4.1. Culture internationale

L'horizon scolaire de tout apprentissage est la formation d'un citoyen. Si l'on admet que la Déclaration des Droits de l'Homme est une référence pour toute la communauté humaine, on peut penser que l'institution éducative doit intégrer les valeurs dites universelles dans l'enseignement.

En ce qui concerne l'enseignement de la fiction, l'institution défend deux ambitions contradictoires : il s'agit de transmettre les valeurs qui structurent la nation et les valeurs dites universelles. On fait comme si ces valeurs se recoupaient tout en sachant qu'il n'y a de valeurs universelles que par convention. Il s'agit donc de construire des valeurs tout en sachant que les cultures nationales font écran et qu'il n'y a pas de référent commun à tous les peuples : Babel, c'est encore, et depuis toujours, aujourd'hui. Dans Le droit à l'éducation, Jean Piaget fait remarquer que si ‘«’ ‘la pensée humaine est parvenue à se dégager d'une forme particulière d'égocentrisme, paraissant primitive ou naïve après coup, c'est pour retomber chaque fois dans un égocentrisme plus raffiné, empêchant à nouveau l'objectivité entière.’ ‘»’ ‘ 468 ’ ‘’Comment alors déconstruire ‘«’ ‘l'égocentrisme national, l'égocentrisme de classe, l'égocentrisme racial’ ‘»’ ‘ 469 ’ ‘’pour parvenir à une décentration nécessaire à l'élaboration de valeurs universelles ?

Dans Le Songe ou astronomie lunaire, 470 Johan Képler propose une fiction qui permet d'admettre une théorie scientifique inadmissible à l'époque. Comme le souligne Jean Piaget, 471 ‘«’ ‘la révolution copernicienne peut être considérée comme le symbole le plus éclatant de la victoire des coordinations objectives sur l'égocentrisme spontané de l'être humain.’ ‘»’ ‘’Dans sa fiction, Johan Képler se propose de transmettre un savoir astronomique : la Terre n'est pas le centre du monde. Or, cet énoncé est inadmissible dans les discours scientifiques de l'époque. La fiction propose un déplacement du point de vue de l'observateur pour voir le monde sous un autre angle : le lieu d'origine du discours détermine le savoir et le sujet en est l'origine. Johan Képler construit une hypothèse qui ne peut être vérifiée ; mais cette fiction fonctionne comme un laboratoire expérimental qui permet une déconstruction des savoirs préalables et qui permet de rendre vraisemblables les hypothèses les plus inadmissibles. Le voyage entrepris par le sujet montre qu'il n'y a pas de place fixe dans l'univers et la fiction maintient ensemble toutes les places.

C'est par déplacement de point de vue, par voyage que l'on peut explorer le patrimoine universel ; comme le souligne Eulalia Yagari Gonzalez 472 , ‘«’ ‘tous dans la vie, tous les êtres humains ont le droit de bâtir une société juste, de se solidariser, d'apprendre les uns des autres. Les Noirs se sont eux aussi mis à revendiquer ce qui avait été leur culture, cette culture dominée, cette culture maltraitée, qu'ils ont commencé à maîtriser parce qu'ils ont appris que revendiquer la culture c'est capital. Nous ne pouvons pas craindre la mort parce que la mort n'existe pas. Après la mort, nous continuons parce que nos messages se transmettent et entrent dans les mentalités des générations futures. La mort n'existe pas, on peut mourir, on peut mourir en tant que matière, mais dans la pensée on ne meurt jamais.’ ‘»’ ‘’ ‘ 473

C'est en s'ouvrant à une littérature internationale que l'on peut construire une culture internationale. Il ne s'agit pas d'ajouter un contenu, mais de montrer aux enfants la complexité du monde afin d'éviter toute intolérance.

Notes
468.

Jean Piaget, Où va l'éducation, p.114

469.

Jean Piaget, op. cit. p.114

470.

Johan Kepler, Le Songe ou astronomie lunaire

471.

Jean Piaget, op. cit., p.115

472.

Eulalia Yagari Gonzalez, De quoi notre avenir sera-t-il fait ?p.56

473.

L'histoire de Thomas Aigle Bleuest intéressante. Elle relate l'histoire des enfants indiens qui, au XIXème siècle, ont été placés dans des écoles indiennes situées loin de leurs réserves afin d'acquérir la culture des colons américains. Ceux-ci n'avaient pas le droit de s'exprimer dans leur langue d'origine ; ils pouvaient néanmoins utiliser les procédés pictographiques traditonnels pour raconter leur histoire. Peu à peu initiés à la langue anglaise, ils vont compléter leurs dessins de légendes en langue anglaise qui, au bout d'un certain temps supplante les histoires pictographiques. Même le texte en anglais témoigne de la distance culturelle entre les indiens et les colons américains. Ainsi, la première phrase du texte -»Je suis né à la lune où les chevaux perdent leur poil rude.»-souligne que les repères temporels des enfants indiens ne peuvent pas s'inscrire dans le calendrier des américains.