1.2. Babel

Si la pluralité des langues a toujours été perçue comme une imperfection et une entrave à la communication universelle, on peut penser que cette pluralité est, paradoxalement, une chance pour les individus, obligés de s'interroger sur leur engagement par rapport au langage.

Le mythe de Babel raconte l'origine de la pluralité des langues comme un châtiment divin et le terme de ‘«’ ‘confusion’» traduit le discrédit qui pèse sur les langues. Cependant, cette confusion même fait partie de l'héritage adamique et il revient à chacun d'endosser ‘«’ ‘le défaut des langues’», lequel est, paradoxalement, une chance pour les individus, obligés de s'interroger sur leur engagement par rapport au langage. 62 A l'heure où l'on construit le mélange des cultures, il peut être bon de réévaluer cet héritage. Ainsi, Méditation sur la Tour de Babel de Bernard Fort, cantate construite à partir de deux textes de la Bible -le chapitre 11 de la Genèse et le chapitre 2 des Actes des Apôtres- propose-t-elle une réévaluation positive du mythe de Babel. Ces textes sont proférés simultanément en douze langues, par six voix de femmes et six voix d'hommes : chaque section musicale est construite sur un accord de septième, la boucle se terminant lorsque la progression chromatique accomplit la gamme. La structure de la cantate forme une ‘«’ ‘boucle étrange’ ‘»’ ‘ 63 ’ ‘’construite à partir du système des tonalités. Ce que suggère cette polyphonie vocale, c'est la réévaluation positive de la pluralité linguistique : l'harmonie résulte de la combinaison des voix. A l'origine donc, il y aurait une pluralité fertile qui permet, par structuration, combinaison, l'harmonie : telle serait en fait la réponse des créateurs (parmi lesquels les poètes) à l'imperfection des langues. Le monde est divers, confus, opaque ; mais c'est ce qui permet une dynamique du monde. Ce qu'Albert Camus résume en une formule percutante :

‘Si le monde était clair, l'art ne serait pas. (Albert Camus, Le mythe de Sisyphe,, p. 135 ) ’

Notes
62.

Mallarmé, Crise de vers, p.30

63.

Douglas Hofstadter, op. cit., passim