Dans Sphinx 311 , Anne Garreta se fixe comme contrainte de ne pas dévoiler le sexe des deux personnages principaux. En conséquence, les pronoms personnels -il (s) ou elle (s)- et les participes passés employés avec être sont supprimés, seuls les adjectifs qualificatifs épicènes sont utilisés. 312 La contrainte a du sens dans la mesure où elle renvoie à l'indétermination sexuelle du Sphinx : dans la mythologie égyptienne, le monstre est masculin ; dans la mythologie grecque, il est féminin. Le titre du roman renonce à toute détermination afin de maintenir l'ambiguïté sexuelle. On peut penser que la contrainte choisie par Anne Garréta oblige chacun à reconsidérer sa façon d'aborder la relation à l'autre. La distinction sexuelle est aujourd'hui problématique : en effet, l'homosexualité, la transexualité sont autant de manières de problématiser la frontière des sexes.
Le lecteur de ce roman, habitué à caractériser les personnages, va très vite se trouver dans l'impossibilité de dresser la fiche d'identité des deux personnages principaux. Cette difficulté de lecture va l'amener à cibler son attention sur les procédés de désignation et de caractérisation et va par conséquent pouvoir énoncer la contrainte d'écriture suivie par Anne Garréta. Dans ce roman, le choix de la contrainte est déterminé par la problématique du roman centrée sur la distinction sexuelle. Le lecteur, confronté à l'indistinction sexuelle, est amené à s'interroger sur le partage des sexes.
Anne Garreta, Sphinx
Ce roman est un bon support d'apprentissage pour une réflexion sur le fonctionnement de la langue. Lors d'un stage de formation concernant les professeurs d'école, nous avons constaté que le passage suivant offrait une difficulté de lecture : «Mon désoeuvrement, cette sorte d'abandon au cours d'un monde dont je ne régis ni les explosions de délire ni les naufrages d'abattement, m'a toujours laissé toute liberté pour les égarements, les excursions les plus incongrues.» (p.11) Selon une stagiaire, la forme «laissé» impliquait que le narrateur était un homme : cette erreur était due à la fonction de «m'«. A partir du texte, nous avons réfléchi sur la notion de genre.