2. 1 Le point de vue phénoménologique

Il paraît donc, dans un premier temps, nécessaire, pour nous situer, de réexaminer nos propres modes réflexifs. Car comprendre l’immédiateté corporelle de l’interaction, ce ne peut être la saisir comme une réalité, une vérité qui en soi résumerait tout propos. Pourtant il est important de retenir la primauté de cette dimension charnelle par laquelle se noue l’interaction. Il nous semble que la phénoménologie, par la singularité de son questionnement dans le champ de la réflexion philosophique, peut contribuer à nous aider à avancer dans cette réflexion. En effet, par son approche sensible et réflexive, elle permet de comprendre le processus perceptif qui autorise l’ouverture à l’autre et le lien au monde. Clef de voûte d’une approche du corps saisi dans sa pluridimensionnalité, elle autorise à le saisir tout autant dans son épaisseur, sa hauteur que sa profondeur ainsi que dans ses expressions. Par ce renversement de perspectives, elle semble pouvoir nous conduire à l’appréhender non plus comme le simple jalon d’un processus de conceptualisation mais bien plutôt comme le point d’ancrage ou de référence d’une interrogation portant sur son immersion dans le monde ainsi que sur le saisissement qu’il implique dans l’immersion ethnographique. Elle nous amena, par conséquent, à souligner le fait que toute expérience ethnologique est une expérience s’effectuant dans et par le corps.

Cependant, une nuance doit être d’emblée avancée. La phénoménologie ne peut être utilisée comme une démarche méthodologique. Elle est une pensée plutôt qu’une méthode, elle est une posture, un certain regard - et nous connaissons l’importance de ce terme dans la phénoménologie d’Husserl ou encore de Merleau-Ponty qui, avec L’Oeil et l’Esprit (1964), l’interroge dans sa relation à la peinture - par lesquels il devient possible de penser le corps en relation, dans une dynamique. Et si cette proposition nous apparaît précieuse, elle contient aussi en creux ses propres limites. Nous verrons ainsi que cette pensée phénoménologique de l’immédiateté ne peut entièrement satisfaire notre souci de traduction pour lequel le réel n’est pas plein et entier mais interprété, vécu, traversé de mouvements et de tensions.