II - RECHERCHE DES FACTEURS EXPLICATIFS

Les travaux les plus récents dans l'explication de l'adolescence délinquante accordent de plus en plus une place prépondérante à l'environnement familial en milieu africain d'une manière générale et en milieu Ivoirien de manière plus spécifique. Ces travaux se sont orientés successivement vers le discours parental sans repère socio-moral (Koudou, O., 1989), les pratiques éducatives tant au niveau scolaire que familial dans leurs rapports avec l'estime de soi et le développement moral (Koudou K., 1990, 1996), mais les pratiques éducatives parentales dans leurs rapports avec la formation de l'identité négative chez l'adolescent (Koudou O., 1993a) avec un accent particulier sur les paroles dévalorisantes et stigmatisantes des parents (Koudou O., 1993b, 1997d). Ainsi l'environnement familial dans ses dysfonctionnements internes constituerait un instrument d'analyse explicative de la délinquance en termes de représentation familiale (Koudou O., 1994b), d'inversion de l'autorité parentale (Koudou O., 1994c), de familles dissociées "secondaires" (Koudou O., 1994d), d'événements de vie familiale (Koudou O., 1996d), de familles pathogènes (Koudou O., 1996c), de rejets familiaux (Koudou O., 1996d) et de dysfonctionnements familiaux (Koudou O., 1997a, 1997b).

Ces travaux vont dans le sens des études accordant un certain intérêt aux pratiques éducatives dans leurs rapports avec le raisonnement intellectuel de l'adolescent (Tapé, 1994) et aux démissions ou incapacités éducatives (Dedi, Tapé, 1995, 72), remettant ainsi en question les conclusions des modèles précédents qui mettent l'accent sur le rôle du père, de la mère ou de la désorganisation familiale.

Ainsi, l'étude du comportement délinquant de l'adolescent en milieu africain ne saurait mettre au rebut l'environnement familial considéré alors comme un facteur socio-criminogène rapproché (ou micro-criminologique) facteur qui soutiendrait alors les facteurs socio-criminogènes lointains (précarités socio-économiques, démographie familiale, urbanisation, structuration familiale etc.) évoqués en sociologie criminelle. Mais en considérant que le dysfonctionnement familial est important, quelle peut être la place des pairs marginaux, de l'école et des adultes conformistes ou non dans le développement de la délinquance ?

Des études ont révélé en termes de "phagocytage" et de rejets institutionnels le rôle des pairs et des adultes éducateurs conformistes dans l'enracinement du comportement délinquant (Koudou O., 1994e, 1996b, 1997b) mais aussi le rôle de l'école dans l'émergence de la délinquance en termes de scolarisation différentielle (Koudou O., 1992) et d'exclusions scolaires (Koudou O., 1993c). Ainsi si le milieu familial constitue la clef de voûte de l'explication du comportement délinquant de l'adolescent, il faudrait également tenir compte des autres agents de socialisation ou de resocialisation comme les pairs, l'école et les interactions dans les institutions d'observation ou de rééducation, agents qui avec la famille représentent des facteurs criminogènes rapprochés mais intervenant à des stades différents du développement de la délinquance. Dans la recherche d'un autre modèle quelle peut être la place des facteurs psychologiques ?

Les travaux de Koudou K. sur l'estime de soi (1990, 1996), de Koudou O. sur l'identité négative (1993a, 1993b, 1997d), les besoins inconscients (1994e, 1994d), le syndrome d'inadaptation psychosociale (1997f) ainsi que ceux de Tiedi (1996), d'Oliviera (1995) et de Kassi (1997) mettent l'accent dans une perspective interactive sur le profil psychologique des adolescents délinquants. Il paraît donc difficile d'évaluer la délinquance des adolescents sans recours aux facteurs psychologiques. Mais ceux-ci doivent-ils être considérés comme des données statiques, c'est-à-dire des données innées comme l'ont montré la plupart des travaux intégratifs ? Ne sont-ils pas des construits de l'environnement (familial, scolaire, social...) ? Ce construit s'élaborerait-il sans la "participation" du sujet ? Ce sujet n'est-il pas l'organisateur principal conscient ou inconscient de la personnalité en conférant une signification au milieu, celui-ci devenant ainsi un milieu pensé, significatif et vécu par un sujet (Koudou O., 1997f) ? Si la personnalité en termes dynamiques peut être observée dans différents domaines pathologiques, ne pouvons-nous pas parler avec Héraut (1991) de personnalité à risque délinquant ?

