1. Programmes d'enseignement

Si l'on s'en réfère aux programmes actuellement en vigueur 492 , on constate qu'il est nécessaire que le professeur ait une curiosité littéraire.

Dès la maternelle, l'un des objectifs est la construction d'une ‘«’ ‘première culture littéraire’» : ‘«’ ‘Ces cheminements permettent de rencontrer des œuvres fortes, souvent rééditées, qui constituent de véritables classiques de l'école maternelle, tout autant que des œuvres nouvelles caractéristiques de la créativité de la littérature de jeunesse aujourd'hui.’ ‘»’ ‘’Au cycles 2, ‘«’ ‘les textes littéraires (albums d'abord, nouvelles ou courts romans ensuite) doivent être au cœur des activités de l'école élémentaire.’ ‘»’ ‘’Au cycle 3, un nouveau champ apparaît, intitulé ‘«’ ‘langue française et éducation littéraire et humaine’». A ce niveau, la littérature doit être extrêmement riche : il faut ‘«’ ‘que les enfants lisent et lisent encore de manière à s'imprégner de la riche culture qui s'est constituée et continue de se développer dans la littérature de jeunesse, qu'il s'agisse de ses classiques sans cesse réédités ou de la production vivante de notre temps.’ ‘»’

En conséquence, il nous semble opportun de proposer une formation littéraire aux professeurs des écoles en leur proposant non seulement l'étude des «classiques» de l'enfance qui se transmettent de génération en génération et l'étude d'œuvres contemporaines puisées dans la littérature de jeunesse mais aussi l'étude de textes puisés dans le patrimoine mondial et des textes contemporains. 493 Dans l'esprit des Instructions Officielles, il est nécessaire de montrer que ces œuvres créent des liens ‘«’ ‘même entre générations’». Nous pensons que c'est en donnant la possibilité de confronter les œuvres contemporaines aux œuvres antérieures que se construit une culture littéraire et non en évitant les œuvres jugées trop difficiles pour les remplacer par des œuvres de littérature de jeunesse qui, par définition, n'ont ni passé ni futur.

A cet égard, on peut regretter la terminologie ‘«’ ‘littérature de jeunesse’» qui occulte cette dimension de partage entre les générations. 494 Cette dénomination découle de pratiques éditoriales qui ciblent un public et produisent en fonction de la demande. A consulter les catalogues des éditeurs, on constate que le public est ciblé de façon de plus en plus précise : de 1 à 7 ans, de 8 à 10 ans, de 11 à 14 ans, de 15 à 19 ans. Tout semble dire que la littérature divise la société quand elle devrait relier 495 les générations : la littérature de jeunesse semble évacuer la nécessité de vivre dans un univers de références partagées, ce qui est une définition de la culture.

