4. Focalisation sur l'intertexte

Les pratiques réflexives de la fiction montrent qu'un texte s'élabore toujours à partir d'un autre texte. En quelque sorte, tout écrit est un palimpseste. Nous allons essayer de montrer que cette pratique d'écriture révèle le lien indissociable entre l'acte de lire et l'acte d'écrire et situe tout écrit dans une culture donnée : l'espace dans lequel s'élabore un texte est un espace marqué par les livres antérieurs.

Lorsqu' Umberto Eco est invité à prononcer une conférence ‘«’ ‘pour célébrer le 25ème anniversaire de la Bibliothèque Communale de Milan dans la Palais Sormani’ ‘»’ ‘ 319 ’ ‘’il juge bon de citer Jorge Luis Borges :

‘Je crois que dans un lieu aussi vénérable il convient de commencer, comme pour une cérémonie religieuse, par la lecture du Livre. Non point pour en tirer des informations, car quand on lit un livre sacré tout le monde sait déjà ce que dit le livre mais pour mettre notre esprit dans de bonnes dispositions comme le feraient les litanies. (Umberto Eco, De Bibliotheca, p.11)’

Il est remarquable qu'Umberto Eco s'appuie sur un modèle fictif de bibliothèque pour élaborer un modèle de non-bibliothèque qui devrait servir de contre-modèle à une bibliothèque idéale. Si l'écrivain puise dans Fictions son modèle, c'est parce que Jorge Luis Borges établit une équivalence entre la bibliothèque de Babel et l'univers. 320

Comment alors voyager dans cet espace illimité ? Julia Kristeva fait remarquer 321 que tout texte littéraire ‘«’ ‘s'insère dans l'ensemble des textes : il est une écriture-réplique (…) d'un autre (des autres) texte (s). Par sa manière d'écrire en lisant le corpus littéraire antérieur ou synchronique l'auteur vit dans l'histoire, et la société s'écrit dans le texte. (…) le langage poétique est un dialogue de deux discours.’ ‘»’ ‘’C'est elle qui est à l'origine de la notion d'intertextualité en affirmant que ‘«’ ‘tout texte se construit comme une mosaïque de citations (…) absorption et transformation d'un autre texte’ ‘»’ ‘.’ ‘ 322 ’ ‘’

Gérard Genette explore dans Seuils les différentes formes d'intertextualité qu'il définit, quant à lui, comme ‘«’ ‘la coprésence entre deux ou plusieurs textes, c'est-à-dire, eidétiquement le plus souvent, par la présence effective d'un texte dans un autre’ ‘»’ ‘.’ ‘ 323 ’ ‘’Par ailleurs, Gérard Genette définit l'hypertextualité comme la ‘«’ ‘relation unissant un texte B (…) à un texte antérieur A (…) sur lequel il se greffe d'une manière qui n'est pas celle du commentaire.’ ‘»’ ‘ 324 ’ ‘’

Nous partons de l'hypothèse que toute écriture est intertextuelle et hypertextuelle, mais nous choisissons de montrer que certains textes, par l'utilisation de dispositifs réflexifs, ouvre des voies à de nouvelles conceptions de la lecture-écriture. Pour cela, nous choisissons un hypotexte 325 mythique, objet de multiples récritures au XXème siècle, soit le mythe de Thésée.

Notes
319.

Umberto Eco, De Bibliotheca

320.

Jorge Luis Borges, La bibliothèque de Babel dans Fictions, p.71

321.

Julia Kristeva, Recherches pour une sémanalyse, p.120

322.

Julia Kristeva, op. cit., p.85

323.

Gérard Genette, Palimpsestes, p.8

324.

Gérard Genette, op.cit. p. 13

325.

Gérard Genette, op. cit. p.13