5 - FACTEURS CRIMINOGENES PRIMAIRES ET EMERGENCE DE LA DELINQUANCE : BILAN ET OPERATIONNALISATION DU PASSAGE A L'ACTE

L'étude des facteurs criminogènes primaires dans l'émergence du comportement délinquant chez l'adolescent (de justice/non de justice) a permis de dégager trois groupes de facteurs rapprochés : Dysfonctionnements familial et social rapprochés primaires, personnalité à risque délinquant primaire et déclencheurs primaires. Chaque groupe de facteurs comporte des sous-groupes de facteurs. Il est possible alors d'opérer une discrimination de ces facteurs mais également une hiérarchisation.

Par rapport à la discrimination et à la hiérarchisation, les dysfonctionnements familial et social rapprochés primaires constituent les milieux de prédisposition des comportements délinquants, donc des milieux de vulnérabilité socio-familiale. Enfin ils constituent un ensemble d'interactions négatives rapprochées et continues entre l'adolescent et l'environnement familial en dysfonctionnement ; les indicateurs fondamentaux de ce dysfonctionnement ont été décrits : séparation précoce parents-enfants ; mobilité familiale, variété des agents éducateurs et abandons des enfants ; dévalorisation parentale, relations intrafamiliales conflictuelles (contradictions parentales, inversion de l'autorité familiale, rejet parental et carences des repères socio-moraux), exclusions scolaires primaires. Ces facteurs existant à des degrés divers chez les adolescents sont du point de vue de la hiérarchisation plus déterminants que les facteurs de la structuration familiale brute qui n'ont véritablement leur sens que par rapport à ceux du dysfonctionnement familial même si ces deux sous-groupes de facteurs socio-criminogènes entretiennent entre eux d'étroites relations ; car le dysfonctionnement familial se retrouve dans toute structure familiale brute. Mais toute structure familiale brute (composition de la famille, milieux d'habitat et types de logement, professions parentales) ne constitue pas d'emblée un facteur criminogène. Elle le devient lorsqu'elle dysfonctionne c'est-à-dire lorsqu'elle n'est plus un repère socio-moral et affectif solide pour l'enfant. Dans cette perspective, les dysfonctionnements familial et social rapprochés primaires pourraient être des prédicteurs déterminants de l'émergence des comportements délinquants chez les adolescents. (Leblanc, 1996a, Leblanc et al., 1997 ; LEMAY, 1996 ; FLAVIGNY, 1996a, 1996b, 1996c). Cependant, ils ne suffisent pas pour conduire à cette émergence malgré le cadre continu de vulnérabilité sociale qu'ils créent ; ils leur faut un soutien psychologique et précisément le soutien de la personnalité à risque délinquant primaire.

Cet ensemble de traits psychologiques personnalité à risque délinquant primaire) rend compte d'un manque chez les sujets. Ils sont les facteurs psychologiques et interviennent au niveau de la fragilité ou de la vulnérabilité psychologique. Ils comprennent les sentiments de rejet et d'abandon, la dévalorisation de soi, l'hypertrophie du Moi et l'expansion des besoins de sécurité. Ils ne constituent pas d'emblée des facteurs mais le résultat du processus du dysfonctionnement familial. Ils seront ensuite facteurs en soutenant l'émergence des comportements délinquants. C'est le deuxième moment du processus d'émergence de ces comportements, le premier étant la formation des facteurs du dysfonctionnement familial primaire. En créant le cadre de vulnérabilité psychologique, les traits psychologiques ont un impact important sur l'émergence des comportements délinquants. Cependant, comme les facteurs du dysfonctionnement familial primaire, ils ne conduisent pas tous seuls à l'émergence des comportements délinquants. Il faudrait inclure dans le processus d'émergence, un troisième type de facteurs, les facteurs déclencheurs.

Comme le nom l'indique, les facteurs déclencheurs sont ceux qui extériorisent, qui incitent, qui favorisent l'expression, le déclenchement ou l'émergence des comportements délinquants. Ils constituent le troisième moment du processus d'émergence et comprennent deux sous-groupes : Recherche de la satisfaction des besoins intensément ressentis et sollicitation du milieu social sans contrôle social (formel ou informel) particulier. Ils ne peuvent se résumer à des "opportunités" qu'ils transcendent. Ces observations confirment les propos de Delteil (1995, 148) selon lequel le déclenchement du passage à l'acte est souvent facilité par des incitations venant du milieu environnant lesquels interfèrent avec les stimuli endogènes.

Ces facteurs en permettant la réalisation concrète des comportements délinquants sont aussi importants que les deux précédents types et comme eux, sont des prédicteurs de l'émergence de ces comportements. Leur étude nous permet de définir des opérations fondamentales du processus d'émergence de la délinquance chez les adolescents.

Les opérations fondamentales du processus d'émergence des comportements délinquants chez les adolescents au regard des facteurs criminogènes primaires rapprochés sont de 4 ordres au cours de la latence : 1. Relations continues et négatives avec l'environnement familial primaire ; 2. Formation et développement de la personnalité à risque délinquant primaire ; 3. Besoins ressentis, objets de délits et faiblesse du contrôle social ; 4. Emergence du comportement délinquant sous l'effet conjugué des trois types d'éléments mentionnés. Ceci signifie, que l'une des caractéristiques des facteurs est qu'ils interagissent les uns sur les autres. Cependant, pour que réellement le passage à l'acte puisse s'opérer, il faut du point de vue de la hiérarchisation, reconnaître la prédominance des facteurs psychologiques et du sujet organisateur. En effet, l'environnement familial n'a eu de sens que par rapport à la signification que le sujet lui a conféré elle-même liée à un état psychologique ; c'est par rapport à cette auto-organisation que progressivement s'est constituée la personnalité à risque délinquant primaire. Même l'environnement sollicitateur n'a de valeur que par rapport au sens que le sujet lui confère. Il y a donc prééminence du sujet sur les facteurs, celui-ci se présentant comme un acteur social (Debuyst, 1992 ; Koudou O., 1997e).

Par rapport à ce qui précède, le processus d'émergence de la délinquance au cours de l'enfance médiane suppose l'interaction des facteurs criminogènes primaires donc les effets conjugués de ceux-ci. Chaque groupe de facteurs ne peut suffire pour conduire à l'émergence de la délinquance laquelle est fortement dépendante de chacun de ces groupes (dépendance fonctionnelle ou absolue). Ainsi, la variable) à prévoir ou à expliquer (ici l'émergence de la délinquance) est liée étroitement à trois prédicteurs ou variables explicatives : les Dysfonctionnements familial et social rapprochés primaires la personnalité à risque délinquant primaire et les déclencheurs primaires. Il est possible à partir de cet instant de proposer un schéma de l'émergence des comportements délinquants.

Schéma général
Schéma général1 de l'émergence du comportement délinquant

Ce schéma proposé de l'émergence des comportements délinquants montre les enchaînements entre les trois types de facteurs par ailleurs en interaction à l'enfance médiane. Ces facteurs à ce stade d'émergence sont spécifiques mais différents de ceux décrits par Lœber et Leblanc même si les grandes configurations (famille, personnalité, opportunités) se trouvent dans notre schéma (1990, 1997). Nous pouvons nous demander à présent si les comportements délinquants après émergence, ont cessé, désisté ou ont continué et quels peuvent être les facteurs de telles allures ?