4.2. Littérature et culture

Si l'on définit une discipline par des contenus et des finalités, on constate que la fiction est un objet d'enseignement problématique. En effet, une hésitation persiste dans la désignation de la discipline : s'agit-il d'enseigner le français ? la lecture ? l'écriture ? la langue ? la littérature ? la culture ? Il semble, au regard de Instructions Officielles actuellement en vigueur, que ce soit cela, tout à la fois. Les choix faits par l'institution sont des réponses à des questions qui se posent à la société, à un moment de son histoire.

Si la littérature a longtemps été assimilée à la culture au point de penser qu'un homme cultivé est un homme lettré, il semble qu'aujourd'hui, une nouvelle définition s'impose. Celle que propose Sylvain Auroux 474 semble correspondre aux aspirations les plus communément partagées ; selon lui, une ‘«’ ‘culture, c'est l'ensemble des médiations symboliques et techniques qu'un groupe humain a constituées entre lui-même et son environnement naturel pour satisfaire ses besoins.’ ‘»’ ‘’(p.75) Cependant, il constate que la ‘«’ ‘civilisation occidentale est affectée aujourd'hui d'une division culturelle fondamentale qui sépare ce qu'on appelle les humanités et la culture scientifique et technique.’ ‘»’ ‘’(p.76) Le problème qui se pose est que cette division s'est accompagnée d'une dévalorisation de la culture scientifique et technique que la société contemporaine ne tolère plus, étant donné que le mouvement actuel va, au contraire, dans le sens d'une reconnaissance des différentes cultures. Pour restreindre cependant l'analyse à la séparation entre la culture littéraire et la culture scientifique et technique, Sylvain Auroux pense que cette division est due à ‘«’ ‘la formation des individus, qui oppose, depuis le milieu du XIXème siècle en Occident (…) les filières scientifiques aux filières littéraires.’ ‘»’ ‘’(p.76) Or, aujourd'hui, on constate qu'il y a beaucoup plus de filières techniques que de filières littéraires. Ce qui conduit certains à penser que l'institution participe activement au déclin de la littérature. 475 Comme le souligne Jean-Louis Dufays 476 , ‘«’ ‘il existe aujourd'hui un doute sur la pertinence didactique et éducative de l'enseignement littéraire dans une société en perpétuelle mutation.’ ‘»’

Pourtant, l'histoire culturelle témoigne du fait que la littérature est le lieu d'une critique réflexive permanente ; la culture ne peut donc être conçue comme un ensemble figé, universel, allant de soi ; elle est aussi un processus réflexif qui fait qu'elle est un objet de questionnement. La question de la validité des œuvres culturelles est sans cesse posée ainsi que les processus d'institutionnalisation et les postures intellectuelles. Il semble que le XXème siècle ait opéré une déstabilisation généralisée des cadres culturels et que la pensée critique ait soumis la littérature -en tant qu'objet culturel reconnu- à un faisceau d'interrogations, de suspicions et de propositions. De ce fait, à l'intégration dans le champ culturel par reproduction d'un modèle autorisé par la tradition s'est substitué un processus d'appropriation critique. Comme le souligne Jean- Louis Genard 477 , ‘«’ ‘les contenus culturels ne sont plus intégrés que pour autant qu'ils puissent apparaître comme pouvant faire l'objet d'une mise en question critique. Se développe la conscience que les productions culturelles sont des objectivations, des représentations sédimentées, qui peuvent se scléroser ou se pétrifier et, dès lors, se transformer en structures aliénantes. Un soupçon permanent se constitue à propos des faits culturels stabilisés et établis, de même que se développe leur mise en question critique comme ’ ‘idéologie’». Le lecteur, confronté à des œuvres réflexives qui assument une position critique, est amené à s'interroger sur sa propre position. Les pratiques réflexives de l'art du XXème siècle ont cherché à interroger, déstabiliser les codes reconnus à un point tel que l'on peut se demander si l'interrogation majeure sur l'art du XXème siècle ne porte pas sur la frontière entre ce qui entre dans le champ de l'art et ce qui n'en fait pas partie. Le lecteur -ou le spectateur- est ainsi forcé de sortir des modèles de compréhension communément admis. Comme le fait remarquer Jean-Louis Genard 478 , ‘«’ ‘la culture, en régime démocratique, se révèle prioritairement là où se manifeste le refus de l'enfermement dans des représentations ou dans des institutions stabilisées et sclérosées. Et sans doute est-ce pour cette raison que les luttes politiques prennent aujourd'hui, comme ce fut d'ailleurs le cas dans le passé, des voies culturelles. Cela indique également qu'avec la modernité, les productions culturelles pourront être mesurées moins à leur conformité aux standards définis par les formes culturelles établies que par leur contribution ou leur apport à un projet émancipateur.’ ‘»’ ‘’Il y aurait donc proximité entre les finalités des pratiques réflexives en littérature et les finalités éducatives. Se pose alors le problème de la reconnaissance des pratiques culturelles.

Notes
474.

Sylvain Auroux, Barbarie et philosophie

475.

Recherche en didactique de la littérature, Textes réunis par Marie-José FOURTANIER, Gérard LANGLADE, Annie ROUXEL

476.

Jean-Louis Dufays, Pour une lecture littéraire, p.10

477.

Jean-Louis Genard, Les pouvoirs de la culture, p.18

478.

Jean-Louis Genard, op.cit., p.26