Il semble que ce construit psychologique pourrait expliquer pourquoi dans une même situation dite criminogène, les adolescents adoptent des styles de vie différents, des itinéraires de vie différents. Le traitement de l'information en provenance d'un milieu considéré comme criminogène devient alors un traitement différentiel.

Cependant si la personnalité est une construction du sujet organisateur et transcende donc le milieu apparemment criminogène, comment s'opère le passage à l'acte délinquant ? En d'autres termes qu'est-ce qui a pu déclencher le comportement délinquant, aspect mis au rebut dans les modèles précédents tout comme ont été mis au rebut les dysfonctionnements familial et social rapprochés, la personnalité comme construit de ces dysfonctionnements se transformant ainsi en personnalité à risque délinquant ?

La «permissivité» des milieux en termes de sollicitations externes mais aussi les besoins ressentis et le faible contrôle interne et externe ne peuvent-ils pas contribuer au déclenchement du comportement délinquant dans une sorte d'interaction entre les dysfonctionnements familial et social rapprochés, la personnalité à risque délinquant et les déclencheurs à la fois internes et externes ?

Ceci signifie que les déclencheurs ne peuvent être déclencheurs que par rapport au sujet organisateur.

Il est donc possible de penser à trois groupes de facteurs (dysfonctionnements familial et social rapprochés ; personnalité à risque délinquant ; déclencheurs) dans l'explication et la compréhension du comportement délinquant de l'adolescent. Mais comment ces facteurs interviennent-ils dans le développement de la délinquance surtout lorsque cette délinquance est soit persistante (récidiviste) soit primaire (occasionnelle ?) selon les données enregistrées par les statistiques policières et auxquelles nous avons fait allusion ? Si nous devrions admettre l'existence des paliers ou stades (primaire, récidivisme) dans le développement de la délinquance, ne pouvons-nous pas admettre également l'existence de paliers quant aux facteurs criminogènes rapprochés ? C'est-à-dire que à chaque stade de la délinquance correspondraient des facteurs criminogènes ?

Par ailleurs, s'il existe des stades de développement de la délinquance liés plus ou moins aux trois types de facteurs criminogènes, ne pouvons-nous pas envisager l'existence de ceux-ci en même temps que la délinquance se développe nous conduisant ainsi à un schéma explicatif qui serait à la fois hiérarchique, interactionniste et discriminatif autour du sujet organisateur ?

Hiérarchique parce que nous renvoyant à des niveaux différents, du moins prononcé au plus prononcé ;

Interactionniste parce que les facteurs n'agissent pas isolément ;

Discriminatif parce que l'impact serait différent en passant d'un stade à un autre.

S'il est possible d'identifier les stades, les facteurs de développement de la délinquance et les types de comportements délinquants, n'est-il pas possible de proposer des méthodes d'intervention et précisément de prévention et qui seraient articulées autour des trois pôles (comportements, types et facteurs) ?

Ne pouvons-nous pas à partir de ces différentes considérations envisager un modèle d'étude de la délinquance qui serait à la fois hiérarchique, interactionniste, discriminatif autour du sujet organisateur (Hidso) ? Ce modèle ne nous aiderait-il pas à mieux comprendre la délinquance chez l'adolescent Ivoirien ? mais aussi à mieux prévenir celle-ci ?

Ces interrogations révèlent les limites fondamentales des trois grands modèles d'étude de la délinquance chez l'adolescent et nous conduisent à formuler la question principale autour de laquelle se structure cette étude :

Le développement du comportement délinquant de l'adolescent en stades hiérarchiques selon leur degré de gravité n'est-il pas fonction de l'interaction entre les dysfonctionnements familial et social rapprochés, la personnalité à risque délinquant et les déclencheurs, eux-mêmes hiérarchisés en facteurs primaires, secondaires et tertiaires selon leur degré de persistance, conduisant ainsi d'une part à l'établissement d'un rapport entre chaque grand groupe de facteurs à une échelle donnée et chaque stade de la délinquance et d'autre part à l'élaboration d'une typologie en trois comportements délinquants, pouvant être l'objet d'une intervention préventive, le tout susceptible d'être organisé en modèle d'étude ?

Cette interrogation principale et celles qui l'ont précédée auxquelles nous avons tenté de donner quelques réponses dans la recherche d'un modèle d'étude de la délinquance chez l'adolescent nous conduisent à formuler les hypothèses suivantes :