Milan Kundera

Dans L'art du roman, Milan Kundera raconte l'histoire d'un ingénieur praguois qui, de retour de Londres où il était invité à un colloque, découvre dans la presse officielle du Parti l'annonce de son passage à l'ouest. Après avoir vainement tenté d'obtenir un démenti officiel, il constate qu'il est étroitement surveillé au point de ‘«’ ‘quitter illégalement le pays. Il est devenu ainsi un émigré pour de bon.’ ‘»’ ‘’(p.126) Ainsi, arbitrairement, est créé du signifié par torsion des signifiants : ‘«’ ‘émigration clandestine et illégale’» supplante «voyage scientifique et officiel». La force des mots est telle que l'ingénieur devient l'émigré déclaré. Le projet politique consiste à intervenir sur les mots pour intervenir sur la vie des personnes. C'est dans une telle logique que l'on peut comprendre les actes d'auto-accusation dans certains procès : à partir du moment où l'individu est déclaré coupable, il cherche la faute, quitte à la créer. Et cela n'est pas propre aux régimes totalitaires. En ce même essai, Milan Kundera donne l'exemple d'une femme qui, ayant su résister à la pression des procès staliniens parvient à exercer une pression telle sur son fils qu'il endosse la faute dont sa mère l'accuse :

‘Ce que le Parti n'a jamais réussi à faire avec la mère, la mère a réussi à le faire avec son fils. Elle l'a contraint à s'identifier avec l'accusation absurde, à aller «chercher sa faute», à faire un aveu public. J'ai regardé, stupéfait, cette scène d'un mini-procès stalinien, et j'ai compris d'emblée que les mécanismes psychologiques qui fonctionnent à l'intérieur des grands événements historiques (apparemment incroyables et inhumains) sont les mêmes que ceux qui régissent les situations intimes (tout à fait banales et pas très humaines). (Milan Kundera, L'art du roman, p. 136 - 137)’

Ce que montrent ces écrivains, c'est que la manipulation de la langue est un moyen de manipuler les individus. Modeler la langue équivaut à modeler les esprits.