qu'ils ont devant eux (Debuyst, 1989, 20). De l'idée que le sujet délinquant n'est pas un être passif dont le comportement résulterait du jeu des déterminismes et qu'il n'est pas une abstraction, Debuyst introduit le concept "d'Acteur social" (1990a, 102). Dans cette perspective, la délinquance ne peut pas être définie comme acte négatif et déficitaire, mais comme expression d'un lien ou d'une relation sociopathique entre un sujet et le groupe social, ou entre groupes dont les statuts diffèrent dans le cadre d'une relation de pouvoir (Debuyst, 1990, 104).

La notion d'acteur social réfère au processus d'élaboration de la loi, de l'application et de la transgression de celle-ci (P. 109). Cette loi étant un processus décisionnel et mettant en jeu les aspects cognitifs et affectifs et prenant place pour le sujet comme une limitation plus ou moins justifiée (Debuyst, 1990b, 374-375). Avec Debuyst (1991, 60), il faut envisager la criminologie clinique dans deux directions non opposées : une criminologie clinique axée sur une différence entre sujets et qui prend comme point de départ la personnalité actuelle du délinquant telle qu'elle est structurée avec ses insuffisances, en rapport avec les différents groupes socialisants (famille, école, groupe de pairs, etc.) ; et une criminologie clinique axée sur la notion de processus et de relation socio-pathique. La notion de processus réfère aux interactions entre sujets (ou entre acteurs) qui se déroulent dans le temps. Prenant l'exemple de jeunes délinquants, dont les personnalités sont décrites par exemple en termes de pauvreté de l'intelligence abstraite et des possibilités verbales, d'instabilité psychomotrice, Debuyst (1991, 62) note que cette description de la personnalité doit prendre sa réelle signification en rapport à la situation sociopolitique dans laquelle ces sujets se trouvent. C'est-à-dire que cette situation a des répercussions sur les attitudes que le sujet aura par rapport à l'école, au travail, aux engagements sentimentaux (op. cit.). La délinquance paraît plus nettement soulever une socio-pathie du lien que la faille ou la pathologie d'une personne (P. 64). Le terme de socio-pathie est entendu dans le sens de l'Ecole de Lyon avec Colin et Hochman, c'est-à-dire comme une relation dans laquelle le sujet _ ou les sujets _ font l'expérience d'un rejet ou d'une non-communication sociale (Debuyst, 1992, 58). La délinquance prend place et sens dans l'histoire d'un sujet et elle se situe comme moment dans une relation conflictuelle qui met non seulement aux prises des individus, mais aussi ce sujet et le groupe social (où certaines entités constitutives de ce groupe social) en tant qu'il est instaurateur de règles (1998, 51). En définitive, selon Debuyst, cette manière de concevoir la délinquance s'intègre peu dans le droit pénal, rendant ainsi ambigu l'opposition passage à l'acte/réaction sociale (Debuyst, 1991, 65).

En conclusion, notons que la perspective sociopathique défendue par l'Ecole de Louvain avec Debuyst constitue un acquis dans le développement de la science criminologique. Cette perspective nous suggère non seulement de prendre en compte l'individu et ses caractéristiques psychologiques mais surtout la situation dans laquelle il se trouve à un moment donné en tant qu'acteur social c'est-à-dire être agissant. Le problème par rapport à une telle perspective, c'est qu'elle ne nous renvoie pas empiriquement aux facteurs criminogènes ou à des facteurs qui seraient criminogènes à un moment donné dans cette interrelation où se trouve le sujet. La perspective ne nous dit pas concrètement comment s'opère le passage à l'acte chez les sujets dans cette situation de non-communication sociale.

Du point de vue de l'intervention, Debuyst propose comme règle (1992, 58) la connaissance préalable de la situation avant toute prise de décision. Il s'agit en d'autres termes de connaître les caractéristiques d'un sujet réagissant, à travers et au-delà de l'acte commis, à une situation d'ensemble qui lui est faite et qu'il envisage nécessairement par rapport à d'autres paramètres plus difficiles à exprimer (op. cit.). L'Intervention suppose également une responsabilisation du jeune, responsabilisation postérieure à l'expérience d'équité parce que la situation de l'un et l'autre (auteur et victime) est pris en compte et que le droit à la parole n'a pas été dénaturé par des a priori de départ (P. 69). Ceci signifie que le sujet (délinquant) doit pouvoir participer à la manière de définir la situation qui le concerne. Ce qui n'est possible que lorsque son point de vue est pris en compte et qu'est prise en compte également la responsabilité des autres acteurs éventuels. Dans cette mesure, l'expérience de médiation paraît nécessaire (P. 70). C'est en définitive dans cette perspective qu'il convient de créer dans le cadre institutionnel pour jeunes délinquants une «communauté juste» (P. 71).

Cette perspective essentiellement clinique suggère donc de pendre en compte les points de vue des différents protagonistes dans le cadre d'une intervention criminologique, démarche paraissant pertinente par la prévention de la récidive mais reste limitée quant à la prévention sociale.