Textualisation du blanc

Comme il est difficile de décider sur la valeur du blanc, des dispositifs peuvent être mis en place pour rendre lisible la trace du blanc sur blanc.

Dans La disparition, Georges Pérec montre le travail de disparition sur la première de couverture qui appartient au péritexte éditorial. 173 Le dispositif mis en scène sur la première de couverture est une annonce du dispositif qui structure l'œuvre à lire. Les indications graphiques, sémantiques induisent des pistes de lecture, un système de référence, d'ancrage pour l'ensemble du texte. Par le procédé de redoublement, la première page de couverture offre des pistes de lecture qui seront confirmées par l'ensemble du texte. Les signes mis en première de couverture sont constitutifs de l'ensemble du texte ; ce sont des jalons sémantiques dans un parcours de lecture. Son interprétation participe de l'activité de lecture. Le choix d'une organisation des signes sur la première de couverture rend possibles des déchiffrements qui se répètent dans l'ensemble du texte. Cela rejoint le fait que matériellement toutes les pages se suivent, chacune différente et reprenant pourtant le fil de la page précédente, par duplication.

Utilisant les ressources de la typographie, Georges Pérec inscrit, dans l'édition Gallimard, le titre de son roman La disparitionen lettres blanches gaufrées sur fond blanc. De cette façon, la trace du titre tend à disparaître dans le blanc de la page. Par la technique du gaufrage qui consiste à créer en relief un motif, en l'occurrence, des lettres, par impression en creux, la surface de la page devient profondeur : la trace invite à creuser la page pour voir ce qu'il y a sous la trace. Ce qui se voit dans le blanc de la page, c'est le geste d'effacement, de creusement, qui a eu lieu. Ce qui s'affirme là, c'est le nécessaire repli du visuel. Le blanc sur blanc renvoie au vide, au silence, à l'immatériel car l'œuvre ne se réduit pas à son artefact, elle est cosa mentale, invisible.

Ce cheminement vers les limites de la visibilité de l'œuvre permet de comprendre le fonctionnement de l'art. En effet, si l'œuvre n'est plus perceptible, il est nécessaire de la signaler : par un nom, un emplacement ‑musée, édition-, un commentaire autorisé. Ce qui se construit dans l'effacement de l'œuvre, c'est l'indispensable signature, c'est-à-dire la promotion de l'artiste. Sylvain Auroux 174 explique que de telles œuvres justifient leur statut par leur position historique. En conséquence, il est nécessaire d'avoir une connaissance de l'histoire de l'art pour comprendre leur statut :

‘Qui ignore l'histoire de l'art ignore la valeur de ce moment et ne pourra reconnaître dans ces objets une œuvre d'art. C'est leur appartenance à l'histoire de l'art qui les fait appartenir au domaine de l'art et nullement des caractéristiques intrinsèques qu'ils n'ont pas. (Sylvain Auroux, Barbarie et philosophie, p.91)’

La question de la matérialité des objets est ainsi posée par ces œuvres : si le blanc du texte est du texte, est-il possible de concevoir une oeuvre littéraire matérialisée uniquement par des feuillets blancs ? Ce qui est en question c'est le processus continu de transgresions des frontières de l'admissible car dès qu'on entre dans une logique qui mène à une régression infinie, on essaie de chercher d'autres questions, d'autres manières de poser les questions. Comment distinguer le blanc -trace blanche- du blanc -sur fond blanc- si ce n'est en sortant du texte, en marge du texte ?

Notes
173.

La notion de péritexte éditorial a été définie par Gérard Genette dans Seuils.

174.

Sylvain Auroux, Barbarie et philosophie, p.91