Par ailleurs, il nous semble que les Instructions Officielles insistent sur cette nécessité de considérer la littérature de jeunesse comme faisant partie intégrante de la littérature : ‘«’ ‘Les auteurs de littérature de jeunesse, et en cela ils ne se distinguent pas des autres écrivains, tissent de nombreux liens entre les textes qu'ils écrivent et ceux qui constituent le contexte culturel de leur création.’ ‘»’ ‘’ 496 Les auteurs de littérature de jeunesse reçoivent une qualification littéraire cautionnée par l'institution. Or, si l'on reconnaît la très grande qualité de certaines productions actuelles, il nous semble également qu'il est néfaste de cautionner a priori la littérature de jeunesse : ce n'est pas parce que c'est une œuvre destinée à la jeunesse que c'est une œuvre intéressante. Le fonctionnement des maisons d'édition soumises à une concurrence très forte, la nécessité de renouveler les stocks dans des délais très courts, l'adaptation des productions aux lois de l'offre et de la demande expliquent la transformation de la littérature en objet culturel de divertissement. Chaque production doit être soumise à la même vigilance de la part des professeurs. 497 Par ailleurs, il faut considérer que ces œuvres de littérature de jeunesse visent à policer l'enfant en fonction de valeurs défendues par ceux qui écrivent et en fonction de leurs représentations sur les attentes des enfants. On peut penser qu'ils appartiennent eux-mêmes à une idéologie -celle d'une classe «moyenne»- et qu'il est nécessaire par conséquent de les resituer dans la sphère sociale et politique. Comme le souligne Michel Meyer 498 , ‘«’ ‘l'idée d'une littérature-sans-idées est idéologiquement très utile pour tous ceux qui veulent occulter des idées ou les considérer comme acquises ; mais une telle littérature n'existe en fait jamais. (…) il n'existe pas de ’ ‘neutralité idéologique’». En conséquence, il est indispensable de construire une réflexion sur les productions contemporaines destinées à la jeunesse, d'autant plus qu'elles vont installer des représentations durables sur la littérature. L'Institut Universitaire de Formation des Maîtres pourrait proposer, dans le cursus de formation, des séminaires de recherche portant sur l'articulation entre la littérature et l'enseignement de la littérature, sur la littérature et la littérature destinée à la jeunesse ; les mémoires effectués par les stagiaires pourraient être validés par l'Université. 499 Cette démarche semble légitime si l'on considère que les textes destinés à la jeunesse créent des liens avec le contexte littéraire qui les fait naître, si l'on considère que la littérature de jeunesse est une propédeutique à la littérature.

Notes
492.

Arrêté du 25 OI 2002 JO du 10 2 2002 (NOR : MENE 02001180A) et Arrêté du 25 01 2002 JO du 10 02 2002 (NOR : MENE020018 A)

493.

Actuellement, la formation des professeurs des écoles stagiaires propose 27 heures de français sur l'année. Certes, il est banal de dire que les professeurs regrettent toujours le peu d'heures consacrées à leur discipline, cela témoigne du moins de leur enthousiasme ; néanmoins, si l'on considère que la maîtrise de la langue est une priorité nationale et que le futur professeur des écoles doit enseigner le français dans toutes les disciplines, il serait pour le moins judicieux de proposer aux stagiaires des savoirs à la hauteur des exigences que l'on attend de lui.

494.

Cette terminologie post soixante-huitarde semble naître d'une peur de la jeunesse, comme au siècle dernier il y a eu une littérature pour femmes par peur de la femme.

495.

Jusqu'où ira-t-on pour diviser la société ? Peut-on concevoir une littérature ciblée sur le partage des sexes ? Pourquoi pas alors une littérature d'homme  ? une littérature de femme ? autre ? Pourquoi pas ensuite concevoir d'autres clivages ? Peut- on concevoir une littérature ciblée selon les professions ? selon les goûts ?

496.

Instructions Officielles, op. cit., cycle 2 p.9

497.

Comment expliquer qu'on puisse proposer à des élèves de CM2 de lire Mon maître ne ressemble à rien de Sylvie Chausse  ? (Cette question a fait l'objet d'un mémoire professionnel effectué par un professeur des écoles, stagiaire en seconde année de formation) Le second degré ne justifie pas tout. Entre autres : « (…) j'essaie de repérer ceux qui seront dans ma classe et j'espère que ce sera des minus, comme ça, je pourrai faire la loi. (…) Ils ont des noms à la cornichon, les minus (…) Comme école laïque, ils sont obligés d'être tolérants avec les étrangers, mais ils se vengent en leur faisant manger des trucs mauvais…(…) Et Jean-Jean de brailler qu'il n'est pas une gonzesse et que c'est quand même pas le maître qui va faire la loi à l'école (…) une vieille bonne femme toute moche. Ca me ferait mal que cette grosse dondon mal fagotée soit quatre fois plus importante que mon maître. (…) Roger, il dit que c'est parce qu'on est feignants comme des Corses. (…)»

498.

Michel Meyer, Langage et littérature, p.152

499.

Cela semble une voie possible dans la mesure où l'Université consacre des recherches à des productions destinées à la jeunesse, telles les œuvres de Lewis Carroll ou Carlo Collodi, entre autres.