5. Fiction contre manipulation

Le seul moyen de rester libre est d'échapper à cette communication standardisée où la parole singulière est couverte. Comme le fait remarquer Valère Novarina 39 , seule la parole individuelle permet de connaître l'altérité :

‘(…) nous finirons un jour muets à force de communiquer ; nous deviendrons enfin égaux aux animaux, car les animaux n'ont jamais parlé mais toujours communiqué très-très bien. Il n'y a que le mystère de parler qui nous séparait d'eux. A la fin, nous deviendrons des animaux : dressés par les images, hébétés par l'échange de tout, redevenus des mangeurs du monde et une matière pour la mort. La fin de l'histoire est sans parole. (Valère Novarina, Devant la parole, p.13) ’

Les abeilles, les fourmis communiquent très bien : est-ce le modèle de société efficace dont rêvent les hommes ? Penser cela, c'est croire que les êtres sont indifférents les uns aux autres, remplaçables ; or, il nous semble que si la mort d'un être nous apparaît toujours comme un scandale, c'est que chaque être qui meurt emporte avec lui une partie de l'univers, une parole singulière, différente d'une parole de communication.

La fiction singulière peut-elle mourir, noyée dans trop de fictions standardisées, homogénéisées ? Si l'on pense que c'est un risque, alors il faut prendre la responsabilité de lire et de faire connaître des histoires qui échappent aux standards culturels. Une histoire n'est jamais morte : tant qu'il y aura des lecteurs, elle peut être ressuscitée. Comme le rappelle Gao Xingjian 40 , ‘«’ ‘la littérature, en tant qu'activité humaine, ne peut faire l'économie de deux actes : lire et écrire, qui sont deux gestes librement consentis.’ ‘»’ ‘’Ainsi, la fiction littéraire apparaît-elle comme un moyen de résister à la modélisation des consciences car elle suppose un geste individualiste, une parole singulière. La fiction est donc ambivalente puisqu'elle permet de manipuler les consciences ou de résister à la manipulation. Il est donc de la responsabilité de l'écrivain de se situer par rapport à l'idéologie. Par ailleurs, la responsabilité du lecteur est égale à celle de l'écrivain : l'un et l'autre n'en finissent pas de témoigner de l'altérité.

Notes
39.

Valère Novarina, Devant la parole, p.13

40.

Gao Xingjian, La raison d'être de la littérature, p.18