5 - MODELE DU COMPORTEMENT SOCIAL DIFFERENTIEL

Depuis sa thèse d'Etat sur la criminalité des femmes dans une approche différentielle, thèse soutenue en 1985 à l'Université de Pau et des Pays de l'Adour, Cario a progressivement élaboré un modèle théorique d'explication de la criminalité des femmes (Cario, 1989, 1991a, 1991b) appliqué récemment aux jeunes délinquants (1996a). Ce modèle, celui du comportement social différentiel se veut intégratif car se situant à l'intersection de la criminologie clinique et de la criminologie sociologique (Cario, 1996b). Ce modèle par ailleurs s'inspire des travaux du biologue Laborit sur la neurophysiologie comportementale en matière d'agressivité. Selon Cario (1996a, 126), «analyser le crime (au sens criminologique du terme) comme un comportement social différentiel conduit à démontrer que les individus qui passent réellement à l'acte criminel (et le répètent généralement) sont dotés d'une structure de personnalité spécifique façonnée au sein de la socio-culture». Un peu plus loin, l'auteur note que les jeunes délinquants ont souffert de «carences affectives, éducatives et scolaires» et donc ont été très tôt confrontés à de multiples conflits (Cario, 1996a, 127). La permanence et l'ampleur de ces carences ont pour particularité de construire un noyau central de la personnalité criminelle dont les traits sont : égocentrisme, labilité, indifférence affective, agressivité ; égocentrisme parce que les jeunes très tôt n'ont compté que sur eux-mêmes, que leur rencontre avec l'Autre a été traumatisante ; labilité car rien n'a permis chez eux une stabilité et que tout est «galère», tout a été vécu sous le mode de «l'immédiateté», du «présentisme», du «concret», indifférence affective parce que n'ayant jamais connu ou perçu l'affection, la tendresse, l'amour ; agressivité car le déroulement et le contenu des apprentissages, la gestion des émotions et la résolution des conflits a été toujours appréhendés sous le mode de la violence (Cario, 1996a, 128-129).

Il apparaît donc que la délinquance des jeunes peut s'expliquer par la défaillance de l'apprentissage et des traits psychologiques spécifiques au délinquant. Cependant, l'auteur insiste sur le fait que les jeunes défavorisés sont plus délinquants que les jeunes favorisés parce que leur socialisation, c'est-à-dire leur vécu socio-culturel ne leur a pas permis «d'engrammer suffisamment d'informations pour agir, en toutes circonstances, positivement sur leur environnement par des voies socialement adéquates» (Cario, 1996a, 129). Ils sont encore plus nombreux parce que n'ayant pas la possibilité d'exercer des actions efficaces sur leur environnement, ne fixant pas les règles du jeu communautaire et ne bénéficiant pas en cas d'infractions d'une relative indulgence (Cario, 1996a, 130).

Il apparaît à partir de ce qui précède que le modèle de Cario constitue une contribution remarquable à la compréhension de la délinquance juvénile car intègre dans l'analyse du cas individuel «toutes les circonstances qui ont favorisé le passage à l'acte, l'élaboration idéologique de la norme à la sanction de la transgression de celle-ci, les stades et vécus intermédiaires [...]. Les moyens [...] pour atteindre les buts fixés par la socio-culture dominante et les interactions institutionnelles et structurelles initiées par la société dans laquelle il évoluait» (Cario, 1996a, 132).

Au plan de l'intervention, le modèle recommande le renforcement de la spécificité du traitement pénal du mineur : détermination du cadre global de la justice pénale (détermination du bien commun, de la responsabilité de l'auteur de la transgression et d'un système de justice pénale démocratique). Elaboration de principes spécifiques à la justice pénale des mineurs (spécialisation des intervenants ; continuité de la prise en charge ; souplesse de l'intervention) ; seuils d'âge conformes aux données de la psychologie de l'enfant, de l'adolescent et du jeune adulte ; extension du système de protection des mineurs en spécialisation ; évolution du contenu des décisions (Cario, 1996a, 133-166).

Si le modèle de Cario est une contribution certaine, il paraît trop globalisé, s'appuie trop sur les rapports dominants/dominés et l'intervention est trop judiciaire mettant au rebut les aspects psycho-sociaux et les différents niveaux des interventions. En effet, le rôle des dysfonctionnements familiaux, des pairs, de l'école et de certaines institutions n'est pas clairement articulé, de même que les stades de développement de la délinquance dans leurs rapports avec ces facteurs et la prévention. Pour ce faire, il convient de recourir au modèle multidimensionnel de Montréal.