- L’expérience sensible

Pour ces trois auteurs, le concept de sensation se manifeste comme étant à l’origine de nos processus de pensée. Selon Peirce, la sensation peut-être divisée en deux types distincts. Une première sensation, à l’état pur, primaire, qui n’est qu’une simple impression organique et qui, donc, ne peut être vecteur de connaissance. À l’opposé, il existe une autre sensation qualifiée, elle, de complexe et qui contient une ou plusieurs connaissances préalables, dont nous ne sommes pas conscients et que nous ramenons, au moment de l’expérience, à l’unité, c’est-à-dire à une généralité en tant qu’hypothèse ou prédicat arbitraire. Prises dans la dynamique de l’expérience, les sensations sont la base de départ de nos idées et de nos processus mentaux. Elles déterminent nos réactions sur le milieu sous forme de dispositions à agir.

De même, chez James, nous connaissons le monde par les sensations. Celles-ci sont des relations qui nous sont données par les sens. La sensation est du côté de l’esprit, philosophiquement parlant, elle connaît. Elle est à comprendre comme à la fois le point de départ et l’aboutissement de la connaissance et des activités cognitives. La perception s’inscrit alors dans un rapport d’immédiateté, où la présence de l’objet à la conscience s’opère par les organes sensoriels. De façon première, l’expérience nous livre un chaos où figurent non seulement les objets mais aussi les faits mentaux tels que les concepts, les sentiments... Mais c’est en elle et par elle, donc à partir de cette intrication originaire, que nous trouvons les relations, relations qui pourtant ne sont pas des créations de l’esprit. Elles sont la réalité elle-même. Dans cette démarche d’«empirisme radical», il n’y a pas de séparation entre pensée et objet «au sujet duquel on pense». Pensée et réalité forment deux processus composés des mêmes éléments et qui se rencontrent au moment de la perception. L’expérience est ainsi constituée de points d’intersection qui sont à la fois pensée et chose dans l’immédiateté du présent senti. Ces points d’intersection deviennent «une expérience pure». C’est, alors, à l’intérieur d’un milieu primordial et neutre que chaque être possède son individualité propre et peut, de sa propre initiative, agir et réagir avec les autres. Enfin, cette surprésence du sensible est sous-tendue par un a priori physiologiste qui ramène les émotions, mais aussi les vérités morales, spirituelles à des quasi-impulsions instinctives qui seraient d’origine corporelle et qui se situeraient dans la constitution même du système nerveux.

John Dewey refuse également l’idée que la réalité nous est apportée par une connaissance en soi. C’est dans l’expérience que les choses nous apparaissent telles qu’elles sont. C’est en elles que nous trouvons l’ordre et la cohérence, mais non dans la pensée pure. Dans cette approche, tout comme chez James et Peirce, l’esprit et l’environnement forment un tout, un ensemble vivant, une situation globale dans laquelle ils réagissent l’un sur l’autre. La perception peut être définie selon différentes modalités. Nous retrouvons ici une approche similaire à celle de Peirce. Pour Dewey, il y aurait existence d’une sensation première, brute, comprise comme un signe sans signification. Ce n’est que quand la sensation revient qu’elle se charge de souvenirs donc se voit dotée significations. Elle devient connaissance, car une relation entre deux termes s’établit, mais de manière encore vague et imprécise. Ce n’est que lorsque nous produisons une signification sur l’objet, donc lorsqu’il se transforme en un instrument signifiant et intentionnel, donc lorsque nous produisons un effet sur ce dernier que s’élabore une connaissance à proprement parler. Cet effet qui vise l’objet, Dewey l’appelle le meaning.