2 - MODELE DE BAYONNE

Les études de A.M. Favard portent sur la validation et la validité de la théorie du noyau central de la personnalité criminelle de Pinatel (1991a, 1991b). Du point de vue de la validation externe de la théorie de Pinatel, les études dégagent trois principaux facteurs orthogonaux de la délinquance juvénile : le facteur 1, le plus lourd désigne la délinquance persistante grave et la délinquance violente comme types de délinquance non-assimilable aux autres types. Le facteur 2, qui identifie la délinquance liée à la pathologie mentale (cas psychiatrique), ainsi que les cas sociaux opposés très nettement à la délinquance juvénile. Le facteur 3 qui identifie la délinquance petite et moyenne opposée à la délinquance persistante grave. Ce qui signifie par analyse factorielle qu'il existe une spécificité de la délinquance persistante grave par rapport à la délinquance petite et moyenne ainsi qu'à l'inadaptation (Favard, 1991a, 118). Ces premiers résultats conduisent à élaborer une combinatoire étiologique différentielle à partir de la formule élémentaire de Lewin selon laquelle la conduite est le produit d'une personnalité en situation : pour la délinquance persistante grave, ce sont les variables de personnalité qui sont les plus lourdes ; pour la délinquance petite et moyenne, ce sont les variables de situation immédiate ; enfin pour l'inadaptation, ce sont les variables de milieu de vie (P. 119).

Du point de vue de la validation interne, les études ont réalisé une triple opérationnalisation du modèle de noyau central : - pour la caractérisation clinique empirique des praticiens et par analyse factorielle, on obtient une représentation unidimensionnelle des quatre traits sur un même continuum, avec une prépondérance de l'indifférence affective et un faible poids de l'égocentrisme. - Pour la caractérisation selon les scores classiques du Rorschach, la structure observée est celle d'un noyau à deux dimensions et à quatre traits : dimension de l'égocentrisme et de la labilité et dimension de l'agressivité et de l'indifférence affective. - Pour la caractérisation selon les scores définis par l'analyse factorielle des protocoles de Rorschach, on obtient une structure bidimensionnelle du noyau à trois traits de personnalité, «socialisation banale» et «violence» sur une dimension, «absence d'inhibition» sur l'autre dimension (P. 122).

Au niveau de la capacité diagnostique différentielle, les études révèlent que la caractérisation clinique empirique a une capacité diagnostique plus grande de la délinquance persistante grave ; les indices classiques du Rorschach ont une capacité diagnostique plus grande de la délinquance moyenne et petite et les nouveaux indices Rorschach ont une capacité diagnostique à la fois de la délinquance persistante grave et de la délinquance moyenne (P. 122).

Du point de vue de la capacité pronostique différentielle, les études montrent que l'utilisation conjointe des trois opérationnalisations serait propre à augmenter la validité prédictive (P. 124). Dans ce sens, la présence cumulée des traits peut constituer une indication du risque de devenir délinquant (P. 125). Mais il convient aussi de tenir compte de l'effet qualitatif lié à la nature des traits associés et de l'importance de la pondération de chaque trait (P. 126). Partant de ces précisions, l'amélioration de la prédiction du cas individuel pourrait être réalisée par la prise en compte non seulement des caractéristiques personnelles du sujet, mais également par celle des caractéristiques du système de réaction sociale, ainsi que par celle des effets de reproduction intergénérationnelle (P. 128).

En ce qui concerne l'intervention, Favard et al. suggèrent une intervention différentielle (1991a, 120) à trois nivaux : - dans les cas de délinquance grave et persistante, c'est prioritairement sur les caractéristiques de personnalité qu'il convient de jouer; - dans les cas de délinquance moyenne et petite, c'est au contraire sur les conditions situationnelles immédiates ayant présidé à l'apparition du passage à l'acte qu'il conviendra d'intervenir prioritairement, conformément aux stratégies de prévention situationnelle, c'est-à-dire de modification du contexte situationnel pour éviter le passage à l'acte. Dans les cas d'inadaptation, il convient de travailler prioritairement le contexte de milieu de vie puisqu'il apparaît plus prégnant que la personnalité ou la situation immédiate (op. cit.).

Au regard de ce qui précède, il faut noter que les études de Bayonne auxquelles nous nous sommes référées ont permis d'obtenir une autre grille de lecture des traits de la personnalité criminelle à travers les différentes opérationnalisations. Cependant, ces études ne situent pas la formation de ces traits par rapport à un ordre social donné. Le concept de reproduction de l'inadaptation ne nous aide pas à éclairer la question dans la mesure où nous ignorons les conditions d'émergence de l'inadaptation. Par ailleurs, la stratégie d'intervention semble sous-estimer la place de la délinquance occasionnelle à moins que celle-ci ne soit confondue soit avec l'inadaptation, soit avec la délinquance moyenne et petite, ce qui paraîtrait à notre avis injuste et injustifiée, surtout lorsque nous nous en tenons à l'opérationnalisation du terme "petite délinquance" par les auteurs. En effet, celle-ci référerait aux délits découverts pour lesquels une plainte a été déposée et qui sont les cambriolages, les vols à la roulotte (Favard et Ottenhof, 1991, Favard et Castaignède, 1991).